L’Afrique constitue à la fois le continent « le plus vulnérable face aux changements climatiques » selon le quatrième rapport du GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, et le continent qui « a connu plus de conflits violents que n’importe quel continent ces dernières décennies », comme le soulignait la Commission pour l’Afrique en 2005. Le groupe terroriste AQMI est par exemple très actif dans des espaces particulièrement touchés par le réchauffement climatique, comme la région du Sahel, à cheval sur le Mali, le Niger et le sud de l’Algérie. Si nous ne ferons pas l’erreur de voir un lien direct de causalité là où il n’y en a pas, nul ne peut ignorer le rôle que peuvent parfois jouer les enjeux environnementaux dans l’apparition de conflits au niveau local. De manière bien plutôt indirecte, le réchauffement climatique peut avoir un « effet multiplicateur des tensions et de l’instabilité », faisant ainsi le lien entre sécurité et environnement – selon les termes du rapport de Javier Solana, Haut-représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne, sur la stratégie de défense et de sécurité en 2008.
L’Afrique, terre de vulnérabilités environnementales
Dans les milieux académiques comme sur le terrain, le constat est partagé : l’Afrique, bien que le plus faible émetteur de gaz à effet de serre au monde, est le continent qui va sans doute être le plus touché par le réchauffement climatique. Le rapport Changements climatiques et sécurité en Afrique, en 2009, de l’Institut international du développement durable – IIDD, soulignait cinq effets du réchauffement qui ont déjà des effets notables :
L’élévation des températures, de l’ordre de 2 à 6 degrés d’ici 2100 selon les modèles ;
Des modifications de systèmes pluviométriques : les chercheurs ne savent pas encore si la région deviendra plus sèche ou plus humide, mais les déséquilibres seront nets ;
La multiplication des événements météorologiques extrêmes : les sécheresses seront plus fréquentes et plus fortes, au même titre que les inondations ou encore les tempêtes ;
L’élévation du niveau de la mer, qui affectera les nombreuses populations côtières de l’Afrique ;
Des « surprises » induites par ces différentes tendances : la survenue d’événements non linéaires est probable, mais demeure difficile à anticiper.
L’ensemble de l’Afrique subit déjà, ou va subir, les effets du changement climatique. Le Programme des Nations unies pour l’environnement – PNUE souligne dans ses rapports l’existence de menaces, localisées mais qui font de ce continent un ensemble globalement en danger. D’autant plus que cette vulnérabilité climatique se conjugue avec un ensemble de défis socio-économiques pour générer de véritables tensions.
L’une des parties les plus vulnérables de l’Afrique est le Sahel. Cette bande méridionale du Sahara, à l’interface entre zone désertique et zone tropicale, est un espace très sensible aux effets de seuils, et à la variabilité des températures et des précipitations. Dans ce bandeau ont été identifiés par le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE des « hot spots » climatiques. L’un se situe à cheval sur le Sénégal et la Mauritanie, le deuxième entre le nord du Mali et le Niger, et le dernier traverse le Soudan pour arriver en Éthiopie et en Érythrée. Ces trois zones sont celles qui ont connu des sécheresses dévastatrices au cours du 20e siècle. Si l’on ajoute que ces points en danger concordent avec des espaces d’agriculture pluviale, d’agropastoralisme et de pastoralisme nomade, on en déduit les problématiques qui se posent.
Un enjeu de sécurité humaine
La carte des espaces habitables en Afrique est en permanente mutation. Les sociétés africaines reposant essentiellement sur l’agriculture pluviale et vivrière, le changement climatique peut avoir un impact profond sur la société, et à terme mener à des conflits. Les tensions entre fermiers et éleveurs sont désormais – abusivement – le symbole des conflits environnementaux.
La Mauritanie est un pays confronté à des sécheresses fréquentes, qui engendrent une désertification progressive du territoire, elle-même cause de déplacements de population vers les terres cultivables. Des violences ont éclaté. De prime abord, on pourrait penser qu’il s’agit d’un exemple de conflit découlant du seul changement climatique menant à un conflit d’usage de la terre arable. En réalité, si le changement climatique a pu jouer le rôle de catalyseur dans l’escalade des tensions, il a surtout été un facteur parmi d’autres : l’enjeu sécuritaire du changement climatique ne fait sens que si ses effets se conjuguent avec des difficultés socio-économiques, des tensions ethniques ou encore politiques – pression humaine, pauvreté, inégalités profondes, tensions entre communautés, ethnies ou religions, gouvernance. Ainsi, dans le cas mauritanien, les déplacements de population ont exacerbé les tensions entre deux ethnies : les Maures blancs, classe dirigeante qui s’est appropriée à coups d’expropriations la gestion des espaces fertiles longeant le fleuve Sénégal, aux dépens des Maures noirs. S’il y a tension, c’est en raison de la superposition des troubles.
Si les violences peuvent éclater de manière très locale, le réchauffement climatique n’est cependant pas une problématique fondamentalement sécuritaire. En revanche, il relève d’une évolution du paradigme de sécurité. La sécurité humaine, concept plus large, inclut l’ensemble des vulnérabilités auxquelles les populations humaines peuvent être confrontées. Développée par le Programme des Nations unies pour le Développement – PNUD en 1994, cette notion de sécurité humaine regroupe ainsi des aspects économiques, politiques, environnementaux, sanitaires, alimentaires, sans se limiter strictement à l’aspect militaire. A la lumière de cette conception et de ce que nous avons évoqué plus haut, l’Afrique se trouve bel et bien au cœur des questions de sécurité humaine liées à l’environnement, eu égard à sa fragilité endémique en termes économiques, politiques, sociaux, et de développement.
Quelles réponses possibles ?
L’approche par la sécurité humaine incite à adopter un regard global sur les mesures possibles pour préserver l’Afrique. La littérature académique s’accorde sur la nécessité de renforcer le dispositif d’observation, de mesure et de prévision météorologique. Les centres existants sont peu nombreux, et une meilleure information permettrait une meilleure diffusion de leurs travaux.
Tous s’accordent également sur le besoin de coopération pour offrir des mesures à plus petite échelle, passant outre les frontières. La difficile gestion de territoires parfois très vastes, par des États parfois faibles, accentue les risques de conflits, alors que la sécurité des espaces transfrontaliers comme le Sahel ou le lac Tchad dépend de la coopération de ces mêmes États. Les institutions régionales africaines sont autant des relais sur lesquels les pays africains peuvent s’appuyer, notamment en ce qui concerne la prévention de l’éclatement de conflits.
Enfin, le troisième ensemble de pistes concerne le développement. Mal-développement, mauvaise gouvernance, difficultés socio-économiques et vulnérabilité sont fortement corrélées : soutenir le développement de l’Afrique constituerait l’un des meilleurs outils de paix et de sécurité sur le continent.
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