Cet article est rédigé grâce à la coopération entre l'Institut Open Diplomacy et touteleurope.eu.
Cinq jours après que 51,9 % des électeurs britanniques ont voté en faveur d’une sortie du Royaume-Uni hors de l’Union européenne, la session plénière extraordinaire du Parlement européen de ce 28 juin à Bruxelles – en présence de l’ensemble du collège des Commissaires européens – était à la hauteur de l’événement : exceptionnelle, historique, chahutée. Et révélatrice du désarroi actuel.
Garder la tête froide dans les débats sur le Brexit ?
S’il est un sujet sur lequel les parlementaires britanniques et des autres Etats membres, comme le Conseil, sont d’accord, c’est la volonté de faire preuve de pragmatisme, de ne pas laisser l’émotion l’emporter dans les débats à venir. Pour Jeanine Hennis-Plasschaert, présidente du Conseil européen (et représentant à ce titre les 28 États membres), « nous avons besoin d'unité pour faire face aux enjeux de cette période complexe [et] surmonter ces défis très complexes, qui ignorent les frontières ».
Garder la tête froide, c’est prendre acte du vote des Britanniques et avancer le plus vite possible : le Parlement européen a ainsi demandé dans une résolution adoptée à une large majorité, à ce que la procédure de l’article 50 du Traité de l’Union européenne – qui prévoit la possibilité pour un État membre de quitter volontairement et unilatéralement l’UE – soit activée immédiatement. Car la majorité des Eurodéputés souhaite avant tout éviter l’incertitude qui ne pourrait que grandir à la faveur d’une période d’entre-deux prolongée. « Incertitude », c’est le mot-clé de cette plénière : « nous ne pouvons pas nous installer dans une incertitude prolongée » selon Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne) ; « il faut mettre le plus tôt possible fin à cette incertitude, climat toxique [que nous ne pouvons nous permettre] ni nous ni vous » souligne Guy Verhofstadt, président du groupe centriste ADLE.
Des débats entre émotion et tensions
Si les appels à la raison fusent, ils ne sauraient faire oublier que le résultat de ce référendum est douloureux pour nombre de présents, entre tristesse, déception et « sentiment de deuil », selon les termes du président du Parlement Martin Schulz en conférence de presse. « Avec mon cœur, ma raison, je suis un Européen convaincu. Je suis bavarois, je suis allemand, je suis citoyen européen » a ainsi déclaré Manfred Weber, président du groupe des démocrates-chrétiens PPE, de même que le député Verts/ALE Alyn Smith : « je suis fier d’être Ecossais et fier d’être Européen ».
Car le Brexit place l’UE à un tournant majeur de son histoire, et face au risque de sa propre désintégration. Les semaines et mois à venir ne seront certes pas de tout repos ; les tensions affleurent. Nigel Farage, eurodéputé britannique, co-président du groupe eurosceptique EFDD, un des leaders de la campagne en faveur du « Leave », les cristallise particulièrement. Si Jean-Claude Juncker est « surpris » de le voir à la plénière, Manfred Weber s’insurge : « si Nigel Farage avait un minimum de décence il présenterait ses excuses au peuple britannique » pour les mensonges véhiculés tout au long des dernières années. Et Gianni Pittella, président du groupe socialiste et démocrate S&D, d’accuser : « vous n’avez pas œuvré pour le bien de votre pays, et l’histoire en apportera la preuve ».
La réponse ne tarde pas, le président de l’UKIP savourant sa victoire sans se priver de narguer ses collègues : « lorsque je suis arrivé au Parlement il y a 17 ans en disant que je voulais mener campagne pour sortir la Grande-Bretagne de l'UE, vous m'avez ri au nez ; aujourd'hui vous ne riez plus ». Continuant dans la même veine : « je me réjouis de pouvoir fêter dès l’année prochaine le 23 juin ».
Et Guy Verhofstadt de conclure que le Brexit aura au moins une conséquence positive : « nous débarrasser de ce que nous payons depuis des années sur le budget européen, le salaire de N. Farage ».
La confusion et la peur guettent
« La confusion actuelle est généralisée » souligne Younous Omarjee, eurodéputé français membre du groupe GUE/GNL. Car que faire, quand commencer les négociations de sortie de la Grande-Bretagne, quelle priorité pour l’action européenne ? Cette plénière exceptionnelle du Parlement européen a mis en lumière les « vraies cassures entre visions » radicalement opposées.
Face à « la haine, le désespoir qui se développent sur le continent européen » (G. Pittella), « face aux problèmes économiques et sociaux non résolus, et aux peurs identitaires ignorées » (Y. Omarjee) la fracture politique, idéologique, est européenne et britannique. La représentation parlementaire du pays est déchirée entre eurosceptiques savourant leur victoire en arborant fièrement pour certains le drapeau britannique à leur place, et défenseurs du « Remain ». Comme A. Smith, salué par une standing ovation : « l’Ecosse ne vous a pas laissé tomber, ne laissez pas tomber l’Ecosse ! », ou Martina Anderson, membre du groupe d’extrême-gauche GUE/GVN, du Sinn Féin, appelant à respecter et défendre « le souhait du peuple d’Irlande du Nord de rester dans l’UE ».
On comprend d’autant mieux les appels à raison garder, à surmonter les différences, lancés par la majorité du spectre politique du Parlement européen à l’exception des eurosceptiques. De même Jean-Claude Juncker a pris le soin de rappeler que « ceux que l’on appelle les nouveaux Etats membres sont des Etats membres à part entière », ou, non sans un certain lyrisme : « le vote britannique nous a coupé des ailes, mais nous continuons de voler, vers un objectif fixé par les traités et par la volonté de nombreux Européens ».
Prophétie auto-réalisatrice ? La tentation est facile de rester dans l’incantation, de ressasser des formules peut-être trop souvent utilisées à géométrie variable pour qu’elles aient encore un sens mobilisateur : une Europe plus efficace, plus efficiente, plus mobilisatrice, plus attractive. L’eurodéputé polonais membre du groupe eurosceptique Ryszard Antoni Legutko a beau jeu de critiquer le ressassement des « mêmes mots, mêmes critiques, simplement avec un peu plus d’émotion ».
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Une phrase de Jean-Claude Juncker résume sans doute bien le sentiment d’une majorité d’Eurodéputés : « je ne suis pas un robot, pas un bureaucrate, pas un technocrate, je suis un être humain, un européen, et j'ai le droit de dire que je regrette le vote des Britanniques ». Et une détermination : « Je vais jusqu’à mon dernier souffle combattre pour l’Europe unie ».
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