Guerre en Syrie, trafic généralisé au Sahel, désintégration de l’État somalien, conflit en Centrafrique… nombreuses sont les régions du monde qui témoignent d’une carence étatique évidente. Selon Klaus Rudischhauser, représentant de la délégation générale pour la Coopération internationale et le développement au sein de la Commission européenne, nous allons assister d’ici 2030 à une augmentation du nombre d’États fragiles dans le monde1.
Durant la conférence d’ouverture de cette 10e édition des Journées européennes du Développement, JED, la nécessité de consolider les États pour favoriser le développement a été soulignée avec insistance. Le Président de la République centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra, a largement félicité les Européens pour l'action menée afin de consolider son armée. L’Union européenne est en effet le principal donateur de la République centrafricaine, aide par laquelle elle contribue à la consolidation de l’État dans le but affiché de maintenir la sécurité et la paix ; en 2012, l’UE a versé 14,3 millions d’euros dans le cadre de la facilité de soutien à la paix pour l’Afrique, notamment affectés à la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique, MICOPAX2. Le Président nouvellement élu a aussi rappelé que la stabilité d’un État ne repose pas seulement sur une armée forte, mais nécessite aussi d'améliorer la justice, d’attirer les investissements étrangers, de libérer les énergies de production. Ces composantes sont considérées comme essentielles pour stabiliser les institutions d'une société, et favoriser le développement en son sein.
Faustin-Archange Touadéra, Président de la République centrafricaine,
le 16 juin 2016, Bruxelles.
Après ces JED, peut-on conclure qu’il existe un bon modèle de travail avec les Etats fragiles ? Comment favoriser le développement – si possible durable – dans des sociétés soumises à l’instabilité ?
Travailler avec des sociétés en conflit : l’urgence aux dépens de la durabilité ?
Des institutions instables ou un État fragilisé constituent des facteurs importants dans la persistance ou le risque de survenue de violences dans un pays. Tertius Zongo, conseiller de haut niveau sur la fragilité dans la région du Sahel pour la Banque africaine de Développement, a ainsi réaffirmé que la fragilité d’un État représente une menace essentielle pour le développement3.
Mais cette fragilité, s'il est connue et analysée, est relativement peu prise en compte par les acteurs extérieurs du développement : l’aide étrangère apportée à un État en conflit se traduit essentiellement par un soutien d’urgence, à court terme. En prenant l’exemple du Sahel, M. Zongo a rappelé la rapidité de décision et d’action des armées française et malienne lors de l’opération Serval en janvier 2013 contre des groupes divers alliés de circonstance - le Mouvement national pour la libération de l’Azawad, des rebelles touaregs, et le mouvement salafiste Ansar Dine. La réponse a été ici court-termiste. Le développement, et particulièrement le développement durable, s’insère difficilement dans un tel cadre d’action, comme l’a noté Reuben Barrete, jeune leader représentant les Philippines à l’occasion de ces JED 20164.
Selon M. Rudischhauser, le soutien extérieur à la reconstruction ou au renforcement de l’État dans la période post-conflit s’est grandement amélioré ces dernières années, même s'il reste encore, à tort, trop souvent bâclé. Il considère que les interventions internationales agissent encore trop dans l’urgence, et n’offrent pas une stratégie à long terme de renforcement étatique et de consolidation de la paix à la suite des conflits. Dans l’histoire contemporaine, l'exemple irakien après l’intervention de la coalition internationale menée par les États-Unis en 2003 constitue sans doute l'une des négligences les plus marquantes en période post-conflit. L’ancien Premier ministre britannique Tony Blair a d’ailleurs reconnu une part de responsabilité dans l’émergence de Daech, à la suite de cette intervention en Irak5.
La stabilité retrouvée dans le renforcement des communautés locales ?
Face à une société instable menacée de violences, le développement est difficile à mettre en œuvre, mais de nombreux projets de renforcement des institutions locales voient le jour.
Ainsi créé en novembre 20136, le projet Tamkeen7, financé par l'UE et le Royaume-Uni, vise à diffuser les pratiques de bonne gouvernance auprès des communautés syriennes. Il a pour ambition de renforcer les conseils locaux syriens - présents dans des zones du territoire syrien qui ne sont ni sous contrôle du régime syrien, ni sous contrôle de l’organisation État islamique8. Ce projet apporte une expertise internationale pour soutenir la participation des citoyens syriens à la vie politique de la communauté, et offre aussi une aide au développement à travers notamment l’aide à la reconstruction, à l’organisation du système de santé et à l’amélioration du système scolaire. Le but est de renforcer les institutions locales, pour leur permettre à terme, de fonctionner de manière pleinement autonome. Tamkeen peut ainsi témoigner d’une approche durable de la gouvernance, par sa vision à moyen et long termes dans une société pourtant soumise à des violences et à une instabilité extrêmement fortes. Chargée de la mise en œuvre de ce projet, Anasuya Prabhu a d’ailleurs souligné combien son action est complexe, étant donné l’absence de vision à moyen-terme sur l'évolution du conflit syrien.
De gauche à droite : Anasuya Prabhu, chargée de projet à Tamkeen ; Ana Calvo ;
Irchad Razaaly ; Karim-Antoine Mergabane. Le 15 juin 2016, Bruxelles.
Le renforcement des communautés locales peut permettre d'ouvrir la voie vers une stabilité plus globale. Mais cette option est souvent négligée, car considérée comme non prioritaire. Dans une conférence intitulée « Local action to address fragility and protracted displacement », Degan Ali, directrice de l’Agence de développement africaine ADESO, African Development solutions, a dénoncé la faiblesse de l’aide financière internationale de développement accordée aux organisations locales des pays aidés – 4 % en moyenne ces dernières décennies du montant total de l'aide internationale. Les systèmes locaux sont délaissés, et le développement manquerait donc à sa mission de renforcement des sociétés locales.
Lors de ces JED 2016, si les associations locales étaient de manière générale peu représentées, la présence par exemple de l’association libanaise d’aide au développement Amel9 démontre une certaine prise en compte de la nécessité de renforcer des projets strictement locaux. Il était néanmoins frappant de constater la majorité écrasante d’organisations internationales présentes œuvrent au développement de pays dont elles ne sont pas originaires.
Les limites politiques de l’aide au développement apportée à des sociétés fragiles, des contraintes renforcées en temps de conflit
La complexité à aborder le développement dans une société instable soumise à la violence réside aussi dans la difficulté à savoir qui renforcer, autrement dit à identifier à qui apporter son aide pour favoriser le développement. Un conflit implique en effet une confrontation d’acteurs présentant des projets divers, défendant des intérêts parfois contradictoires, et qui forment des alliances diverses voire mouvantes. Dans le cas syrien, les États européens ont majoritairement montré un soutien à l’opposition laïque syrienne. Il n’est donc pas étonnant que le projet Tamkeen soit financé par l’UE et le Royaume-Uni10.
Les organisations humanitaires sont limitées dans leurs actions par la politique étrangère de leur État d’origine. Ainsi, les caractéristiques de l'aide au développement, son montant, son champ d'action, peuvent être dessinées par diverses politiques étrangères, et au final, correspondre davantage à des rencontres d’intérêts étatiques étrangers qu’à une réponse adaptée à un besoin local identifié en matière de développement durable.
Dans une société fragile, instable, soumise à la violence, le développement est une notion difficilement conciliable avec une action politique au jour le jour. Le renforcement des populations et des institutions locales est néanmoins une composante essentielle d’un développement positif viable à long terme.
1 Conférence « Working together in fragile states for better effectiveness » des Journées européennes du Développement 2016, 15 – 16 juin 2016, Bruxelles.
2 La Mission de consolidation de la paix en Centrafrique, MICOPAX, a été menée de 2008 à 2013 par la Force multinationale des États d'Afrique centrale, FOMAC, avant d'être remplacée par la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, MISCA, pilotée par l'Union africaine.
3 Ibid.
4 A l'occasion de ces JED 2016, 16 jeunes délégués âgés de 21 à 26 ans ont été sélectionnés pour rejoindre le débat sur les question de développement et de coopération internationale : « Meet the EDD 2016 Young Leaders », European Development Days 2016, consulté le 21 juillet 2016 [en ligne], URL : https://eudevdays.eu/young-leaders.
5 « Guerre en Irak : Blair reconnaît des « erreurs » et une responsabilité dans l’émergence de Daesh », 20 Minutes, le 25 octobre 2015 [en ligne], consulté le 18 juin 2016, URL : http://www.20minutes.fr/monde/1716435-20151025-guerre-irak-blair-reconnait-erreurs-responsabilite-emergence-daesh.
6« APM Project Management Awards Winner’s Case Study”, APM, consulté le 21 juillet 2016, URL: https://www.apm.org.uk/sites/default/files/2016/Overseas%20Award%20Case%20Study%20v2%20_0.pdf.
7 Pour en savoir plus : www.project-tamkeen.org/our-goals/.
8 STARRITT Alexander, « Syria’s local councils, not Assad, are the answer to Isis », The Guardian, le 14 décembre 2015 [en ligne], consulté le 18 juin 2016, URL : http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/dec/14/syria-local-councils-assad-isis.
9 Site web de l’association Amel : http://amelinternational.com/en/home/.
10 « Our donors », Tamkeen, consulté le 21 juillet 2016 [en ligne], URL : http://www.project-tamkeen.org/our-partners/.
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