C’est la panique sur les marchés financiers ! On ne mesure pas encore l’ampleur de la crise économique provoquée par la pandémie mondiale. Mais, avec le CAC qui perd la moitié de sa valeur boursière en une semaine, on peut présager une crise financière de la même ampleur qu’en 2008. Dans ces circonstances, l’ouvrage de David Djaïz, Slow Démocratie, arrive au bon moment pour nourrir les réflexions sur le confinement qui met toute la société au ralenti.
À partir de son analyse des processus de décision politique actuels, David Djaïz propose une idée pour maîtriser la mondialisation économique et reprendre nos démocraties en main : calmer le rythme ! Pour lui, cela permettrait de répondre aux problèmes écologiques et sociaux actuels. Une idée qui prend tout son sens en cette période de pandémie.
Gouvernance mondiale : histoire d’une déception
La mondialisation, d’abord bien réglementée, s’est rapidement tournée vers le retrait de nombreuses règles, notamment tarifaires, pour faciliter les échanges commerciaux. Un nouvel ordre institutionnel s’est installé, fondé sur un volume minimal de normes économiques, sociales et environnementales.
Dans cette période, l’ordre international était guidé par la volonté de minimiser la puissance publique. Par le consensus de Washington, certaines institutions internationales comme le FMI et la Banque Mondiale ont imposé la libéralisation des économies au détriment de l’Etat régulateur ou investisseur, comme des normes culturelles locales.
L’illusion politique qui naît avec l’hypermondialisation dans les années 2000, c’est l’idée de la « gouvernance mondiale ». On imagine une reprise en main de la mondialisation par un dialogue plus étroit entre chefs d’Etat et de gouvernement, notamment au niveau du G20 à partir de la crise des subprimes.
Dans ces chaînes de production globalisées, nous sommes tous le maillon faible
Cette hypermondialisation est catalysée par le progrès technologique. Le commerce mondial se globalise avec l’invention du porte-conteneur. Les marchés financiers désintermédient le financement de l’économie grâce à l’innovation juridique autour des produits dérivés. Les nouvelles technologies de l’Internet comme le câblage sous-marin permettent d’interconnecter des réseaux d’acteurs plus complexes et plus étendus.
Ces avancées accélèrent le développement de chaînes logistiques globalisées. Pour minimiser les coûts de production. Pour accéder à des ressources plus rares. Pour mieux partager les savoir-faire.
La crise du COVID a perturbé toutes ces chaînes, en particulier celles qui font étape en Chine. La pandémie met le doigt sur le problème : une globalisation mal pensée est une mondialisation dangereuse. Le problème est d’autant plus grave que, depuis la crise économique et financière de 2008, plus fort encore avec la crise climatique, et plus violemment avec la crise sanitaire du COVID-19, nous prenons conscience que la mondialisation a imposé un pilotage automatique.
À notre ère, les processus économiques se sont autonomisés, ils sont devenus hermétiques aux décisions politiques. À mesure que les chaînes de valeurs se sont internationalisées, la vie sociale s’est dévitalisée car les syndicats ne disposent plus du même levier d’action. En effet, la main d’oeuvre employée se situe à des kilomètres des cadres qui les emploie et ne dispose pas des mêmes droits sociaux que les travailleurs occidentaux. Progressivement, c’est toute la politique qui s’est démonétisée. Nous franchissons une dernière étape aujourd’hui quand les Etats-Unis quittent le rôle du gendarme politique, économique et social du monde en devenant le premier contestataire de l’ordre international.
Face à l’illusion des frontières, les politiques sont au pied du mur
Parmi les grands perdants, les classes moyennes sont les plus vulnérables… De façon cynique, David Djaïz observe que la lutte des classes n’a même plus lieu car l’élite mondialisée ne croise plus la route du prolétariat enraciné.
Dans ce contexte, il devient difficile de faire prévaloir une solidarité nationale. Alors quand la perte de contrôle politique ne permet plus de répondre aux revendications sociales des classes moyennes, c’est tout le système qui disjoncte. Il y a un court-circuit politique. Nombreux sont les mouvements populistes qui offrent la solution de facilité du repli sur soi pour reconnecter : le retour aux frontières.
Au sein même des Etats-Nations, l'hyper-fragmentation sociale a lieu : pour citer qu’un exemple, le PIB de la ville de Londres a été multiplié par 20 en 20 ans. La Grande-Bretagne subit l’hyper-partition, comme le démontre les cartes électorales du Brexit. Des tendances sécessionnistes de cet ordre de gravité s’expriment partout en Occident, comme la Catalogne en Espagne.
Pour David Djaïz, un paradoxe naît donc de la mondialisation. En abaissant les frontières économiques, elle revitalise des frontières politiques (nationales voire infra-nationales) car « le capitalisme coexiste de plus en plus difficilement avec les nations démocratiques — ces communautés humaines pluriséculaires, liées par une langue ou une histoire communes et plus encore par la volonté de se gouverner elles-mêmes. »
Pour un « New Deal territorial » en amont de la « Slow Démocratie »
Pour David Djaïz, la question n’est aujourd’hui pas de savoir si le retour à l'État-Nation va avoir lieu mais plutôt quelles en sont les modalités.
Le fractionnement du paysage politique et les inégalités sociales risquent de paralyser encore longtemps l’émergence d’un nouveau modèle politique. Mais il nous invite à aller au plus vite vers la Slow Démocratie, c’est-à-dire à repenser l’Etat-Nation dans le contexte actuel du 21ème siècle.
Pour comprendre ce que l’auteur propose ici, il faut se pencher sur ce qu’il nomme « le New Deal territorial ». Il s’agit de re-développer une économie sédentaire, circulaire, accordant toute son attention aux travailleurs et aux écosystèmes. Les activités comme la distribution d’eau, les aliments frais, la rénovation de logements, les transports, la gestion des déchets, et, au moins en partie, la production d’énergie, pourraient être relocalisées.
Sans se dissocier du contexte global. La Slow Démocratie signerait le retour à des processus démocratiques qui auraient plus d’impact, sans se couper du monde. David Djaïz conçoit ainsi l’Etat-nation comme « une force de décélération » face à l’accélération perpétuelle des flux de la mondialisation. Il pense la politique comme la capacité à choisir démocratiquement ce qu’il faut ramener au plus proche de soi. Mais il ajoute qu’il faut aussi renforcer l’action locale par la coopération internationale. En particulier l’action climatique.
Avec Slow démocratie David Djaïz essaye de répondre aux enjeux sociaux et climatiques par la sobriété et la solidarité. À méditer en cette période de pandémie où tout fonctionne au ralenti.