La pandémie du coronavirus souligne un ensemble de dysfonctionnements internationaux… mais elle favorise, localement, de nombreuses innovations pour s’adapter : en particulier, les solutions digitales sont plébiscitées pour leur efficacité. Mais elles nous invitent à nous interroger sur la place que nous donnons au numérique dans nos sociétés, tout comme l’importance du facteur numérique pour notre place dans l’ordre international.
Protection de nos données : l’Europe en quête d’influence
Le COVID-19 démontre à quel point l’Union européenne (UE) est singulière, à l’échelle mondiale, dans la protection des libertés fondamentales à l’heure du numérique. Ce qui l’oblige à renforcer sa diplomatie digitale.
Prenons un exemple. Le 20 mars 2020, la Commission européenne a demandé à huit grands opérateurs téléphoniques européens de lui communiquer leurs données mobiles, anonymisées et agrégées, du positionnement géographique de leurs clients. Cette démarche a pour but de modéliser la propagation de l’épidémie afin de dimensionner correctement l’offre de soins et les consignes de confinement.
Préalablement saisi, le Contrôleur Européen de la Protection des Données, avait mis en exergue trois enjeux :
- Que l’exploitation de données anonymisées permet de se soustraire à aux normes sur les données à caractère personnel ;
- Que le traitement des données prévoyait à l’heure actuelle des mesures de sécurité et d’accès aux données suffisantes ; et
- Que par leur caractère temporaire et exceptionnel, ces mesures étaient pour l’instant conformes à la législation de l’UE.
Ces recommandations, prudentes et précautionneuses des libertés fondamentales, contrastent avec la jungle juridique dans lequel le reste de la planète évolue. Le défi de l’UE, c’est de se donner les moyens de peser. Pour faire valoir ses valeurs dans la définition des prochains « standards numériques » mondiaux.
Cela nécessite de renforcer la coordination entre États-membres et d’aller au-delà de la reconnaissance offerte à des États tiers qui offriraient un niveau de protection comparable à l’UE.
Innovation à partir des données : l’Europe toujours en quête d’inspiration
Il faudra aussi s’inspirer des meilleures pratiques internationales. Prenons l’exemple de Taiwan dont la réponse gouvernementale a été particulièrement saluée.
Pour lutter contre le Covid-19, les autorités taiwanaises ont tout d’abord exploité de manière croisée une diversité de leurs jeux de données (dans le domaine de la santé et de l’immigration) pour leur permettre de resserrer l’attention médicale sur les personnes les plus exposées au virus. De même, l’utilisation des données mobiles a permis de recenser les personnes ayant voyagé dans les zones touchées par la pandémie, pour retracer leur itinéraire et les personnes potentiellement contaminées. Grâce à cela, il a notamment été possible d’informer au plus tôt les Taiwanais d’une partie de la chaîne de contamination à la suite de l’escale du navire Diamond Princess et de ses milliers de croisiéristes. En parallèle, ces mêmes données ont été utilisées pour contrôler le respect du confinement des personnes placées en quarantaine.
Ensuite, en mettant à la disposition de ses citoyens le fichier des données collectées, mis à jour toutes les 30 secondes, de nombreuses solutions numériques ont été créées, permettant à la population de s’informer et de s’impliquer dans la lutte contre la pandémie. L’innovation « par le bas » est même allée jusqu’à remplacer l’outil officiel d’information géré le ministère de la Santé. D’autres exemples pourraient être cités, comme le chatbot SUVE mis en place par l’Estonie permettant d’informer les citoyens sur le Covid-19.
Souveraineté sur nos données : l’Europe toujours en quête de leadership
Cet exemple conforte l’importance et l’avenir de l’initiative multilatérale OGP (Open Government Partnership). Lancée en 2011, elle vise à étendre les pratiques d’Open Data au niveau international pour améliorer la gouvernance et le service public. L’UE a déjà amorcé une politique d’Open Data ambitieuse, en connaissance de cause. Le travail se poursuit en matière numérique, car c’est une de ses priorités majeures. Mais au regard des exemples internationaux et des gains d’efficacité promis, les décideurs européens doivent prendre conscience du travail qui reste à accomplir.
Et pour cause : la pandémie démontre en ce moment l’efficacité des outils numériques. Elle marque l’avènement de sociétés bien plus interconnectées. Dans ce contexte, les données sont une ressource stratégique pour développer de nouvelles technologies. Leur maîtrise devient donc un enjeu de souveraineté, impliquant inéluctablement une compétition internationale.
C’est conscients de ces enjeux que les États élaborent des stratégies numériques appuyées par d’importants investissements. C’est de là que proviennent les nouvelles rivalités sino-américaines.
Dans ce contexte, l’Europe est dépassée, malgré l’importance de ses atouts et la clarté de sa feuille de route. Margrethe Vestager, actuelle Vice-présidente exécutive et Commissaire européenne chargée du Numérique et de la Concurrence, résume bien la situation avec sa formule tranchante : « les Chinois ont les données, les Américains l’argent, nous avons un objectif ».
Pour affronter la concurrence internationale, la priorité européenne est de définir et promouvoir cette « troisième voie ». C’est tout l’enjeu de la publication en février dernier du paquet numérique européen traçant la route à suivre en matière de données et d’intelligence artificielle. Il appartient donc désormais aux Européens d’assumer cette ambition en se donnant les moyens de la réaliser.