Depuis 2016, le Brexit est sans conteste l’une des crises majeures traversées par l’Union européenne. Cette séparation a pris des allures de feuilleton dont les conséquences dépassent l’Europe : elle affecte également les nations du Commonwealth, comme le Canada. Entre les États-Unis de Trump et une mère-patrie en plein divorce, qu’est ce que la Confédération doit redouter du Brexit ?
À la toute fin du mois de janvier 2020, le forum Canada 360° a été réuni en grande pompe à Toronto. Ce sommet économique, véritable Davos national, a rassemblé représentants des grandes entreprises et investisseurs institutionnels canadiens afin de discuter des futures orientations économiques de la Confédération. Sans grande surprise, le dossier du Brexit est revenu sur la table : celui-ci n’a pas été présenté comme une menace lourde. En effet, tous les voyants sont au vert pour l’économie canadienne, portée par un afflux de main d’œuvre très qualifiée, un chômage au plus bas, des ressources primaires toujours davantage et mieux exploitées.
Cette sérénité d’ensemble contraste assez nettement avec l’attitude européenne face à la sortie du Royaume-Uni hors de l’Union européenne. Question d’éloignement géographique ? L’argument ne tient pas, compte tenu de la très grande proximité entre Ottawa et Londres sur bien des plans… Au point où l’expression de continuité impériale a été employée, malgré la question québécoise.
Quelques semaines après le référendum du Brexit, le Canada et l’Union européenne signait l’Accord économique et commercial global, plus connu sous son acronyme anglais de CETA. Le patronat canadien s’inquiétait de la viabilité de cet accord commercial alors que le Brexit venait d’avoir lieu, au point que l’université McGill (Montréal) ouvre une chaire de recherche sur les conséquences du Brexit au Canada. Quelque quatre années plus tard, Ottawa doit-elle redouter des effets collatéraux ? Et si oui, de quelle nature sont-ils ?
Un péril commercial ?
Si l’Empire britannique est, historiquement, une construction avant tout économique, il faut garder à l’esprit que son héritage au Canada est quasiment résiduel aujourd’hui. Seulement 4 % des exportations canadiennes sont dirigées vers le Royaume-Uni, et les produits britanniques ne représentent que 2 % des importations de la Confédération. Depuis le New Deal de Roosevelt, contemporain de la construction de l’État-Providence canadien sous l’égide de Mackenzie King (1874-1950), l’économie canadienne est orientée vers le continent américain. Autrement dit, son premier partenaire commercial est son voisin américain, véritable « éléphant avec lequel le Canada partage son lit », selon le mot de l’ancien Premier ministre Pierre-Elliott Trudeau.
Le Brexit ne suscite donc pas une panique comparable à celle que l’on a observée à Toronto après l’élection de Donald Trump. Seront tout au plus affectés les marchés des alcools et des automobiles, avec des pertes de pouvoir d’achat qui seront, en particulier pour les touristes canadiens, largement compensées par la dévaluation de la livre. Reste cependant à ménager une sortie harmonieuse du Royaume-Uni du CETA, et ce d’autant plus que Londres reste le nœud par lequel transitent 40 % des flux canadiens dirigés vers l’Europe continentale.
Ce point n’est toujours pas éclairci à l’heure actuelle. Certes, les Britanniques, rangés derrière le ministre en charge du Brexit Dominic Raab, invitent Ottawa à la table des négociations depuis le premier semestre 2019. Pour autant, le pouvoir fédéral n’est guère pressé de répondre, préférant ne pas réactiver une « préférence impériale » dont le Canada a longtemps cherché à se débarrasser au nom de l’indépendance nationale. Pour l’instant, c’est une fixation provinciale des tarifs douaniers sur les produits transitant entre Canada et Royaume-Uni qui est envisagée.
De la discorde impériale aux tensions communautaires
Davantage que sur le plan économique, c’est plutôt sur le plan politique que le Brexit peut avoir des conséquences au Canada. D’une part, la sortie du Royaume-Uni hors de l’UE est vue très différemment selon les tendances politiques. Si 64 % des Canadiens se déclarent plutôt défavorables au Brexit, ils sont 76 % des électeurs libéraux à l’être, contre seulement 43 % des sympathisants conservateurs. D’autre part, cette donnée varie également en fonction de la province considérée. Ainsi, plus des trois quarts des Québécois éprouvent ainsi de la sympathie pour l’Union européenne ; quand les provinces formant le cœur de l’ancien Canada anglais (Ontario, Ouest canadien) sont plus indifférentes envers Bruxelles.
L’opinion publique est divisée mais l’enjeu politique est ailleurs. Le Canada est importante terre d’émigration anglo-saxonne. De ce fait, les conflits que l’on observe au Royaume-Uni s’y sont donc tout naturellement exportées. Le spectre des tensions entre Canadiens-Irlandais, Canadiens-Écossais et Canadiens-Anglais pourrait bien être réveillé, comme on l’avait observé pendant les années 1970.
Finalement, c’est aussi avec le regard du scientifique sur l’éprouvette que le Canada observe ce qui se passe dans l’Union européenne traversée par la question du Brexit. En effet, Ottawa fait face à d’inédites contestations du modèle fédéral. Celles-ci n’émanent plus tant du Québec que des provinces de l’Ouest canadien, en particulier l’Alberta. Depuis cette province s’élèvent en effet des appels au Wexit, à l’issue duquel se créerait un Canada occidental indépendant. Tant chez les fédéralistes que chez les anti-fédéralistes, il y a donc d’importantes leçons à tirer du Brexit — et ce sans doute davantage que de choses à craindre.