La Grèce a attendu 2001 pour entrer dans la zone euro, soit deux ans après onze des quinze pays que compte alors l’Union, car elle ne remplissait pas les critères de convergence fixés par le traité de Maastricht, notamment celui d’avoir un déficit public annuel inférieur à 3 % de son PIB. Lors du sommet de l'UE en juin 2000, la Grèce reçoit finalement le feu vert avec un déficit ramené de 10 % en 1995, à 1,6 % en 1999. Après une décennie dorée et une décennie noire, la question de l’appartenance de la Grèce à la zone euro s’est posée, mais ne s’est jamais véritablement imposée. L’élan de solidarité européenne, illustré par le plan NextGenerationEU constitue une chance d'éloigner définitivement toute menace de Grexit.
Des années perdues
Au début des années 2000, la République hellénique fait figure de bon élève avec un déficit public inférieur à 3 %, contrairement à l’Allemagne et à la France qui ne respectent pas les règles budgétaires européennes avant 2005.
L’Histoire retiendra cependant la déclaration de Georges Papandréou du 17 octobre 2009, à l'occasion de l'entrée en fonction de son gouvernement. Les statistiques de déficit public ont été révisés : d’un coup, le déficit public prévisionnel de l’année 2009 passe de 6,5 % du PIB, à 12 %. La seconde révélation concerne les comptes publics, truqués depuis 1997. S’ensuit un vent de panique qui donne naissance à la crise des dettes souveraines de la zone euro.
La décennie 2010 aura été dramatique pour l’économie grecque, bien plus que pour n’importe quel autre pays européen. Le niveau de vie moyen atteint 89 % de la moyenne des 27 pays de l’Union européenne (UE) en 2009, 61 % en 2015 et seulement 52 % en 2020 selon les dernières données d’Eurostat. D’après Joseph Stiglitz, lauréat du Prix Nobel d’économie, il faudrait remonter aux années 1950 pour voir une Grèce aussi pauvre, comparée à ses voisins européens.
Pour combattre les attaques spéculatives, un vaste programme de consolidation budgétaire a fait passer le déficit budgétaire de 12 % du PIB en 2009, à seulement 3 % du en 2014, pour générer ensuite des excédents budgétaires annuels dès 2016. Le prix de cette austérité menée manu-militari a été un appauvrissement important de la population : entre 2009 et 2014, un grec sur 4 déclare avoir perdu au moins la moitié de ses revenus, phénomène qui s’est malheureusement accompagné d’une explosion du chômage, qui culminait encore à 15,5 % au début de l’année 2020.
Mais un capital politique intact pour l’euro
La majorité des grecs restent attachés à l’euro. En janvier 2015, l’arrivée au pouvoir d’Alexis Tsipras et de son parti populiste de gauche SYRIZA promettait de mettre fin à l’austérité tout en maintenant la Grèce dans l’euro. Fidèle à sa promesse, le gouvernement s’est engagé dans une renégociation des termes des plans de sauvetage de la Grèce avec ses créanciers représentés par la Troïka : Commission Européenne, Banque Centrale Européenne (BCE), Fonds Monétaire International (FMI). Après l’échec des négociations, Alexis Tsipras a recours à un référendum le 5 juillet 2015 où plus de 61 % des grecs rejettent la proposition de la Troïka.
Mais contrairement au vote du Brexit, une majorité d’électeurs pensaient que le « Non » donnerait plus de poids au gouvernement Tsipras dans les négociations, sans compromettre son appartenance à la zone euro. En mars 2021, 81% des grecs ont une opinion favorable sur la monnaie unique d’après le dernier sondage Eurobaromètre 94 soit 2 points de plus que la moyenne des 19 pays l’ayant adoptée aujourd’hui. Malgré une décennie noire, l’euro jouit donc d’un capital politique important en Grèce. L’enjeu de la décennie qui s’ouvre semble donc être plus économique que politique. La viabilité de la Grèce dans l’euro dépendra de sa capacité à converger économiquement vers le reste de la zone euro ; c’est là que le plan de relance NextGenerationEU entre en piste.
Les espoirs de NextGenerationEU
L’indicateur Quality of Government (QoG) de l’Université de Gothenburg, basé sur une enquête statistique menée sur 85 000 citoyens, mesure la qualité des services publics et le niveau de corruption de plus de 200 régions de l’UE. La Grèce y figure en queue de peloton, notamment en ce qui concerne la transparence, la gouvernance et l’efficacité bureaucratique de son administration publique. Ainsi, le système judiciaire grec est l'un des plus inefficaces d'Europe avec un délai moyen de 4,5 ans pour faire appliquer les contrats portés devant les tribunaux grecs. Une des raisons de cette contre-performance est l’absence de numérisation du secteur public. La Grèce se retrouve également sur l’avant-dernière marche des pays de l’UE si l’on se réfère à la performance de son secteur numérique, détaillée dans l'indice annuel de l'économie et de la société numériques publié par la Commission européenne. À titre d’exemple, la Grèce est le seul pays de l'UE qui ne dispose toujours pas d'un registre foncier informatisé. Ce double problème de faible qualité institutionnelle et de retard de numérisation handicape le potentiel de croissance économique grecque.
Mais la République hellénique sera l’un des premiers pays bénéficiaires du plan NextGenerationEU, avec 32 milliards d’euros d’aide, dont 19,4 de subventions sur la période 2021-2024. Plus de 8 milliards seront consacrés aux énergies renouvelables, mais surtout aux infrastructures numériques : extension du réseau énergétique du continent pour couvrir les communautés insulaires et déploiement de la 5G. Il s’agit donc là d’une opportunité de financer une transition numérique qui apparaît vitale. Ainsi, la numérisation complète de l'Autorité indépendante des recettes publiques (IAPR), permettra aux entreprises de déclarer leurs informations financières aux autorités fiscales plus simplement, ce qui va dans le sens d’une collecte de l’impôt plus performante.
La Grèce peut à ce titre s’inspirer de l'Estonie qui, depuis son adhésion à l'UE en 2004, est devenue une véritable puissance numérique. L’Estonie occupe ainsi aujourd’hui la première place du classement DESI à tel point que cette dernière est parfois surnommée e-stonia. Cette réussite a été impulsée par les autorités estoniennes qui ont consciemment fait de la modernisation du pays une priorité après l’accession à l’indépendance en 1991. Les ambitions du secteur public ont trouvé une résonance dans le secteur privé : par exemple, les sociétés de logiciels européennes comme Skype ou TransferWise ont leurs racines en Estonie. Comprenant clairement la nécessité d'une modernisation rapide du secteur public, le ministre grec de la gouvernance numérique, Kyriakos Pierrakakis, a fait appel à l'ancien président de l'Estonie, Toomas Hendrik Ilves, en tant que « Conseiller spécial aux projets de gouvernance numérique » d'Athènes en 2019.
Au-delà du retard vis-à-vis du numérique, le plan de relance européen NextGenerationEU offrira à la Grèce d’autres leviers pour relever son potentiel de croissance économique. La politique monétaire très accommodante de la BCE permettra de démultiplier l’impact des 13 milliards d’euros de prêts de NextGenerationEU que le pays touchera. Bruxelles offre ainsi au Premier ministre Mitsotakis une chance de rompre avec une décennie perdue. Il appartient désormais à Athènes de la saisir.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Benoît Dicharry, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, s'intéresse à la macroéconomie européenne.