Le Sustainable Development Solutions Network des Nations unies opère sous les auspices du Secrétaire général pour soutenir la mise en œuvre des Objectifs de développement durable et de l'Accord de Paris. Il siège au Conseil d'administration de Water Aid, les Amis Europe du Fond Mondial pour la Lutte Contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme, et d'autres organes consultatifs. Auparavant, Guido était Directeur général de la société d’investissement CDC Climate Asset Management.
Quel cadre multilatéral pour l’environnement ?
Pierre Spielewoy (Fellow de l’Institut Open Diplomacy et co-président du groupe d’étude sur la transition écologique) et Sylvain Maechler (Junior Fellow) - Nous venons de fêter l’anniversaire des 75 ans des Nations unies. Pour le multilatéralisme environnemental onusien, nous en sommes à près de 50 ans d’histoire. Quelles en ont été les étapes majeures ? Comment voyez-vous la suite de l’histoire ?
Guido Schmidt-Traub - Pour le multilatéralisme environnemental, tout a commencé en 1972 au premier sommet de la Terre de Stockholm, puis nous avons eu une grande étape tous les 20 ans avec Rio en 1992, et Rio+20 en 2012. En 2015 les Etats ont conclu l’accord de Paris sur le changement climatique.
Si les Etats se mobilisent sur une grande diversité de sujets et de priorités, le climat a pris une ampleur particulière au cours des dix dernières années. Les ODD - Objectifs du Développement Durable ont créé depuis 2015 le liant nécessaire entre les enjeux environnementaux et les enjeux multilatéraux plus classiques.
Maintenant, l’enjeu clé concerne la mise en œuvre de ces engagements. Nous devons réussir à les transcrire de manière encore plus concrète, rapide et efficace que jusqu’à présent.
Nous célébrons en septembre 2020 les 5 ans des ODD. Quel rôle jouent les objectifs du développement durable afin de chapeauter un système plus efficace de gouvernance mondiale de l'environnement – à la fois en termes d’acteurs et d’enjeux ?
Les ODD offrent un cadre commun et systémique, qui prend à la fois en compte les questions économiques, sociales, environnementales et de gouvernance. Ils poursuivent le déploiement du modèle européen par la communauté internationale : une économie de marché sociale avec un soutien apporté au plus faible. Ce cadre des ODD représente donc une véritable réussite pour la diplomatie européenne au plan international.
Si les ODD représentent des défis immenses, c’est avant tout une feuille de route qui permet de conduire l’ensemble des acteurs de la société vers un but commun - et de dialoguer autour d’objectifs communs. C’est par exemple ce qui a manqué dans la crise des gilets jaunes en France. Pour prendre en compte la problématique sociale, il a manqué une feuille de route commune à l’ensemble de la société.
Les ODD rappellent également l’importance de la coopération internationale, car tous les Etats doivent décarboner leurs économies pour que les effets se fassent ressentir - même si chaque Etat a ses problématiques propres.
Ces objectifs ne sont pas encore une réussite car nous ne sommes pas encore sur la bonne voie pour les atteindre. Néanmoins les ODD sont beaucoup plus visibles qu’il y a 5 ans, et beaucoup plus médiatisés que les OMD - Objectifs du Millénaire pour le Développement de 2002, qui ont acquis une notoriété limitée auprès d’un public spécialisé. Il nous reste 10 ans pour créer un véritable impact.
Evidemment la pandémie du Covid-19 a un impact majeur sur l’atteinte des ODD. En particulier les pays pauvres et vulnérables risquent des reculs importants. Néanmoins, il reste possible de les atteindre. Les états doivent s’en servir comme feuille de route pour la sortie de la crise et vers une solidarité internationale.
Une des questions centrales de la gouvernance mondiale de l’environnement concerne l’accès à des systèmes de financement efficients. Le FEM - Fonds pour l’environnement mondial a été créé en 1991 dans cette perspective, mais le compte n’y est pas. Comment monter en puissance ?
Les moyens mobilisés aujourd’hui ne sont pas à la hauteur des besoins. En premier lieu, il faut identifier précisément ces besoins, et les chiffrer de manière rigoureuse. C’est la première étape nécessaire pour pouvoir mobiliser des fonds, car il est plus facile de convaincre un financeur potentiel avec un projet détaillé et des objectifs concrets. Il est notamment urgent de protéger et pérenniser les « biens publics », comme les infrastructures d’éducation, de santé, de lutte contre la pollution. Nous estimons qu’atteindre les ODD nécessite un investissement à hauteur de 2 % du PIB mondial, y compris 0,5 % de subventions pour les Etats les plus pauvres et vulnérables. C’est une somme conséquente mais très largement abordable – compte tenu des bénéfices énormes. Il faut donc renforcer la volonté politique pour mobiliser ces ressources.
En second lieu, il faut mobiliser à la fois les financements privés et publics afin de renforcer l’impact des actions. On sait aujourd’hui que l’impulsion fondamentale doit venir du public. 50 ou 60 % des financements doivent ainsi provenir de sources publiques.
Comment analysez-vous l’initiative de cogestion des grandes forêts tropicales lancée notamment par la France en 2019 lors de l’Assemblée générale des Nations unies ?
La France joue un grand rôle dans la protection et la promotion de ces grandes forêts, d’autant plus grand que le pays compte de nombreuses forêts tropicales, par exemple en Guyane, et dispose d’une forte influence en Afrique tropicale. Le Président de la République, Emmanuel Macron a à plusieurs reprises souligné l’importance de la biodiversité dans les enjeux climatiques. Un chiffre : 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent de la déforestation, de l’agriculture et des systèmes alimentaires.
Biodiversité et climat doivent également être liés d’un point de vue politique et institutionnel. Que les mêmes personnes participent aux négociations sur le climat et la biodiversité créerait des synergies nouvelles. Si les chef d’Etats ne participent par exemple pas aux réunions sur la biodiversité, ils le font pour le climat : réunissons ces deux arènes.
S’il existe de nombreuses initiatives en faveur des forêts tropicales, il manque encore une mise en œuvre claire ainsi qu’un suivi des engagements. Coordonner l’approche française avec celles des autres partenaires comme l’Allemagne, la Norvège ou le Royaume Uni, actifs en la matière depuis longtemps, constituerait un pas important.
L’initiative portée notamment par la France est donc précieuse : pour protéger les forêts tropicales, les pays tropicaux ont besoin de soutien et les populations doivent être accompagnées pour créer des opportunités nouvelles, au-delà du déboisement.
A l’heure où les populismes triomphent un peu partout à travers le monde, où le repli sur soi semble se renforcer à l’encontre d’une coopération, nécessaire pour réussir la transition écologique, comment convaincre les Etats les plus réticents ?
L’enjeu principal est de démontrer que les Etats qui souhaitent avancer sur les problématiques de transition écologique, peuvent se faire accompagner au niveau international. Il faut démontrer l’efficacité des politiques de coopération : ce n’est pas de la figuration, ces politiques sont réellement utiles pour les peuples. Il faut donc revenir à des questions très pratiques : l’adéquation des financements avec les besoins par exemple.
La coopération internationale a ceci de vertueux qu’elle entraîne des effets d’échelle. Un bon exemple peut entraîner un changement de pratiques ailleurs. Si un pays arrive à déployer une politique publique efficace pour lutter contre le réchauffement climatique, d’autres auront certainement envie de s’en inspirer. Il faut donc commencer par des initiatives concrètes dans des pays, pour créer une dynamique très favorable en amont des grandes conférences sur le climat et la biodiversité en 2021.
A l’heure de la crise du multilatéralisme, quel rôle peuvent ou doivent jouer les acteurs privés en matière de gouvernance mondiale de l’environnement ?
Les acteurs privés sont cruciaux, mais à eux seuls ne peuvent pas faire réellement avancer les choses : il faut un cadre de politique publique clair. Pour protéger les forêts et lutter contre la déforestation, il faut lutter contre l’ensemble de ses facteurs : la pauvreté (les petits producteurs voient dans le fait de brûler leurs terres un moyen d’améliorer leur condition), le poids de la grande industrie de l’huile de palme et de soja, les grandes infrastructures, le changement climatique ou encore l'expansion des villes, etc. Et pour répondre de manière efficace à chacun de ces facteurs, il faut déployer un cadre de politique publique national clair pour chacun. Cette approche de gestion du terrain doit être acceptée par les acteurs du terrain.
A contrario, le secteur privé peut encourager par son activisme les institutions publiques à agir pour construire un cadre clair de long terme, gage de visibilité et de prévisibilité des investissements.
Faire le lien entre les Conventions de Rio
La COP 15 Biodiversité, qui a dû être repoussée à 2021 en raison de la pandémie de la Covid-19, arrive à grands pas. Quels sont les principaux enjeux de la négociation du nouveau cadre stratégique mondial pour la biodiversité ?
Il s’agit de définir des objectifs les plus précis et les plus concrets possibles pour la prochaine décennie. Néanmoins, il ne faut pas se faire d’illusion, ce n’est pas au niveau de la CDB - Convention sur la diversité biologique [ndlr. : traité international adopté lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992] que vont se régler les problématiques de mise en oeuvre. Elles sont très complexes, et dépendent du contexte national de chaque pays. Lors de la COP 15, il s’agira d’établir des objectifs de long terme, suffisamment cohérents pour insuffler une véritable volonté d’agir de la part des Etats.
La COP 26 pour le Climat a elle aussi été repoussée. Cinq ans après l’Accord de Paris, avons-nous progressé sur la voie d’un monde avec un réchauffement limité à + 1,5° C ?
On ne se dirige pas aujourd’hui collectivement vers la trajectoire zéro émissions en 2050. Lors de la prochaine COP, la priorité sera à la révision à la hausse des NDCs des Etats, leurs contributions déterminées nationalement, ainsi qu'à intégrer les enjeux de déforestation, de gestion de la terre, de dégradation des sols et de la biodiversité.
C’est néanmoins en bonne voie : la présidence britannique souhaite agir pour intégrer les enjeux de biodiversité dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques - CCNUCC.
La crise de la Covid-19, avec son impact sur les changements climatiques, la perte d’habitat d’une partie de la biodiversité, la baisse de diversité génétique, pourrait-elle avoir un impact sur les prochaines échéances ?
Il ne faut pas surévaluer ce lien entre pandémie et environnement. La pandémie de la Covid-19 est bien de caractère zoonotique. Mais son impact a été catastrophique surtout parce que les systèmes de santé publique n’ont pas été à la hauteur du défi, pas en raison de ses liens avec l’environnement. La différence en termes de gestion de crise entre la France et la Corée du Sud a par exemple été criante. De manière générale, l’Union européenne a mal géré la crise, sans même parler des Etats-Unis.
L’impact de la crise de la Covid-19 sera néanmoins négatif pour l’environnement et la biodiversité car les priorités ont changé : il importe de relancer les économies. Une relance verte est difficile dans ce contexte, car les outils économiques existants ne sont pas verts. L’exception internationale est peut-être l’Union européenne et la Commission, qui entend soutenir de manière active une relance verte.
La crise de la Covid-19 fragilise par ailleurs le système international, et la coopération entre Etats est très faible - y compris au sein de l’UE au début de la crise. L’axe franco-allemand a joué un rôle crucial pour commencer à inverser la tendance.
Un point néanmoins peut être réjouissant : face à la crise et la complexité du problème, les experts sont écoutés. C’est une opportunité pour revenir à une gestion plus rationnelle des affaires publiques - y compris en matière d’environnement.
On parle beaucoup d’une coopération renforcée entre la CNUCC - Convention des Nations Unies contre la corruption et la CDB - Convention sur la diversité biologique comme un moyen pour améliorer à moyen terme la gouvernance mondiale de l’environnement. A-t-on besoin d’une convention « chapeau » ou d’un cadre commun d’objectifs pour avancer ?
Il est important de renforcer les liens entre ces instruments, mais je suis sceptique à l’égard d’un cadre commun négocié. Faisons avec ce que nous avons et essayons de renforcer les outils existants. Intégrer ces deux conventions serait très complexe, et quasi-impossible actuellement compte tenu du manque de confiance entre Etats.
Pour intégrer les enjeux de biodiversité et de climat, l’échelle nationale paraît plus pertinente : les Etats pourraient plutôt adopter des cadres stratégiques nationaux qui prennent en compte de manière croisée ces deux enjeux. La France semble vouloir avancer dans ce sens. Nous portons cette idée également auprès de nombreux Etats, dont la Chine.
Quels outils pour la gouvernance du futur ?
Face aux atteintes à l’environnement, on parle beaucoup, notamment en France, d’intégrer le crime d’écocide au sein du panel de sanctions pénales. Emmanuel Macron a indiqué souhaiter voir cette question réglée au niveau international ; certains évoquent la Cour pénale internationale. Quelle est votre position ?
La notion d’écocide est complexe et peut laisser craindre une forme de néo-colonialisme : nous ne vivons plus dans un monde où l’homme blanc impose sa vision à l’ensemble du monde. Chaque pays est responsable de son action et responsable de son patrimoine.
Je soutiens la démarche du pacte de l’environnement par exemple, qui vise à inclure cette notion d’écocide dans un texte international équilibré. Mais cela suffira-t-il à sauver l’Amazonie, un problème urgent ? Je ne le crois pas. Il faut de manière urgente agir sur des leviers très concrets, à travers la coopération et la promotion des solutions mises en œuvre au niveau local.
Pensez-vous que le cadre actuel de la croissance verte, qui implique de découpler croissance économique et impacts environnementaux à travers leur « internalisation », puisse permettre de faire face à l’urgence de la crise écologique ?
Le découplage est le seul moyen de faire face à l’urgence écologique, mais on n’y est pas encore. Pour autant, un système neutre en carbone sans déforestation est possible, il n’y a pas de problème de faisabilité.
Pour répondre aux attentes des populations, qui est de voir leur cadre de vie protégé, la croissance économique reste nécessaire. N’opposons pas maintien de la croissance et protection de l’environnement - à un tel combat, l’écologie est souvent la grande perdante.
L’Union européenne porte ainsi une initiative très importante à l’échelle mondiale, le Pacte vert, pour assurer la croissance économique tout en respectant et protégeant l’environnement. Continuons dans cette voie.
Frans Timmermans, premier Vice-président exécutif de la Commission européenne, et Commissaire européen à l'Action pour le climat