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États-Unis : le défi de l’ère Trump

Théo Sabadel

20 juillet 2017

« Après le Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige ». Ce tweet publié le 8 novembre 2016 (et effacé depuis) par l’ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud, reflète l’état d’incrédulité dans lequel une partie du monde s’est trouvée à la suite de l’élection étasunienne. Depuis qu’il est devenu le 45e président des États-Unis en janvier, Donald Trump a bouleversé le fonctionnement traditionnel des relations internationales.

C’est autour de nombreuses incertitudes, tant géopolitiques qu’économiques, que se profilent ses quatre prochaines années à la Maison blanche. Au-delà du séisme politique que son élection a constitué et les revirements stratégiques qu’elle a occasionnés, à quoi ressemblera le mandat du président Trump ? Et quelles pourraient être les marges de manœuvre d’Emmanuel Macron face à ce partenaire stratégique afin de promouvoir une doctrine singulière ? Le 10 juin dernier, l’Institut Open Diplomacy en a discuté dans le cadre du Forum Open Diplomacy avec Christophe Destais, Directeur adjoint du Centre d’Études prospectives et d’Informations internationales (CEPII), Martin Quencez, Fellow & Program Officer au German Marshall Fund of the United States et Annick Cizel, spécialiste de la politique étrangère des États-Unis, maître de conférences à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.

La personnalité de Trump face à l’administration américaine

Pour Annick Cizel, l’exécutif étasunien sous Donald Trump se caractérise avant tout par une étonnante division entre les membres des différentes administrations et le président lui-même, ce qui rend « la définition d’une doctrine compliquée ». Alors que ce dernier institutionnalise la politique du tweet et son instantanéité, les administrations qui composent son cabinet agissent davantage par souci de continuité avec la politique étrangère étasunienne traditionnelle : respect des alliés traditionnels, réitération des positions officielles, etc. Face à ces incertitudes et cette imprévisibilité croissante, on assiste à l’éclosion d’une véritable « diplomatie publique », notamment avec les actions entreprises par un grand nombre de composantes de la société civile depuis novembre 2016. L’annonce du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris le 1er juin n’a fait que renforcer cette dynamique, dans les limites fixées par la Constitution[1], avec les actions conjointes des États fédérés, des grandes villes et des grandes entreprises. Ainsi, un État comme la Californie comble l’espace laissé par le retrait de D. Trump en cherchant à promouvoir au sein des États-Unis comme à l’international, les objectifs fixés à Paris en décembre 2015 lors de la COP21[2].

« Le nouveau président américain est un homme qui ne semble connaître que les rapports de forces »

Face à ces contestations grandissantes, de quels moyens dispose Donald Trump pour appliquer sa politique ? Selon Christophe Destais, Directeur adjoint du CEPII, « le nouveau président américain est un homme qui ne semble connaître que les rapports de forces ». Éloigné de la diplomatie traditionnelle où les gains peuvent être multiples et partagés entre les différentes parties prenantes, il privilégie la victoire unilatérale. Le retrait du Traité trans-pacifique (TPP en anglais)[3] négocié par son prédécesseur Barack Obama pour contenir la montée de la Chine en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique, peut être interprété sous cet angle. En voulant privilégier les emplois aux États-Unis, il fait fi de l’influence chinoise grandissante dans cette région du monde[4], même si les États-Unis y déploient un « parapluie nucléaire » au Japon et en Corée du Sud.

Si l’approche géopolitique du nouveau président américain demeure encore incertaine, il est possible de discerner au travers de ses actes et déclarations, des traits plus ou moins traditionnels de la politique étrangère des États-Unis. Les liens resserrés avec l’Arabie saoudite (alors que Barack Obama s’en était éloigné), et, plus généralement avec les pétromonarchies du Golfe ainsi que son soutien aux énergies fossiles s’appuient sur la lecture républicaine traditionnelle au Proche-Orient. En revanche, d’autres traits en totale rupture avec la politique étasunienne jalonnent le début de son mandat. Son soutien ostensiblement affiché à des dirigeants autoritaires comme le général Fattah Al-Sissi, actuel président égyptien, ou aux princes saoudiens, rompt avec le discours officiel de promotion de la démocratie et des droits de l’homme. La décision unilatérale le 6 avril de lancer des missiles en Syrie, de participer dans un premier temps à partir du 5 juin, à l’isolement diplomatique du Qatar (suite à sa visite en Arabie saoudite, rivale de l’émirat qatari), et de s’interroger publiquement sur la fonction de l’Otan participent également au flou entourant sa lecture géopolitique du monde.

Quelles conséquences pour l’Europe et la France ?

Si en 1949 les États-Unis ont accepté de payer pour la défense d’une Europe en ruine et affaiblie par crainte notamment de l’influence soviétique, c’est davantage un sentiment de lassitude qui prévaut actuellement à Washington sur la question du financement de la défense européenne. L’attitude du nouveau président corrobore les analyses réalistes sur l’inutilité stratégique de payer pour la défense de pays parmi les plus riches et développés de la planète. Alors que Barack Obama dénonçait les Etats « free-riders »[5], son successeur n’a eu de cesse de souligner l’insuffisance des budgets de défense des pays membres – encore en-dessous de l’objectif de 2 % du PIB fixé à l’horizon 2024. Lors du sommet de l’Organisation à Bruxelles le 25 mai, Donald Trump n’a pas fait mention de l’article 5 du traité de l’Otan[6], celui qui prévoit la solidarité de tous les membres de l’Alliance si un de ses membres est attaqué. Ces atermoiements sur un des piliers traditionnels de la politique étrangère américaine a rouvert le débat sur une défense européenne. Pour Martin Quencez, Fellow & Program officer au German Marshall Fund of the United States, les actions de l’OTAN seront désormais davantage le fruit de discussions « intra-européennes ». Cependant, des divergences devraient rapidement voir le jour entre des pays comme la France qui voient un intérêt stratégique à pouvoir se projeter à l’extérieur du continent, et des pays comme la Pologne qui privilégient les affaires européennes.

« On assiste à une sorte d’ironie géopolitique avec une Chine qui utilise les méthodes de négociation américaines pour compenser le désengagement des États-Unis »

Toutes ces incertitudes vont-elles permettre l’émergence d’une « doctrine Macron » en relations internationales ou amèneront-elles les Européens à prendre en main, de manière commune, leur destin ? L’analyse sur le temps long est primordiale afin d’analyser lequel des Donald Trump aura la prééminence à la tête des États-Unis : le candidat, le président élu ou le président intronisé ? Même s’il est à craindre que ces différentes personnalités ne se combinent dans un seul personnage, les revirements successifs ne permettent pas aujourd’hui de disposer d’une vue suffisamment large pour interpréter les actions qui pourraient être conduites à l’avenir. Par ailleurs, le point d’ancrage de la diplomatie mondiale est en train de se déplacer progressivement vers l’Asie, au détriment des États-Unis. Pour A. Cizel, « On assiste à une sorte d’ironie géopolitique avec une Chine qui utilise les méthodes de négociation américaines pour compenser le désengagement des États-Unis » sur certains sujets, dont l’Accord de Paris sur le climat. La Chine devient ainsi le nouveau maillon multilatéral et essentiel de la « pax americana »[7] contemporaine.

[1] Les « Pères fondateurs » de la démocratie étasunienne, afin de lutter contre la « tyrannie », ont créé un système qui privilégie la décentralisation. Le Xe amendement à la Constitution stipule que les États disposent de la compétence générale et que l’État fédéral ne peut faire l’objet que de compétences d’attribution : https://www.senate.gov/civics/constitution_item/constitution.htm#amdt_10_(1791).

[2] LESNES Corine, « Après la sortie de l’Accord de Paris, la Californie veut combler le vide politique », Le Monde, 2 juin 2017 : http://www.lemonde.fr/climat/article/2017/06/02/apres-la-sortie-de-l-accord-de-paris-la-californie-veut-combler-le-vide-politique_5137469_1652612.html.

[3] Le traité Transpacifique est un accord de libre-échange conclu en février 2016 entre les grandes économies des régions pacifique et américaine afin d’accroître les échanges entre ces deux régions.

[4] Cf. notamment RICHER Samuel, WANG Jacques, « Un long été diplomatique 2016 à Pékin », Institut Open Diplomacy, 27 octobre 2016 : http://www.open-diplomacy.eu/blog/un-long-ete-diplomatique-2016-a-pekin.

[5] LANDLER Mark, « Obama criticizes the ‘Free Riders’ among America’s allies », The New York Times, 10 mars 2016 : https://www.nytimes.com/2016/03/10/world/middleeast/obama-criticizes-the-free-riders-among-americas-allies.html.

[6] Article 5 du Traité du 4 avril 1949 instaurant l’Organisation de l’Atlantique Nord (OTAN) : http://www.nato.int/terrorism/cinq.htm.

[7] Expression tirée de l’ouvrage d’A. Cizel en cours de rédaction : L'Amérique en repli, ou l'administration Trump à rebours de la Pax Americana, Outre-Terre, printemps 2017.

Légende de la photo en bandeau : Donald Trump s’adressant à ses supporters lors d’un meeting à Phoenix,  29 octobre 2016 © Gage Skidmore (Flickr).

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