Le coronavirus marque notre actualité depuis plusieurs semaines maintenant. En parallèle des questions liées à la gestion de la crise et au système de santé émerge un débat sur la nécessité de relocaliser certaines productions industrielles en France ou au moins en Europe. S’il est difficile de prédire comment se fera la réorganisation de la production à l’échelle mondiale, quelques pistes de réflexion émergent.
La Chine et plus largement l’Asie abritent de nombreuses sous-traitants critiques dans la production de biens manufacturés. Dans ce contexte, le virus est venu paralyser des pans entiers de l’économie. À terme, la relocalisation de certaines activités est donc pertinente pour au moins cinq raisons :
- La demande évolue. Les consommateurs exigent une certaine proximité et réactivité, ce qui est difficilement compatible avec une production éloignée des lieux de consommation.
- L’innovation technologique et non-technologique joue un rôle central dans la recherche de différenciation des entreprises industrielles. Or, le développement des innovations, notamment produits, est plus rapide et efficient quand les usines sont proches des bureaux d’études.
- Les coûts de production en France tendent à baisser à mesure que la production se modernise selon les schémas de “l’industrie du futur”. Si l’on intègre aussi des éléments tels que le coût du transport, le coût carbone des productions lointaines ou encore le poids du besoin en fonds de roulement, alors la relocalisation de la production devient encore plus avantageuse pour la compétitivité.
- Au-delà de l’impact environnemental de productions lointaines se pose des questions de préservation de la souveraineté technologique du continent européen, notamment sur des technologies comme la 5G ou l’intelligence artificielle dans lesquelles la Chine a investi en masse.
- Il est possible d’observer une remise en cause du modèle dominant de production en grandes séries dans de méga-usines aux coûts les plus bas possibles. De grandes usines vont continuer à exister comme pour la production de semi-conducteurs. Mais l’Europe pourrait également voir fleurir des unités capables de produire de manière flexible des petites séries au plus proche des marchés.
Malgré ces raisons, les relocalisations ne seront pas immédiates car la crise va également révéler les fragilités de notre appareil productif et pourrait être fatale pour de nombreuses entreprises. En effet, l’industrie nationale a été fragilisée par quarante ans de désindustrialisation, par le désintérêt dont elle a victime et par la crise économique et financière de 2008-2009. La crise va avoir un impact majeur sur la trésorerie des entreprises et sur leurs capacités d’investissement. Pour rappel, de nombreuses entreprises peinaient à investir avant la crise de coronavirus en raison de marges insuffisantes ou d’un endettement trop important. Ainsi, malgré une volonté forte du gouvernement et de l’Union européenne de préserver l’économie, certaines entreprises déjà fragiles ne résisteront pas à la crise, ce qui aura un impact majeur sur l’écosystème productif et sur les territoires.
Une autre difficulté risque de se présenter aux entreprises européennes dès que la consommation repartira. L'appareil productif chinois est en train de redémarrer dès à présent. Il sera prêt à exporter des produits vers le reste du monde dès que cela sera nécessaire alors même que nos chaînes de production ne seront pas encore en mesure d’y répondre. La Chine y verra surement l’occasion de trouver de nouveaux relais de croissance face au tassement de sa demande interne et un moyen de satisfaire son impérialisme industriel.
Dernière limitation à une relocalisation massive de la production : sommes-nous capables de produire à nouveau tous les biens stratégiques en Europe ? Si nous excluons les capacités d’investissement des entreprises, quarante ans de désindustrialisation ont eu un impact fort sur les compétences et les savoir-faire disponibles. Reconstruire des écosystèmes productifs performants prendra du temps et aura un coût. Entre outre, il y aura certainement des phénomènes d’opposition à la construction de nouvelles usines, ce qui pourra rallonger d’autant les opérations de relocalisation.
Cette crise nous questionne sur notre manière de produire et de consommer. Collectivement, nous allons devoir trouver des réponses aux questions qu’elle soulève de manière inédite. Dès à présent certains parlent de « dé-consommation », mais cette tendance est-elle compatible avec le capitalisme dans sa version actuelle ?