La dette est un des sujets qui génère le plus de pessimisme dans l’actualité économique. Par exemple, une récente chronique du journal Les Echos déclarait que toutes les grandes crises financières étaient caractérisées par une situation de surendettement. Or, la dette française n’a jamais été́ aussi élevée. Il est même probable que fin septembre, l’INSEE l’établisse autour de 100% du PIB, seuil jusqu’alors jamais atteint. Existe-t-il un risque de défaut ? Que faut-il vraiment savoir sur la dette française ?
Qu’est-ce que la dette publique ?
La dette publique correspond à la dette des administrations publiques (APU). Selon l’INSEE, les APU désignent l’ensemble des unités institutionnelles dont la fonction principale est de produire des services non marchands ou d’effectuer des opérations de redistribution du revenu et des richesses nationales. On retrouve donc les administrations non marchandes contrôlées par l’État, les organismes de sécurité sociale, les organisations territoriales.
Fin 2017, cette dette était de 2 257,8 milliards d’euros, soit 98,5 % du PIB. Il faut savoir que celle-ci est majoritairement le fait de l’État dont l’endettement de fin 2017 s’élevait à 1 768 milliards d’euros, soit 77,2 % du PIB. La dette des administrations de sécurité sociale ne représentant alors « que » 10% de la dette publique française.
Il peut aussi être intéressant de regarder la détention des titres de dette, afin de savoir à qui l’État doit rembourser ses emprunts. Il apparait alors que, fin 2017, la majeure partie de la dette publique (à hauteur de 55%) est détenue par des non-résidents. L’autre petite moitié du gâteau se partageant entre les assurances (18%), les banques françaises (6,6%) et les détenteurs français (19%). Ces données sont importantes dans la mesure où, plus un pays possède une balance des paiements excédentaire (épargne nationale supérieure à l’investissement public), plus ce pays peut avoir confiance en sa solvabilité et ne pas subir le retournement de confiance des créditeurs étrangers.
Il convient également de distinguer la dette d’un Etat et la dette d’un particulier. Un particulier n’a d’autre choix que de s’efforcer de rembourser ses dettes pour ne pas se trouver dans l’obligation de voir ses biens saisis. En effet, quand il s’endette à un haut niveau, un particulier hypothèque souvent ses biens afin de garantir un retour sur investissement aux créanciers. L’État, lui, ne peut être saisi. Lors d’un défaut, les créanciers ne peuvent alors voir leur retour sur investissement. L’État peut toutefois renégocier ou ré-échelonner sa dette.
Les origines de la dette
C’est en Grèce qu’a été répertorié le premier cas connu de prêt souverain : au Vè siècle avant notre ère, quand débute la guerre du Péloponnèse, les dirigeants de Sparte empruntent. Athènes, progressivement ruinée par cette guerre, doit aussi emprunter auprès des temples. À Rome, les souverains successifs n’empruntent que rarement, presque toujours pour conduire une guerre en complément des impôts ou des butins. Les guerres restent la principale source de dépenses des princes et donc la principale justification des emprunts souverains.
En 1522, François 1er devient le vrai « premier emprunteur souverain » de France. On ne rembourse plus la dette, on en paie les intérêts et on la refinance. Toutefois, si le souverain meurt avant le remboursement de la dette, celle-ci n’est pas reprise par son successeur et ne sera donc jamais remboursée. Sur cette période d’Ancien Régime les emprunts sont majoritairement destinés à financer les guerres et les armées. Les créanciers prennent peu à peu en main la gestion des recettes fiscales et les opérations de crédit. Ainsi, apparaissent les « fermiers généraux » à qui le souverain délègue progressivement la perception des impôts indirects. En 1560, pour la première fois dans le monde, une dette souveraine est validée par la France. Les représentants reconnaissent l’énorme dette (43 millions de livres), laissée par le roi défunt comme étant celle du pays. Le trésor public est né.
L’évolution de la dette française depuis 1979. Quelles prévisions pour les prochaines années ?
En 1979, la dette publique française s’élevait autour de 21% du PIB. Fin 2017, elle s’élève à 98,5% du PIB.
En 2018, des spécialistes de la Cour des comptes attendent même de voir la dette dépasser les 100% du PIB, seuil symbolique encore jamais atteint par la France. Dans son ouvrage Tous ruinés dans 10 ans ? J. Attali s’efforce alors de deviner à combien la dette peut s’élever d’ici 2020. J. Attali met en évidence différents scénarios. Au pire, si rien n’est fait pour freiner la hausse de la dette publique, elle devrait représenter d’ici 2020, 150% du PIB. Arrivé à un tel stade, le désendettement nécessitera plus qu’un effort de réduction des dépenses publiques et une très forte augmentation de l’imposition.
Toutefois on ne risque pas de franchir ce seuil de 150% au vu des dernières politiques gouvernementales. Effectivement, des efforts en matière de réduction des dépenses publiques ont été faits (le déficit français respecte à nouveau le critère des 3%) et des réformes fiscales ont été mises en pratique afin de ne pas faire porter le fardeau de la dette aux générations futures, cela freinant alors la croissance de la dette publique à l’horizon 2020 sans pour autant résoudre le problème.
La dette, un stock surveillé de près par les institutions françaises
Si les dépenses de l’État sont l’un des principaux facteurs de l’augmentation de la dette publique, celles-ci sont de plus en plus surveillées et encadrées.
En effet, au niveau national, différentes lois ont été mises en place dans le but de contrôler les dépenses publiques : la France vote chaque année des lois de financement de la sécurité sociale qui déterminent « les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique », 1996 (Article 34 de la Constitution).
Également, la loi de programmation militaire (2003) vise à prévoir et anticiper, de manière pluriannuelle, les dépenses militaires. Dans le même esprit, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a créé les lois de programmation des finances publiques ayant pour objectif d’établir les dépenses et les recettes de l’État à venir.
Ces lois ne contraignent nullement le gouvernement lorsqu’il prépare le projet de loi de finances pas plus qu’elles ne contraignent le parlement lorsqu’il le vote. Toutefois, au sein de la zone euro, la France se doit de respecter le traité de Maastricht (1992), célèbre critère limitant le déficit à 3% du PIB et la dette à 60% du PIB.
Ainsi, des institutions ont pour rôle principal d’évaluer la gestion des finances publiques du gouvernement, notamment quand ce dernier ne respecte plus les critères de Maastricht (cas français). Le Haut conseil des finances publiques (2012) a donc deux missions : il se prononce sur l’honnêteté du cadrage macro-économique (prévision de croissance, du PIB, de l’inflation, etc.) et compare les objectifs et les résultats de la loi de finance du gouvernement.
La Cour des comptes constitue également une entité invitant le gouvernement à prendre des précautions dans l’exécution de ses finances publiques. En effet, cette dernière produit un rapport annuel évaluant non seulement la mise en œuvre mais aussi l’adéquation avec les objectifs fixés en loi de finances, elle permet ainsi d’éclairer les parlementaires mais aussi les médias et l’opinion publique quant à la situation financière française.
Les risques de défaut
Au début des années 80, un banquier de Wall Street (président de la City Bank – Walter Wriston) déclarait « les États ne font pas faillite ». L’histoire lui donne alors tort. En effet, comme le montrent Rogoff et Reinhart, les faillites se sont succédées : le Mexique puis le Chili (1980’), l’Argentine (2001) et la Grèce (2010). Plusieurs effets sont alors à l’origine d’un risque de défaut :
- L’effet boule de neige est une métaphore désignant un cercle vicieux où une dette va croître malgré les remboursements et ce, car le taux d’intérêt dépasse l’accroissement des revenus, le PIB, servant à rembourser. Cela correspond au jour où il faudra s’endetter pour rembourser sa dette mais aussi pour payer les intérêts sur les intérêts.
- L’effet de panique : la grande difficulté dans ce scénario, c’est qu’on ne peut pas vraiment savoir à partir de quel moment les créanciers prennent peur. La crédibilité des pays, des gouvernements et donc des institutions joue un rôle majeur dans la confiance des créditeurs. L’histoire du pays peut aussi faire varier la confiance (dictature, réputation de mauvais gestionnaires des finances publiques : cas de l’Argentine et de ses nombreux défauts de paiement).
- Ce risque de défaut, s’il a bien existé, est aujourd’hui moins fort. En effet, les États peuvent renégocier, ré-échelonner la dette et cela devant des institutions, comme le FMI, qui jouent les arbitres. En Europe, il existe aussi le MES qui joue un rôle similaire mais au sein de la zone euro. Ces institutions imposent alors un plan en contrepartie d’apports de fonds et des négociations. Le problème, c’est que tout le monde y perd souvent. Les créanciers voient rarement leur retour sur investissement et les pays doivent suivre des plans qui sont souvent douloureux à mettre en œuvre.
- Analogie entre dette publique et effet de serre, métaphore développée par F. Ecalle : plus le CO2 augmente plus on aura de problèmes mais on ne sait pas vraiment quand et comment. On sait aussi que pour résoudre ces problèmes, les mesures à prendre ont un coût élevé (effet sur l’activité économique). D’où le principe de précaution : il vaut mieux s’attaquer aujourd’hui au problème.
Comment résoudre l’excès de dette?
On peut choisir de privatiser des entreprises publiques. Dans l’histoire, les vagues de privatisations se sont d’ailleurs souvent orientées vers cet objectif. Aujourd’hui encore, c’est une option. Le projet de privatisation de l’Aéroport de Paris par le gouvernement d’E. Philippe va dans ce sens. Le problème, c’est qu’on risque de perdre la rémunération de ces actifs financiers qui sont des recettes publiques.
Ainsi, avant de privatiser, on fait souvent le calcul de savoir si le montant auquel on vend l’actif financier compense la somme des recettes que l’on aurait perçues en le conservant.
Également, l’histoire a montré que les dettes ont souvent été résolues par l’inflation. Par exemple lors d’une soudaine augmentation de 20%, le PIB en valeur augmente lui aussi de 20%, donc le ratio rapportant la dette au PIB baisse mécaniquement. La charge d’intérêt risque quant à elle, de prendre des points (selon le renouvellement des emprunts contractés à des taux plus faibles, les nouveaux emprunts risquent d’être fixés à des taux plus hauts et donc d’augmenter in fine la charge d’intérêt).
Toutefois, l’inflation n’est pas neutre et peut avoir des effets néfastes sur l’activité économique. En effet, si l’inflation est plus forte dans le pays A que dans le pays B, le pays A sera relativement moins compétitif face au pays B. Outre ces effets, l’inflation est aussi dangereuse dans la mesure où elle rend l’avenir incertain. Il apparaît que plus l’inflation est forte plus il existe un risque de volatilité ce qui nuit aux perspectives d’investissements.
La solution utopique : la croissance des richesses de façon durable. Il faudra aussi se montrer capable de dégager l’épargne nécessaire pour financer plus tard les charges renvoyées aux prochaines générations. On peut rêver à cette fin, d’un Fonds Mondial de Réparation, financé par l’épargne des habitants de la planète. Il faudrait ainsi repenser radicalement l’organisation financière internationale et imposer le respect de règles rigoureuses. Cela conduirait à la création d’une monnaie mondiale, d’une Banque Centrale mondiale et d’un Trésor planétaire. Ceci est soutenu par J. Attali, proposition qu’il considère lui-même comme un « rêve ».
Qu’est qu’une bonne dette ?
Un emprunt n’est « bon » que s’il est utile, que s’il augmente l’actif net du pays et peut ainsi permettre à l’État de le rembourser. Il faut que l’emprunt finance des investissements matériels rentables. La dette publique est dite « mauvaise » si elle finance des investissements inutiles ou lorsqu’elle fait porter aux générations futures le poids de dépenses liées aux générations actuelles.
Une dette peut également être jugée bonne selon qu’elle progresse en période basse ou haute du cycle économique. Le budget doit avoir un effet contracyclique. Ainsi, en période basse de cycle il convient d’utiliser le budget de l’État, et donc d’augmenter le déficit et la dette dans le but de stabiliser l’économie. Par exemple, personne (ou presque) n’a critiqué l’utilité de ces outils au lendemain de la crise des surprimes. Toutefois en période de reprise, de phase haute du cycle, l’État doit alors se concentrer sur une réduction du déficit et in fine de la dette, de manière à se constituer des marges de manœuvre.
La dette est un stock et doit être comparée à un stock. La dette doit donc être comparée à la valeur des actifs de l’État c’est dire que plus l’actif est élevé́, plus l’est aussi le juste niveau de la « bonne » dette. Dans le traité de Maastricht, l’Union fixe 60% du PIB comme la limite maximale du juste niveau de la « bonne » dette (or ce niveau n’a aucune justification économique). Pour des économistes du FMI, la « bonne » dette devrait ne pas dépasser un seuil de 90% du PIB. En effet, dans leur article « Growth in a Time of Debt », Reinhart et Rogoff estimaient que des rapports de dette publique/PIB supérieurs à 90% entraineraient une chute importante de la croissance. Toutefois, cette suggestion ne fait pas consensus.
La juste dette n’est, finalement, pas tant une question de seuil, bien que cet indicateur soit important. Le juste niveau dépend alors de critères politiques, économiques et de confiance. Plus un État est vu comme stable, avec une forte capacité à lever l’impôt, un potentiel de croissance élevé ou encore des relations économiques solides (au sein d’une union économique par exemple) plus son niveau de dette pourra s’élever.