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Gilets jaunes : une leçon de justice écologique​

Thibaud Voïta, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy

29 octobre 2019
Le 8 décembre 2018, le président américain Donald Trump commentait via Twitter les protestations du mouvement des Gilets jaunes : «The Paris Agreement isn’t working out so well for Paris. Protest and riots all over France. People do not want to pay large sums of money, much to third world countries (that are questionably run), in order to to maybe protect the environment. Chanting “We Want Trump!” Love France ». Comme souvent, le tweet du locataire de la Maison blanche aura en France irrité ou amusé, il aura été repris dans la presse, rapidement commenté puis oublié après une réponse du Quai d’Orsay.
Ce court paragraphe mérite pourtant d’être analysé un peu plus en détail : Trump fait un lien direct entre les manifestations et le changement climatique et ironise sur le fait que le mouvement se déchaîne dans la ville-même où a été signé l’Accord de Paris. Il faut au moins partiellement donner raison à Donald Trump : l’élément déclencheur des protestations n’est autre qu’un projet de taxation du diesel, dans une logique de fiscalité visant les émetteurs de gaz à effet de serre (GES). C’est donc bien l’annonce d’une mesure climatique qui aura déclenché les plus importantes protestations en France depuis mai 1968. Et un an après, comme si l’histoire se répétait, début octobre 2019, c’est au tour des Equatoriens de se révolter et de paralyser le pays, suite à une réforme visant la fiscalité des carburants en supprimant leurs subventions.
Le mouvement des Gilets jaunes a eu son impact sur la lutte contre le changement climatique. La question reste de savoir si de tels mouvements risquent de se multiplier dans les prochaines années, alors que, la crise climatique aidant, les gouvernements risquent de se retrouver contraints d’adopter des mesures de plus en plus impopulaires.

Les Gilets jaunes sont-ils climato-sceptiques ?

Dresser un portrait-robot du Gilet jaune et identifier ses opinions est une gageure tant le mouvement agrège des revendications et des profils variés. Il est donc difficile de définir le mouvement comme pro-climat, climato-sceptique ou simplement neutre sur ces questions.
On pouvait lire (notamment dans Le Monde) que à l’occasion des Marches pour le climat, certains ont même cherché à s’en rapprocher en arborant un gilet jaune pour marquer leur appartenance aux deux mouvements. Récemment, en septembre 2019, des Gilets jaunes interdits de manifestation ont tenté de s’approprier l’une de ces marches.
Enfin, des Gilets jaunes ont inscrit la lutte contre le changement climatique à leur liste de revendications, donnant une certaine popularité à une formule de Nicolas Hulot : « fin du monde, fin du mois, même combat ». Certains articles parlent de réelle convergence entre le mouvement et les activistes climat, sans pour autant expliquer comment ils sont parvenus à cette conclusion (1).
Difficile de concilier cette vision avec celle du Président Trump, elle-même appuyée par des slogans étalés sur les bâtiments parisiens qui évoquent une crise climatique inventée pour stigmatiser les plus pauvres.
Probablement la réalité se situe-t-elle quelque part entre ces deux extrêmes et reflète la diversité du mouvement des Gilets jaunes : il n’a jamais existé de consensus au sein du mouvement sur cette question.

Protestation contre la taxation carbone​

Quel que soit ce lien, il faut quand-même noter que le mouvement s’est cristallisé autour contre une nouvelle taxe sur les carburants, qui en retour fut l’une des premières victimes politiques du mouvement.
Début décembre 2018, il fut décidé que cette mesure ne figurerait pas dans la loi Finance de 2019 (notons que le projet serait revenu dans les discussions du gouvernement). Rappelons d’ailleurs que cela n’est pas la première fois que la rue fait reculer un tel projet : il n’y a pas si longtemps (fin 2013), face à la fronde des « Bonnets rouges », Ségolène Royal avait dû abandonner son « écotaxe », mesure phare du « Grenelle de l’environnement ».
Force est donc de constater que les Gilets jaunes, et les Bonnets rouges avant eux, ont eu un impact négatif sur les politiques françaises de lutte contre le changement climatique.
Cet effet s’est fait sentir jusque dans les enceintes internationales car le fort des protestations a eu lieu pendant la COP 24 de Katowice. Le président Emmanuel Macron avait voulu dès le début de son mandat profiter du succès de l’Accord de Paris sur le climat de 2015. Pour cela, il avait lancé en 2017 deux initiatives : l’appel Make the planet great again et le One Planet Summit. Le mouvement des Gilets jaune est venu affaiblir ses ambitions de leadership climatique pendant la COP 24.

Ne jamais séparer environnemental et social

Au final, il importe certainement peu de savoir si les Gilets jaunes se préoccupent de la lutte contre le changement climatique ou pas. L’important est qu’ils ont massivement - et parfois violemment - refusé l’augmentation du coût de la vie sous prétexte de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Ce clash entre la rue et les politiques climatiques est-il inévitable ? La lutte contre le dérèglement climatique est-elle vouée à l’échec, car passant par des mesures inacceptables pour les moins aisés ?
Espérons que telle fatalité puisse être évitée. Aussi, la crise sociale qui traverse la France aura-t-elle rappelé à quel point les enjeux climatiques sont intimement liés aux questions sociales.
Pour cette raison, les mesures de fiscalité écologiques doivent être accompagnées d’amortisseurs sociaux et - surtout - d’une communication adéquate. Par exemple, si l’objectif du gouvernement est de limiter les émissions du secteur automobile, il doit s’assurer que des moyens de transports de substitution (et décarbonés) sont disponibles. La communication est clé aussi : expliquer l’utilité de la taxe, détailler comment les fonds prévoient d’être réalloués, insister sur la redistribution.
Cela se fait par exemple au Canada, où des sommes sont reversées à titre de compensation. Cela semble d’autant plus urgent que nombre de gouvernements pourraient se trouver au milieu de plusieurs contestations parfois contradictoires : d’un côté les opposants à de nouvelles fiscalités (carbone ou pas) et de l’autre les marches pour le climat, Extinction Rebellion ou autres Friday for Future.

Des outils généraux de protection des plus vulnérables

Les politiques environnementales sont d’abord des outils généraux au service des plus démunis.
Premièrement, les mesures d’atténuation et d’adaptation permettent de préparer le pays aux catastrophes naturelles plus violentes et fréquentes qui en résultent, et à leurs conséquences économiques. Rappelons que d’après les Nations unies, sur la période 1998 – 2017, les phénomènes météorologiques extrêmes liés au changement climatique ont coûté à la France plus de 40 milliards d’euros, soit l’équivalent de toutes les recettes du Trésor liées à la TVA en un an !
Deuxièmement, des politiques adaptées permettent de promouvoir de nouveaux secteurs à forte valeur ajoutée. La Chine l’a parfaitement compris, utilisant les mesures environnementales pour soutenir son économie : elle investit massivement dans les véhicules électriques, les panneaux solaires ou l’éolien ; et les compte parmi les fers de lance de ses politiques industrielles et commerciales. Pékin a réussi à s’imposer comme leader mondial de ses secteurs.

Les prochains défis climatiques seront plus lourds que l’augmentation du diesel. Alors face aux conséquences sociales du changement climatique, la pédagogie politique sera indispensable… et l’accompagnement social une absolue nécessité.

(1)  Note du International Climate Politics Hub du 4 février 2019

Par Thibaud Voïta, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy.

Les propos de cet article n’engagent que leur auteur.