Il y a 50 ans, les premières foulées sur la lune ont eu lieu. Ce petit pas pour l’Homme est décrit comme un grand pas pour l’humanité. 50 ans plus tard, cette percée technologique et scientifique n’a pas perdu de sa superbe… mais, avec le recul, qu’est-ce que cela dit de la politique ? Que c’est la compétition entre deux grandes puissances rivales qui a été le moteur principal d’Apollo, bien plus que les fusées qui l’ont porté par delà l’atmosphère !
Cet anniversaire n’est pas le seul que nous fêtons en 2019. L’Organisation Internationale du Travail a 100 ans, la Déclaration universelle des droits de l’Homme en a 70, et les Accords de Bretton Woods, qui ont donné naissance au Fonds Monétaire International et à la Banque mondiale, ont 75 ans. Les États-Unis et l’Europe fêtent les 70 ans de l’OTAN. En mars 2019, le monde a célébré les 40 ans du Plan d’action de Buenos Aires, qui marque symboliquement la naissance de la coopération Sud-Sud, tandis que la Zone Euro souffle 20 bougies pour la monnaie unique. Et de nombreux autres anniversaires jalonnent l’année (qui a entendu parler des 75 ans de la Convention de Chicago qui crée l’organisation internationale de l’aviation civile !?) : ils sont tous l’occasion de rappeler l’attachement de la communauté internationale au multilatéralisme, où la coopération a prévalu.
Coopération et compétition, deux moteurs universels qui n’ont jamais cessé de coexister, prenant tour à tour le dessus l’un sur l’autre. Faisant osciller le monde entre une guerre mondiale et la création des Nations unies. Balançant la planète d’un protocole mondial pour réguler les émissions de gaz à effet de serre à une intervention unilatérale sans l’aval du Conseil de Sécurité. Polarisant les possibles entre la définition des objectifs millénaires pour le développement et une série de dévaluations compétitives sur les principales devises mondiales.
Nous approchons du 50e anniversaire du Traité de Non-prolifération nucléaire, pierre angulaire de l’architecture internationale de sécurité, établie en pleine guerre froide. Un tel traité universel serait-il possible aujourd’hui ? La réponse est non.
Au plan global, on constate que les principales puissances de la mondialisation ont des agendas qui divergent. Impossible de trouver un terrain d’entente, de faire émerger des intérêts communs. Prenons quelques exemples.
Dans le domaine commercial, la Chine et les États-Unis sont à couteaux tirés malgré un accord conclu en marge du G20 de Buenos Aires. Pour restreindre les importations chinoises aux États-Unis, Donald Trump était prêt à relever certains tarifs douaniers de 25 % ; et pour cause, malgré une hausse de 6.5 % de ses exportations, Washington encaisse toujours un déficit extérieur d’un peu moins de 900 milliards d’euros (l’équivalent du PIB du Mexique). D’anciens conseillers à la Maison Blanche affirment d’ailleurs que le président Trump se montre particulièrement conflictuel avec la Chine pour justifier, à terme, un retrait américain de l’Organisation Mondiale du Commerce, comme Washington l’a récemment fait de l’UNESCO.
Dans le domaine monétaire, on retrouve les mêmes blocages. La réforme du Fonds Monétaire International est à l’ouvrage du G20 depuis 2010. Malgré des engagements réguliers au plus haut niveau, la réforme des quote-parts et de la gouvernance du Fonds progresse très lentement. Et lors de ses dernières Assemblées de Printemps, c’est au tour du Secrétaire américain au Trésor d’annoncer qu’il n’y a finalement « pas besoin d’augmenter les quote-parts », alors que l’endettement mondial a atteint un record historique, équivalent à 225 % du PIB de la planète (dont 50 % vient des États-Unis, de la Chine et du Japon).
Le multilatéralisme n’est pas en reste non plus dans le domaine financier. Lors de la crise des subprimes, le G20 a demandé au Comité de Bâle pour la Supervision Bancaire, l’organisation internationale chargée de la régulation des banques, de continuer et accélérer la conception du cadre de surveillance de ces institutions financières. Une première étape a eu lieu en 2010 avec la création de nouveaux instruments de supervision, dont le ratio de liquidité. Une seconde étape a pris forme en 2017 avec la mise à jour des autres outils de surveillance des banques, permettant d’évaluer leur solvabilité. Mais ces réformes ont toujours été limitées par la tolérance américaine pour des normes plus ou moins exigeantes pour les banques.
On pourrait ainsi continuer la liste des grandes instances de régulation de la planète qui souffrent des jeux de puissance : tout le monde a entendu parler du retrait américain de l’Accord de Paris sur le changement climatique, ou encore du JCPOA, le mécanisme international qui encadrait les activités nucléaires iraniennes.
La compétition prévaut aujourd’hui sur la coopération même si certaines grandes puissances réaffirment leur soutien au multilatéralisme. L’Union européenne et la Chine viennent de le faire dans une déclaration conjointe datant d’avril 2019, qui défend aussi bien la réforme de l’OMC ou du FMI que la déclaration universelle des droits de l’Homme. La Russie ne manque pas à l’appel : le président Poutine a, lui aussi, déploré publiquement l’érosion du multilatéralisme, appelant lors du dernier Forum économique international de Saint-Pétersbourg, à une économie de la confiance, loin des sanctions internationales unilatérales. Cet appel reçu l’écho de la Chine et de l’Inde lors d’une autre déclaration conjointe, six mois plus tard, lors du sommet du G20 accueilli par l’Argentine. Mais au total, ces déclarations ne rivalisent pas avec les intérêts politiques de chacun des grands pôles de la mondialisation, à commencer par l’Amérique qui n’avance plus masquée.