Avec le réchauffement climatique, l’accès à l’eau est de plus en plus restreint dans certaines régions du monde. L’eau n’a jamais aussi bien porté son surnom : l’or bleu. Tarissable, il peut parfois attiser les tensions entre les pays et être utilisé comme instrument de pression politique. La gestion en commun de l’eau est donc impérative pour le bien de l’humanité.
L’eau, source de tension ?
L’eau est un enjeu de survie pour l’Homme. Non seulement essentielle à la vie (les humains ne peuvent pas survivre plus de trois jours sans boire d’eau), elle est centrale pour développer l’activité agricole, et l’énergie, grâce aux barrages par exemple, qui se multiplient dans le monde.
Autrefois enjeu de gestion purement local, l’eau s’est imposée dans le calendrier des préoccupations mondiales depuis quelques décennies. Le chercheur spécialiste des questions hydriques Alexandre Taithe note que ce phénomène a débuté dans les années 1970-1980, avec les premiers accords sur l’eau, comme la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer signée en 1982. Cette préoccupation s’est ensuite renforcée dans les années 2000, avec l’apparition des Objectifs du Millénaire. Pour le chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), interrogé pour cet article, « l’eau s’est imposée comme un enjeu international avec la multiplication des États dans la seconde moitié du XXème siècle ». Avec le dérèglement climatique et l’augmentation de la population mondiale, l’accès à l’eau est une préoccupation qui va devenir de plus en plus centrale dans le futur, « car 460 millions de personnes sont sous-alimentées et la population va progresser de 2 milliards de personnes dans les 30 prochaines années ».
Alors que le nationalisme progresse dans certaines régions du monde, cette ressource naturelle peut être l’objet de tensions. En Asie du Sud-Est, « elle contribue à alimenter l’instabilité » selon Alain Lamballe, Général de brigade, spécialiste de l'Asie du sud et directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement, interrogé pour cet article. Selon lui, « elle n’est pas à l’origine des guerres qui ont opposé l’Inde et le Pakistan, ou l’Inde et la Chine » mais peut, de manière générale, devenir un instrument de politique.
La question hydrique reflète la puissance d’un Etat, comme le montre la mainmise d’Israël sur le bassin du Jourdain et sur les nappes phréatiques en Cisjordanie, ou encore la montée en puissance de la Chine pour le contrôle de l’eau par rapport à son voisin indien. Cependant, l’or bleu peut aussi être instrumentalisé par les « petits pays », plus faibles, pour s’imposer politiquement. C’est ce que l’on a pu constater dans les relations entre la Turquie et la Syrie par le passé quand Damas brandit à plusieurs reprises la menace du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) - organisation politique armée considérée comme terroriste par de nombreux Etats, dont la Turquie qui lui fait la guerre - pour obtenir des accords favorables sur l’eau. Pour Alexandre Taithe, dans les années 1990 et 2000, tous les accords de sécurité passés entre les deux pays ont été suivis d’un accord sur l’eau.
Si l’eau est instrument de la realpolitik, elle est aussi parfois, la source même des tensions. Quand les intérêts d’Etats riverains partageant les mêmes cours d’eau divergent profondément, de vives tensions peuvent apparaître. Récemment, autour du Nil, le projet ethiopien de méga barrage a suscité une vive colère en Egypte et au Soudan. Ces deux États situés en aval craignent pour leur sécurité hydrique. Le Caire dépend à 90 % du Nil pour ses besoins en eau et son économie, très largement basée sur la petite agriculture, pourrait largement en souffrir. Pour le chercheur Alexandre Taithe, la question du Nil reflète un phénomène nouveau : « le réveil de l’amont ». Selon lui, « les pays qui utilisent l’eau depuis longtemps sont les pays de plaine. Les plaines sont plus faciles à mobiliser, parce des canaux ont été créés à partir des fleuves, afin de développer des zones d’irrigation ».
Seulement, depuis une trentaine d’années, les pays les plus avancés sont capables de construire des barrages dans certaines zones montagneuses. Ces pays, comme l’Ethiopie, le Kirghizistan, Tadjikistan ou même la Chine, ne faisaient autrefois pas un grand usage de l’eau, mais cherchent aujourd’hui à valoriser leurs ressources en eau avec ces infrastructures. Ces crispations croissantes entre les pays en aval et les pays en amont pourraient poser de sérieux problèmes pour la gestion en commun de l’eau dans le futur.
Cependant, Alexandre Taithe pèse ses mots. Selon lui, il ne faut pas surestimer la capacité de l’or bleu à créer des tensions : « lorsqu’il y a des tensions avec l’eau, c’est qu’il y avait déjà des tensions au préalable entre les pays ».
Une ressource tarissable
Le dérèglement climatique créé par l’activité humaine polluante, renforce les inquiétudes autour des questions hydriques : « avec le réchauffement climatique, les périodes de cru et de sécheresse vont se multiplier » selon le diplomate libanais et Président du Programme hydrologique intergouvernemental (PHI) de l’UNESCO Fadi Comair, interrogé pour cet article.
La situation est critique d’après Alexandre Taithe : « tout ce qui avait été prévu dans le rapport d’évaluation du GIEC pour 2100 va se produire dès 2050 ». Le réchauffement climatique aura des répercussions majeures sur la question hydrique : quand on dit qu’il fera 2 ou 3 degrés de plus dans les prochaines décennies, cela signifie en fait que, l’été, nous serons à 5 ou 6°C de plus. Selon lui, on assiste à une multiplication des jours chauds dans toute la Méditerranée et « certaines zones vont devenir inhabitables, la mortalité sera plus importante, on observera un dérèglement de la biodiversité et l’eau va se tarir ». Un tableau très sombre auquel s’ajoute l'aspect démographique. Au Pakistan par exemple, la population est passée de 35 millions de personnes en 1950 à 220 millions aujourd’hui. L’augmentation du nombre d’habitants signifie nécessairement une hausse importante des besoins en eau et peut ainsi engendrer une crise pour l’accès à celle-ci.
L'hydro-diplomatie ou la nécessaire gestion commune de l'eau
Face à l’urgence climatique et pour éviter que l’eau - indispensable à notre survie rappelons-le - ne devienne un instrument politique, Fadi Comair a développé le principe d’hydro-diplomatie qui entend favoriser la coopération régionale orientée entre les pays riverains qui partagent les mêmes cours d’eau, « le but étant que l’eau devienne un catalyseur de paix, et non plus un instrument de tensions géopolitiques, ou même un objet de violences ».
Pour le diplomate, spécialiste des questions hydriques, selon le principe de l'hydro-diplomatie, il faut partir du technique pour aller vers le politique. Il faut donc avant tout mobiliser les ingénieurs des pays riverains pour régler les questions du partage de l’eau, de façon à dépolitiser cette ressource précieuse : « les ingénieurs sont conscients du réchauffement climatique et de la nécessité de la gestion en commun pour sécuriser des populations qui vivent dans certains bassins. Ils peuvent donc influencer les dirigeants sur leur orientation politique en matière d’eau ».
Des progrès considérables ont été réalisés sur la gestion en commun de l’eau, comme le montrent les traités internationaux et les accords passés entre les pays européens pour la gestion du Danube (Convention pour la protection du Danube de 1994) ou du Rhin (Convention internationale pour la protection du Rhin contre la pollution, 1963). Mais ces accords ont été ratifiés après des années de conflits et de nombreuses guerres sur le sol européen. Dans d’autres régions du monde, l’eau est toujours utilisée comme un instrument politique et renforce les tensions internationales. Avec le dérèglement climatique, la sécheresse, les inondations, les catastrophes naturelles vont se multiplier : l’accès à l’or bleu sera rendu de plus en plus difficile pour certaines populations. Il faut, plus que jamais, favoriser la diplomatie - une diplomatie qui intègre les scientifiques - pour s’assurer de l’accès à l’eau pour tous et gérer, en commun, ce bien essentiel pour l’avenir de l’humanité.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Inès Gil, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, s'intéresse à la politique palestinienne et au processus de paix israélo-palestinien.