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Comme un dimanche d'élections au Chili

Etienne Raison

18 novembre 2017

Le 19 novembre 2017, les Chiliens sont appelés aux urnes pour déterminer l’orientation politique du pays et trouver un successeur à Michelle Bachelet, qui ne peut briguer un deuxième mandat consécutif. Ce triple scrutin, présidentiel, législatif et régional, doit permettre d’amorcer un nouveau cycle de quatre ans, en renouvelant également la Chambre des Députés et la moitié du Sénat. Vers quel avenir politique le Chili s’oriente-t-il ?

Un enjeu constitutionnel

Ces élections vont constituer une première dans l’histoire politique chilienne : depuis la Constitution de 1980 établie sous le régime de Pinochet (1974-1990), le système de scrutin binominal, unique au monde, favorisait largement le statut quo, et la formation de larges coalitions gouvernementales. Dans le système binominal chilien, les candidats se regroupent dans des listes ensuite proposées aux électeurs dans chaque circonscription. Si la liste qui arrive en tête des suffrages regroupe plus de 66 % des voix, ses deux représentants sont élus, dans le cas contraire un élu de chaque liste est élu.

Le résultat de l’élection de dimanche apportera également un premier élément de réponse à une question politique et juridique essentielle au Chili, celle de la conservation ou non de la Constitution de 1980. S'il était validé, ce projet de scrutin proportionnel rebattrait les cartes, permettant de renouveler en profondeur les bancs des deux chambres. Ce changement du mode de scrutin devrait permettre de déverrouiller un système politique cadenassé, dans lequel la droite est surreprésentée. Le scrutin binominal impliquait en effet un équilibre quasi-constant à l’Assemblée et empêchait toute réforme majeure. L’instauration de la proportionnalité devrait ainsi remédier à ce qui s'apparentait à une anomalie politique.

Le choix électoral de l’exécutif s’inscrit également dans ce débat. La couleur politique du futur chef de l’Etat constituera à ce titre une indication claire. La droite est en effet favorable à un maintien de la Constitution, mise en place sous la dictature en 1980, alors que la gauche souhaite au contraire des réformes constitutionnelles de grande ampleur, bien qu’elle n’a pas su les mettre en œuvre ces quatre dernières années.

Bureau de vote au Chili (Aire-vision.com.ar).

Une présidente impopulaire

Première présidente élue au suffrage universel d’Amérique du Sud en 2006, Michelle Bachelet avait également remporté la course à l’investiture suprême en 2013. Mme Bachelet a toutefois traversé un deuxième mandat bien plus difficile que le premier et sa popularité a atteint un niveau historiquement bas, entre 20 et 25 % d’opinions favorables, bien loin des 80 % de 2010[1]. Plusieurs réponses peuvent être avancées pour expliquer ce désamour. Les Chiliens reprochent à la présidente de ne pas avoir tenu ses promesses, notamment dans les domaines de l’éducation et de la fiscalité ; une certaine instabilité gouvernementale, puisque neuf remaniements ont été opérés durant le mandat ; mais aussi une affaire de corruption, impliquant directement son fils Sebastian[2]. Ce climat politique semble l’avoir affectée et elle a préféré prendre de la distance avec le scrutin, refusant d’afficher son soutien à un candidat en particulier.

Le jugement populaire est sévère pour la présidente, qui a par exemple tenu sa feuille de route environnementale en refusant notamment un projet minier dans une réserve nationale[3], et est parvenue à maintenir le chômage sous la barre des 7 % de la population active, et la croissance à plus de 2 %, selon l’OCDE[4], dans un contexte régional difficile. A cela, il faut ajouter plusieurs réformes sociales importantes comme la dépénalisation partielle de l’avortement, ou le projet de loi déposé pour la légalisation du mariage homosexuel.

Palacio de la Moneda, Santiago de Chile (Wikimedia commons).

8 candidats en lice pour l'élection présidentielle

Cette impopularité de la présidente sortante se traduit dans les dynamiques politiques actuelles puisque c’est le candidat de la droite, Sebastian Pinera, déjà au pouvoir entre 2010 et 2014, qui est en tête des sondages, avec près de 42 % des intentions de vote. Son principal concurrent, à la tête de la coalition gouvernementale de gauche, est Alejandro Guillier, ancien présentateur de télévision et figure montante de la gauche chilienne regroupant 20 % des intentions. Les deux favoris sont toutefois concurrencés par une outsider, Beatriz Sanchez. A la tête d’un regroupement de plusieurs partis de gauche, le Frente Amplio, cette journaliste de formation rêve de jouer les trouble-fêtes entre les deux poids lourds de la présidentielle que sont Guillier et Pinera. Son inexpérience constitue toutefois un frein et ses scores dans les sondages évoluent largement entre 9 et 19 % des intentions de vote[5].

On compte ensuite plusieurs petits candidats, le plus en vue étant Marco Enrique Ominami, chef de file du Parti Progressiste, crédité de 5 % des intentions de vote, bien loin des 20 % qu’il avait réalisé en 2014. Il faut également ajouter la centriste Carolina Goic (4 %), José Antonio Kast qui représente la droite dure chilienne (2 %), Alejandro Navarro, membre de la coalition gouvernementale (1 %) et Eduardo Artes (moins de 1 % des intentions de vote), le candidat des mouvements radicaux de gauche[6].

Un scrutin joué d’avance ?

Le second tour de l’élection présidentielle, prévu le 17 décembre 2017, devrait, sauf très certainement voir s’affronter Sebastian Pinera et Alejandro Guillier, sauf surprise de dernière minute.

Devant composer avec le bilan présidentiel de Michelle Bachelet, ce dernier propose un programme progressiste construit autour de trois axes majeurs que sont la santé, l’éducation et les retraites. Il souhaite également étendre les droits des Indiens Mapuches, et se présente comme le candidat écologiste, dans la droite lignée de la présidente sortante.

Il aura toutefois fort à faire face à Sebastian Pinera qui aspire à briguer un deuxième mandat après celui remporté en 2010. Contrairement à son adversaire, S. Pinera a réussi à fédérer les principaux courants de la droite et fait valoir non seulement son expérience politique, mais aussi sa réussite individuelle en tant qu’homme d’affaires accompli. Proche du régime de Pinochet – son frère José était un des fameux « Chicago Boys » - il a pleinement profité de la politique ultralibérale de la dictature et a fait fortune dans le crédit et l’immobilier. Malgré les accusations de corruption, le milliardaire avait ainsi réussi à séduire les Chiliens en 2010, en promettant de mettre au service du pays son savoir-faire entrepreneurial, avec pour objectif de créer plus d’un million d’emplois[7].

Les derniers sondages annoncent Sebastian Pinera en tête au soir du deuxième tour. Un report massif des voix des différents candidats en faveur d’Alejandro Guillier pourrait toutefois bouleverser la donne. Après la « vague rose » qui avait submergée l’Amérique du Sud au milieu des années 2000, avec notamment l’arrivée au pouvoir de Michelle Bachelet au Chili, Luiz Inacio Lulua da Silva au Brésil, ou encore Nestor Kirchner en Argentine, on semble aujourd’hui s’orienter vers une « vague bleue ». L’élection présidentielle chilienne va ainsi permettre de confirmer, ou bien nuancer, ce retour en force de la droite sud-américaine, déjà au pouvoir ces derniers mois dans les deux principaux pays du sous-continent, le Brésil et l’Argentine. Cette tendance prend tout son sens si l’on considère l’importance croissante prise par le régionalisme ces dernières années en Amérique du Sud, aussi bien en termes économiques que diplomatiques.

[1] Pardo D. (2017) “Elecciones en Chile: cuál es el legado de Michelle Bachelet y por qué es más valorado en el extranjero que en su país”, BBC Mundo, disponible sur http://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-41923937 , consulté le 16 novembre 2017.

[2] Martin C. (2016) “Chili : la présidente Michelle Bachelet dans la tourmente”, RFI, disponible sur http://www.rfi.fr/ameriques/20160607-chili-presidente-michelle-bachelet-tourmente, consulté le 16 novembre 2017.

[3] Rosendorn C. (2017) “Au Chili, Michelle Bachelet remanie son équipe économique à trois mois de l’élections”, Le Monde, disponible sur http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/09/02/au-chili-michelle-bachelet-remanie-son-equipe-economique-a-trois-mois-des-elections_5180098_3222.html, consulté le 16 novembre 2017.

[4] De Grandi M. (2017) “Fin de mandat difficile pour Bachelet au Chili“, Les Echos, disponible sur https://www.lesechos.fr/12/04/2017/LesEchos/22424-027-ECH_fin-de-mandat-difficile-pour-bachelet-au-chili.htm, consulté le 16 novembre 2017.

[5] Lopez Lenci G. (2017), “Cómo está Chile a una semana de las elecciones presidenciales”, El Comercio, disponible sur https://elcomercio.pe/mundo/latinoamerica/carrera-pinera-segundo-mandato-chile-noticia-473165, consulté le 16 novembre 2017.

[6] Briatte N. (2017) « Chili : perspectives et attentes des élections présidentielles et législatives du 19 novembre 2017 », Le Grand Soir, disponible sur https://www.legrandsoir.info/chili-perspectives-et-attentes-des-elections-presidentielles-et-legislatives-du-19-novembre-2017.html, consulté le 16 novembre 2017.

[7] LEGRAND C. (2010), “Pinera, le président milliardaire”, Le Monde, disponible sur https://lemonde.fr/ameriques/article/2010/01/18/pinera-le-president-milliardaire_1292975_3222.html, consulté le 16 novembre 2017.

Légende de la photo en bandeau : la présidente du Chili, Veronica Michelle Bachelet, pendant la fête de l’indépendance chilienne en 2009, photo de Alex Proimos (Wikimedia commons).

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