Cette semaine l’Institut Open Diplomacy a reçu l’économiste Christian de Perthuis, auteur de l’essai « Le tic-Tac de l’Horloge climatique » dans lequel il s’interroge : comment accélérer la transition énergétique ? Décryptage de son approche pluridisciplinaire et optimiste du premier défi planétaire.
Titulaire de la chaire “Economie du climat” à l’Université Paris-Dauphine, après s’être spécialisé dans l’économie agraire, Christian de Perthuis pense la crise climatique comme une course contre la montre en trois temps : l’urgence climatique, la neutralité carbone et la justice climatique. Il conclut que le seul moyen de sortir vainqueurs de cette course de fond est de repenser notre place sur Terre ainsi que le système capitaliste.
L’urgence climatique nous presse d’agir contre « l’empilement des énergies »
Cette logique d’empilement signifie d’une part que la baisse des coûts des énergies fossiles a conduit à l’augmentation de leur consommation et donc du rejet de CO2. D’autre part, la découverte de nouvelles sources d’énergies ne s’est pas substituée à l’utilisation des énergies fossiles.
On a empilé les énergies renouvelables et les énergies fossiles : entre les années 2000 et 2015, la consommation mondiale d’énergie a augmenté d’un tiers. Pour être efficace, la transition énergétique aurait dû permettre, au contraire, de substituer les énergies nouvelles aux sources primaires.
Ce constat implique deux conséquences. La première est que le stock de gaz à effet de serre est déjà saturé dans l’atmosphère. La seconde est que sans changement drastique de comportement énergétique de notre part, la situation va empirer.
Dans le traitement de la crise climatique, le paramètre de temps est donc central. Les actions que nous menons dans cette décennie sera déterminante pour le climat des nouvelles générations en 2080. 2020 est donc une année déterminante pour la biodiversité et le climat.
Malgré la pression, l’auteur ménage son optimisme : des changements, mêmes lents ou insuffisants, apparaissent. La baisse du coût des énergies renouvelables en raison de leur meilleure efficacité les rend plus attrayantes et incite donc à les privilégier face aux énergies fossiles… à l’instar des fermes solaires qui connaissent un véritable succès au Vietnam.
La nature est la meilleure alliée de la neutralité carbone
L’Accord de Paris signé en 2015 envisageait déjà la sortie progressive des énergies fossiles pour atteindre l’objectif de « neutralité carbone ». Cela implique une stabilisation du stock de gaz à effet de serre.
Un premier pas vers la neutralité carbone nécessite de désinvestir rapidement des énergies fossiles par une sortie complète. À l’heure actuelle, 80% des énergies consommées dans le monde proviennent encore des trois sources d’énergie fossiles les plus répandues : charbon, pétrole et gaz. Le processus est enclenché, la difficulté est de le faire assez rapidement.
Un second pas vers la neutralité carbone consiste à se servir des puits naturels de carbone. Le lien étroit entre le stockage des gaz à effet de serre et les écosystèmes doit donc être exploité. On peut citer l’exemple des océans qui constituent une forme naturelle de stockage : le CO2 atmosphérique dissout en surface est transporté vers les fonds marins où il finit par se transformer en sédiments. Le processus de photosynthèse des végétaux permet aussi d’absorber une partie du CO2 atmosphérique.
Pour gérer la crise climatique, les humains peuvent donc mettre à profit les services écosystémiques de la nature. À titre d’exemple, au Sénégal et en Indonésie on s’attelle à reconstituer les mangroves. Ces dernières disposent d’un potentiel important de stockage. En plus de cela, elles apportent de nombreuses ressources vivantes aquatiques grâce à la reconstitution de la biodiversité et constituent de véritables défenses naturelles contre la montée des océans, tant que celle-ci reste dans l’ordre de quelques mètres.
Un lien étroit existe donc entre l’objectif de neutralité carbone et la préservation de la biodiversité, ce qui place l’agriculture au premier plan de la bataille climatique.
Parmi les pratiques néfastes pour la biodiversité, on pense à la déforestation et à l’épuisement des sols par une agriculture intensive et l’utilisation de produits chimiques. Certaines initiatives pour adapter l’agriculture au défi climatique existent : préoccupés par la salinisation des sols induite par la surexploitation des réserves d’eau douce et la montée des océans, les producteurs de riz vietnamiens ont combiné leurs systèmes de riziculture avec l’exploitation des crevettes… car ils ont constaté que les élevages de crevettes ralentit la salinisation des eaux.
La transition écologique impose la justice climatique
La justice climatique comporte trois dimensions que décrit Christian de Perthuis.
Premièrement, la justice climatique est une justice “commutative” : elle tient des comptes. Il s’agit de mesurer tant les émissions que les efforts de réduction avec une métrique solide et fiable. Cela est nécessaire pour construire une politique climatique juste, que ce soit au niveau international ou national. En dépit des rapports du GIEC, il n’existe pour l’instant aucun véritable système international complet pour établir cette mesure.
Deuxièmement, la justice climatique est une justice “réparatrice” : elle demande des comptes. Elle désigne des « coupables » qui devront assumer le coût d’un préjudice écologique pour réparation des victimes. C’est le principe « pollueur-payeur ». On impute le coût des dommages aux émetteurs de gaz à effet de serre. Les affaires se multiplient en Europe, visant des entreprises privées ou des Etats. On pourrait citer notamment l’Affaire du siècle qui avait pour but de mettre en cause l’inaction climatique de l’Etat. Par la jurisprudence on espère ainsi accélérer la transition énergétique.
Enfin, la justice climatique est une justice distributive : elle pose la question de l’équité. Il s’agit de veiller à ce que les actions d’adaptation au changement climatique n’aggravent pas la vulnérabilité des plus démunis. Atteindre l’objectif neutralité carbone se confronte aujourd’hui au problème suivant : les plus riches peuvent se permettre la transition énergétique tandis que les plus pauvres manquent de moyens. En plus de cela, les impacts du changement climatique ont pour tendance d’accroître davantage les inégalités, affectant le plus les derniers.
Aujourd’hui, l’adaptation au changement climatique nécessite de renforcer la résilience des plus pauvres. Ce constat est vrai à l’échelle interétatique. Faute de moyens, les Etats les plus pauvres ne pourront pas effectuer rapidement la transition énergétique. De plus, ils sont souvent aussi les Etats les plus vulnérables, comme c’est le cas des Etats insulaires du Pacifique, qui sont voués à disparaître avec la montée des océans. Ce constat est aussi vrai à l’échelle intra-étatique : c’est la grande question de la “transition juste” soulevée par les gilets jaunes. Face à l’Affaire du siècle, on oppose ainsi « la fin du mois contre la fin du monde ».
La justice climatique est re-distributive. Mais face à l’impasse dans laquelle les systèmes actuels de redistribution se trouvent, avec des “pollueurs qui ne paient pas”, est venu le temps de repenser le système plus en profondeur.
Vers un capitalisme post-carbone ?
L’efficacité des énergies renouvelables augmente, ce qui amène aussi le bénéfice réduire leur coût : il est sur le point de passer en dessous du coût des énergies fossiles, devenant plus accessible aux pays pauvres.
Le danger, c’est “l’effet rebond” du capitalisme, bien connu dans le milieu de l’aviation : alors que la consommation d’énergie par passager a été divisée par deux, le trafic a été multiplié par trois !
Pour effectuer la transition énergétique il faut donc passer par le « désempilement des énergies » en substituant pleinement et durablement les énergies renouvelables aux énergies fossiles, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi opter pour une sobriété énergétique, c’est-à-dire limiter la consommation énergétique afin d’éviter l’effet rebond.
On ne peut pas permettre à tout le monde de consommer sans modération les énergies. Le challenge qui s’impose à nous est donc de redistribuer l’efficacité énergétique entre ceux qui en consomment trop et là où on n’en a pas assez. Une grande partie de la population mondiale n’a pas accès à des ressources énergétiques de base. L’économiste anglais, Tim Jackson propose ainsi d’arrêter la croissance dans les pays riches et de ré-exploiter ce potentiel de croissance dans les pays pauvres.
Christian de Perthuis se confronte ici à une guerre des capitalismes dont l’issue ne fait aucun doute : le capitalisme thermo-industriel est condamné, bien que le capitalisme post-industriel ne soit pas suffisant pour préserver la biodiversité et réduire les inégalités.
Il en appelle à une décroissance choisie pour que le capitalisme s’adapte aux défis environnementaux vitaux pour l’espèce humaine autant que pour la nature : « Si le capitalisme post carbone porte de nombreuses promesses, il génère de nouvelles contradictions qui appellent à son dépassement. Les deux principales me semble résulter de la persistance de la logique consumériste et de l’absence de réponse à la question de l’érosion de la biodiversité ».