L’année 2017 s’annonce houleuse pour les relations sino-américaines. Le 20 janvier, Donald Trump prendra ses fonctions présidentielles à la Maison blanche pour un mandat de quatre ans. Le point de départ d’un bouleversement stratégique dans la région Asie-Pacifique.
Dans l’année à venir, la région Asie-Pacifique va connaître le plus grand bouleversement de son histoire et il ne viendra pas de l’intérieur. L’élection de Donald Trump à la Maison blanche le 8 novembre dernier et ses menaces incessantes envers Pékin, laissent présager une redistribution des rôles dans une région où la Chine se verrait bien en maître du jeu. L’investiture du 45e président des États-Unis le 20 janvier 2017 donnera une occasion en or à Pékin, mais pourrait bien entraîner une rupture des liens diplomatiques entre les deux pays.
Des relations sino-américaines ambigües
Le président élu, futur 45e président des États-Unis, se donne bien du mal pour briser la stratégie de son prédécesseur en Asie. Barack Obama a réussi en huit ans, de présidence, depuis 2009, à rééquilibrer les relations sino-américaines, en réorientant l’attention américaine vers la région Asie, centre attendu de gravité politique et économique du 21e siècle. Au contraire, le retrait de l’Amérique de cette zone, pourrait signer la fin prématurée de ce « siècle asiatique »1 avant même qu’il ne commence.
« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même »
Les liens tissés entre les deux pays sont aussi solides que fragiles. Ni amis, ni ennemis, Pékin et Washington ont construit leur relation dans la coopétition : entre concurrence et coopération. La stratégie américaine dite de « pivot » vers l’Asie (Hillary Clinton, Secrétaire d’État, octobre 2011), a inclus une augmentation notable de l’investissement diplomatique, économique et militaire des États-Unis dans l’Asie-Pacifique. L’administration Obama s’est faite chef d’orchestre de la région. Ce pivot était conçu comme un mouvement pour contrer l’influence croissante de la Chine, sans se froisser avec elle. « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même » préconisait le général chinois Sun Tzu dans son célèbre ouvrage de stratégie militaire : L'Art de la guerre. Un conseil qu’a savamment mis en pratique le président américain sortant.
Un bouleversement historique
Changement de stratégie. L’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche risque de remettre en cause ce « pivot » américain vers l’Asie sur trois niveaux fondamentaux. Le premier est économique : en retirant les États-Unis des accords de libre-échange comme l’accord de Partenariat transpacifique (TPP) conclu à Atlanta en octobre 2015 et visant à libéraliser le commerce et les investissements entre 12 États du Pacifique (40 % de l’économie mondiale, soit le plus grand accord de libre-échange au monde), les États-Unis vont se désengager de la région. Deuxièmement, Trump souhaite que les États-Unis réduisent leur rôle de « gendarme du monde » et que les alliés de l’Amérique prennent le relais sur les questions sécuritaires. Enfin, l’arrivée d’un populisme de droite au pouvoir à Washington menace d’altérer l’image du pays à travers le monde comme un modèle à suivre, et risque de décrédibiliser les États occidentaux dans leur défense et la promotion des droits de l’Homme et de la démocratie en Asie. Le plus gros risque représenté par ces politiques nationalistes, c’est que l’Amérique ne soit plus vue au sein de la région Asie-Pacifique que comme une hégémonie bénigne. Si l’Amérique recule, elle sera aussi moins bien accueillie.
Rupture. Les tensions ont toujours été persistantes entre les deux surpuissances, mais le nouveau président des États-Unis compte bien saper les facteurs de stabilité. L’investiture de Donald Trump le 20 janvier prochain signera le début d’une nouvelle ère, en rupture totale avec la politique extérieure du pays depuis Richard Nixon. Pourtant réputé anti-communiste, le 37e président des États-Unis (1969-1974) estimait qu'il était dans l'intérêt national américain de forger une relation durable avec la Chine. Sa rencontre avec le président Mao Zedong en 1972 a marqué l’histoire et signé le début de l’amélioration des relations sino-américaines après leur rupture en 1949. En 2017, l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et la période d’incertitude qui s’ouvre, créent un climat déstabilisant pour l’avenir des deux pays.
Donald Trump en meeting à Washington en 2011 - Crédit photo Gage Skidmore - Flickr.
Dans la ligne de mire de Donald Trump : Taïwan. La République de Chine, connue sous le nom de Taïwan (et reconnue uniquement par 22 États à travers le monde) est un sujet historiquement brûlant pour Pékin et la République populaire de Chine. Le président élu américain a provoqué de vives réactions, le 2 décembre dernier, en ayant une conversation téléphonique avec la présidente indépendantiste de Taïwan, Tsai Ing-wen, en fonction depuis le 20 mai dernier. Un échange inédit depuis 1979, qui a précédé des menaces explicites de la part du président élu à l’encontre de la Chine, diffusées sur la chaîne américaine Fox News le 11 décembre. Donald Trump n’a pas hésité à provoquer l’Empire du Milieu en évoquant une remise en cause potentielle du principe d’une « Chine unique » si Pékin ne faisait pas de concession, notamment en matière commerciale. Or, cette politique de la « Chine unique », reconnue par le 39e président américain Jimmy Carter (1977-1981), avait conduit Washington à interrompre en 1979 ses relations diplomatiques avec Taïwan. Le respect de ce principe constitue depuis le socle du développement des relations sino-américaines. Le 45e président des États-Unis, qualifié par le quotidien nationaliste chinois Global Times d’« aussi ignorant en diplomatie qu’un enfant » a mis les pieds dans le plat.
Cette remise en cause de la politique de la Chine unique a entraîné des protestations officielles de la Chine populaire, qui a laissé transparaître un vif agacement. Dans ce contexte, l’accord commercial Taïwan Relations Act adopté en 1979 par le Congrès américain, qui prévoit la vente d’armes entre les États-Unis et Taïwan, est la source de tensions croissantes avec la République populaire de Chine. Si Donald Trump soutient ouvertement l’indépendance de Taïwan et accroît les ventes d’armes à l’île, Pékin pourrait alors rompre avec Washington. Problème : le pays est le second plus grand créancier étranger des États-Unis. Pékin détient 1 115 milliards de dollars de bons du Trésor américain, un détail qu’a sans doute oublié l’homme d’affaire et qui rendra difficile (impossible ?) une réelle rupture avec la Chine.
Une guerre commerciale en gestation ?
La menace agitée par Donald Trump d’une guerre commerciale avec la Chine a des chances de se retourner contre lui. Pendant sa campagne électorale, le milliardaire n’a cessé de mettre en avant son sens des affaires et de dénoncer l’agressivité commerciale de la Chine qu’il accuse de manipuler les taux de change et de se livrer à une concurrence déloyale. Selon lui, l'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 aurait privé de leur emploi 10 millions d'Américains. Donald Trump, avec la ferveur de la classe populaire américaine, a menacé d’imposer des taxes d’importation de 45 % sur tous les produits chinois.
Que des mots ? Ce sujet a été évité le 14 novembre 2016 lors du premier entretien du milliardaire avec le président chinois, Xi Jinping, pendant lequel ce dernier avait plaidé pour un « respect mutuel ». En outre, une telle mesure s'avèrerait contraire aux règles de l’OMC et entraînerait une forte augmentation des prix des produits chinois importés pour les consommateurs américains, qui se verraient donc pénalisés.
Peu importe, rien ne semble pouvoir empêcher Donald Trump de provoquer le régime chinois. Sans limite, sans filtre, (sans bon sens ?), le président élu ne semble pas vouloir calmer le jeu avec la Chine. Dernière charge en date contre Pékin, l’homme d’affaire a tweeté le 2 janvier dernier : « La Chine a récupéré des quantités énormes d'argent et de richesses américains dans une relation commerciale à sens unique, mais elle ne veut pas aider pour la Corée du Nord. Sympa ! ». Un message faisant référence aux déclarations du Nouvel an faites par le dictateur nord-coréen, Kim Jong-un, d'un prochain test de missile balistique intercontinental (ICBM), potentiellement capable d'atteindre les États-Unis. Les autorités chinoises se montrent déboussolées et furieuses. Reflétant la frustration de Pékin vis-à-vis de la diplomatie peu orthodoxe du prochain président américain, l’agence médiatique officielle chinoise Xinhua a ainsi titré le lendemain : « L’addiction à la diplomatie Twitter n’est pas une preuve de sagesse ». Il est vrai que Twitter connaît une nouvelle ère sous Donald Trump. Le réseau social de microblogage est l’outil de communication préféré du milliardaire qui s’en sert comme tribune politique. Pour Xinhua, « ces tweets ont brisé un protocole diplomatique vieux de plusieurs décennies, et diffusé des commentaires antichinois ».
Portrait de Xi Jinping - Crédit photo Thierry Ehrmann - Flickr.
Une équipe protectionniste au pouvoir à la Maison blanche
Ces réactions interviennent alors que Donald Trump s'est entouré d'une équipe commerciale de choc, composée de personnalités protectionnistes et favorables à une ligne dure face à Pékin... Dernière nomination en date, celle de l'avocat d'affaires Robert Lighthizer comme représentant américain au Commerce. L’homme de 69 ans avait été représentant adjoint au Commerce de l'ancien président Ronald Reagan entre 1983 et 1985. Ensuite, au sein du cabinet juridique Skadden Arps, il a représenté divers clients américains dans des affaires de lutte contre le dumping (une technique employée par Pékin qui lui est notamment reprochée par l’Union européenne) et s'est battu pour favoriser l’accès des entreprises américaines aux marchés étrangers.
Trio de choc. Robert Lighthizer, dont la nomination devra être confirmée par le Sénat, devra se coordonner avec le futur secrétaire au Commerce, de rang ministériel : Wilbur Ross. Surnommé « le roi des faillites », le milliardaire a bâti sa fortune personnelle sur les déboires de banques chypriote, grecque et irlandaise. C’est aussi un pourfendeur du libre-échange. Il a pourtant largement profité personnellement des dégâts provoqués par les importations chinoises, en participant activement notamment aux restructurations dans la sidérurgie américaine. Dernier membre de ce trio protectionniste, Peter Navarro, nommé à la tête d'un nouveau Conseil du Commerce créé à la Maison blanche. Cet économiste est l’auteur de Death by China, un livre dans lequel il dénonce les pratiques commerciales chinoises…
Inversion des rôles
Malgré la réalité de l’interdépendance économique entre la Chine et les États-Unis, tout laisse à penser que Trump fera en sorte de tenir ses promesses de campagnes. Les doutes sur les futurs engagements des États-Unis ont encouragé leurs alliés traditionnels et partenaires dans la région, comme les Philippines, la Thaïlande et la Malaisie, à se retourner contre Washington pour préférer Pékin. Donald Trump offre à l’Empire du Milieu l’occasion rêvée de confirmer sa puissance économique et étendre son influence diplomatique. Le président Xi Jinping a promis un nouvel ordre « meilleur » dirigé par Pékin, marqué par l’ouverture au commerce et à l’investissement. La Chine peut utiliser sa force économique pour redistribuer les cartes dans la région et devenir le leader des nations asiatiques.
Avec la mort annoncée du TPP, Xi Jinping a la voie libre pour faire avancer son alternative, le Partenariat économique régional global (RCEP). Sept des douze membres putatifs du TPP sont des membres potentiels du RCEP comme le Mexique, le Pérou et le Chili. Xi Jinping offre également aux pays latino-américains l’accès à l’initiative chinoise pour repenser leurs relations diplomatiques et leur place dans le monde économique. Pékin cherche à regrouper dans son orbite régionale de nouveaux partenaires, créant une dynamique du « avec nous ou contre nous » pour mieux creuser la lisière du champ américain.
Dans une région qui jusqu’ici a toujours été sécurisée et contrôlée de loin par une forte présence américaine, l’équilibre régional se déplace de façon croissante vers la Chine. L’incertitude entourant les projets géopolitiques de Donald Trump sera le plus grand risque à observer dans l’année à venir. 2017, ou l’année qui fera basculer les États-Unis d’acteur de la sécurité régionale à force déstabilisatrice dans une zone où les tensions et les facteurs d’instabilité sont déjà nombreux.
1 Ce terme a été utilisé durant la rencontre en 1988 entre le dirigeant chinois Deng Xiaoping et le Premier ministre indien Rajiv Gandhi.
Légende de la photo en bandeau : Rupture - Crédit photo : Alenalele – Flickr.
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