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COVID - Le nouveau visage de l’économie, après la pandémie

| Georges Dib, Fellow de l'Institut Open Diplomacy

5 avril 2020

La moitié du produit intérieur brut mondial est aujourd’hui sous quarantaine. Alors que la crise sanitaire est très loin d’être encore surmontée, la crise économique s’installe et menace des milliers d’entreprises et des millions d’emplois. Dans l’Union Européenne (UE), on compte 13 000 petites et moyennes entreprises ou entreprises de taille intermédiaire qui sont menacées. 65 millions d’emplois pourraient avoir besoin de recourir chômage partiel d’après Euler Hermes / Allianz Research.

Avec cette pause inédite dans l’économie mondiale, les gouvernements doivent faire face à un nouveau type de récession : des économies entières sont mises en quarantaine. Les Etats Providence apparaissent plus que jamais comme une nécessité. 

Une telle pandémie rebat en effet les cartes des “textbook economics”. Contrairement à 2008, ce n’est pas la crise financière qui crée la crise économique mais l’inverse. C’est la crise sanitaire qui crée d’abord un choc d’offre (l’industrie chinoise à l’arrêt, le commerce mondial fortement perturbé ); puis se transmet à la sphère financière au moment où les marchés poussent les gouvernements eux-mêmes à mettre en pause des pans entiers de leurs économies. Et et enfin se généralise en crise de la demande, lorsque les populations sont confinées. 

L’économie politique vit une véritable révolution copernicienne

Les politiques économiques ne pourront empêcher une récession mondiale au premier semestre et une décélération annuelle de l’économie. Au mieux, ce sera un coup d’arrêt à la croissance mondiale, ramenée à 0,5 % ; au pire, ce sera une contraction de - 1,5 % de l’économie. Cela dépend de la durée du confinement : deux mois au lieu d’un dans les économies les plus touchées. On peut même envisager une contraction mondiale encore plus sévère de - 2,5 % si la crise sanitaire se prolonge en 2020. 

L’enjeu est donc double pour nos dirigeants : mettre l’économie sous perfusion des politiques budgétaires et monétaires le temps de la crise pour limiter les dommages structurels à l’économie ; puis s’assurer que le retour à la normale ne crée pas une vague de faillites d’entreprises et ne laissent les ménages sur le carreau. 

Ainsi les dispositifs de chômage partiel, l’assurance santé pour tous et indépendante du contrat de travail, et l’assurance chômage généralisée sont autant de mécanismes permettant de protéger dans les meilleures conditions. Les deux dernières semaines aux Etats-Unis, les inscriptions au chômage se sont chiffrées à 3,3 puis 6,6 millions, reléguant le précédent record hebdomadaire de 700 000 à un simple bruit statistique. Dans le même temps, les recours au chômage partiel en France ont atteint les 4 millions : pas de licenciements, mais un Etat qui se substitue un temps à l’entreprise. C’est donc l’occasion de remettre l’Etat protecteur au centre du débat politique américain, et au coeur des programmes d’aides des institutions internationales. Qui sait, la tolérance des marchés financiers à l’égard des dépenses publiques de protection sociale dans les pays émergents en sortira peut-être aussi grandie ?

Deuxièmement, cette crise a permis de prouver que les politiques monétaires en Europe et aux Etats-Unis n’ont pas été à court d’outils, n’en déplaise aux Cassandres de la borne zéro du taux d’intérêt. Par ailleurs, les politiques budgétaires se hissent progressivement à leur hauteur du défi. 

La crise exceptionnelle que nous vivons a sans doute stimulé la créativité des banquiers centraux. Rachats d’obligations à hauteur de 750 milliards en un an pour la BCE (soit 6 % du PIB de la zone euro). Son homologue américaine, la FED, parle de “QE infinity”, c’est à dire un rachat d’obligations sans limite. Les chiffres de la deuxième quinzaine de mars font état d’un rythme de rachats à hauteur de 90 milliards de dollars… par jour (c’était par exemple environ le rythme mensuel de la BCE en 2016). D’autres facilités de crédit pour les banques ou swaps entre banques centrales sont discutés. La barre est haute. Plus haute encore qu’en 2008.

Les politiques budgétaires n’ont pas tardé à suivre. Fleurissent des programmes de garanties financières pour les entreprises de plusieurs centaines de milliards d’euros. Apparaissent des exemptions d’impôts pour les particuliers et les entreprises. S’élargissent les dispositifs de chômage partiel. La facture devrait se chiffrer entre 1.4 % du PIB dans un pays comme l’Espagne et 9.3 % du PIB aux Etats-Unis. Exit la règle de Maastricht en Europe, tandis qu’un déficit budgétaire d’une économie de guerre est à prévoir outre-atlantique. Un regret à ce jour, le manque de réponse budgétaire coordonnée entre les États-membres de l’Union européenne.

Un retour en force des investissements publics ? 

Les dépenses publiques, surtout pour l’assurance santé, pourraient redevenir à la mode : elles devront se concentrer à nouveaux sur les hôpitaux et les soignants, en plus des efforts de la recherche et de la prévention. 

En la matière, les chiffres sont trompeurs. La part des dépenses de santé dans le PIB est stable dans les pays de l’OCDE. Idem pour les dépenses publiques de santé. L’emploi dans le secteur de la santé et l’action sociale a même augmenté depuis la dernière crise. 

Mais il faut y voir plus clair. Les dépenses utilisées pour les systèmes de soins curatifs et de réadaptation à l’hôpital ont diminué dans le total des dépenses courantes de santé a baissé en France (27,5% contre 28,4% en 2008), en Allemagne, en Italie ou aux Etats-Unis. Le nombre de lits à l’hôpital pour cent mille habitants a baissé de près de 9 % en dix ans dans l’UE. Pour l’Italie, cela chiffre à 14 % ; et pour la France à 10 %. 

Notons aussi que la rémunération des médecins spécialistes par rapport au salaire moyen a baissé en Allemagne, en Italien, en Espagne, au Royaume-Uni ! La rémunération de l’ensemble des personnels infirmiers aussi. Cette crise nous appelle à doter les hôpitaux et soignants des ressources nécessaires pour lutter contre cette pandémie. Et la suivante.

Protectionnisme opportuniste ou transition accélérée vers le patriotisme économique ?

Ce coup dur pour le commerce mondial frappe d’abord les pays les plus vulnérables. Le recours à des mesures protectionnistes sous couvert d’autosuffisance et la régionalisation voire la nationalisation des chaînes d’approvisionnement, jadis pensée comme une tendance de long-terme, pourraient s’imposer dans l’urgence de la crise et perdurer. 

Les preuves anecdotiques pleuvent déjà. Pour le président Macron, déléguer notre alimentation est une folie, et il promet de “reprendre le contrôle”. Le ministre Bruno Le Maire en appelle au patriotisme économique dans l’agroalimentaire. Carrefour a annoncé faire en sorte de s’approvisionner à 95% en produits français. La France saisit six millions de masques à l’origine à destination de l’Italie et de l’Espagne. Un jour plus tard, une de ses commandes est détournée vers les Etats-Unis depuis un tarmac chinois. 

Partout, les pénuries affolent et conduisent à des restrictions sur les exports. En tout, cette année, d’après Global Trade Alert, 87 mesures de restrictions ont été introduites par 69 gouvernements pour limiter les exportations de matériel médical. 

Que vont devenir les importateurs nets de tels équipements, lorsque leur tour viendra ? Ce regain de patriotisme économique n’est certainement pas une bonne nouvelle pour les pays au revenu par habitant faible ou intermédiaires, et moins industrialisés. Exit le doux commerce entre les Nations, si cher à Montesquieu qui écrivait en 1748 : « le commerce guérit des préjugés destructeurs. Partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce ; partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces ».