La production africaine de déchets va tripler d’ici 2050. Avec sa dynamique démographique, son urbanisation galopante et des systèmes de traitement insuffisants, le berceau de l’humanité voit ses déchets s’amonceler encore et encore créant de véritables nids à maladies, le plus souvent dans les quartiers les plus défavorisés.
La pandémie de la Covid-19 alourdit davantage le bilan en freinant les initiatives de réduction de déchets et en générant encore plus. Ces déchets ayant des effets néfastes pour la santé et pour l’environnement, il apparaît urgent pour les gouvernements africains de développer des filières de collecte et de traitement.
En finir avec les déchets occidentaux
Cette prise de conscience n’est pas nouvelle puisque déjà en 1991 fut signée la Convention de Bamako, aujourd’hui ratifiée par 29 pays africains, interdisant l’importation en Afrique des déchets dangereux. À l’occasion de sa troisième conférence des parties (COP 3), qui s’est tenue à Brazzaville en février 2020, une série de décisions fut adoptée réaffirmant l’engagement des parties à renforcer la Convention pour empêcher le rejet des déchets non désirés et promouvoir une gestion rationnelle des produits chimiques et autres déchets produits sur le continent. Les parties ont d’ailleurs adopté un barème commun pour augmenter leurs contributions financières à la Convention.
En outre, il fut convenu pendant la COP 3 de travailler à l’articulation de la Convention avec celles de Bâle, au niveau du contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux, et de Rotterdam pour l’encadrement des produits toxiques. En bref les pays africains ne veulent plus être les éboueurs de l’Occident ! Mais malheureusement, réduire les importations de déchets extérieurs ne suffit pas à éradiquer le problème de traitement des déchets africains. Avec 174 millions de tonnes produites en 2016 et les 500 millions en 2050, les déchets subsahariens sont un problème de poids !
Si les États africains travaillent à construire leurs propres systèmes de gestion et traitement des déchets, le chemin est encore long avant de voir émerger des filières de traitement performantes. À Lagos au Nigéria, plus grande mégalopole africaine, moins de la moitié des ordures sont collectées, avec une infime partie de matériaux recyclables récupérés. En outre, les normes strictes relatives à la collecte, au traitement et à l’élimination des déchets dans les pays développés ont entraîné le développement d’un trafic illégal vers l’Afrique, malgré la convention de Bamako. Au-delà des aspects humains et financiers, la question des déchets reflète la crédibilité des gouvernements africains à appliquer leurs politiques.
Inaugurée par le gouvernement éthiopien le dimanche 19 août 2018, la première centrale d’incinération africaine est entrée en fonctionnement à Addis-Abeba. En valorisant quotidiennement 1400 tonnes de déchets, cette structure aurait la possibilité d’alimenter la moitié de la ville en électricité. De l’autre côté du continent, au Sénégal, le président Macky Sall a lancé en 2020 des « Cleaning Days », des journées mensuelles de nettoyage de la ville de Dakar.
Malgré l’émergence de nombreuses initiatives, l’Organisation des Nations unies pointe un réel retard dans la mise en place des systèmes de traitement. Dans sa synthèse pour les décideurs intitulée « L’avenir de la gestion des déchets » l’Onu met en lumière, entre autres, un taux de collecte insuffisant et une élimination anarchique. Malgré le développement du tri, la synthèse évalue à seulement 4 % les déchets solides municipaux (DSM) recyclés, bien loin de l’objectif de 50 % de déchets recyclés en 2023 annoncé par l’Union africaine. Les auteurs du rapport de l’Onu soutiennent qu’en séparant les déchets organiques et autres produits complexes, tels que les équipements électroniques pour les réinjecter dans des filières de compostage et les filières de réparation, les 50 % seraient aisément atteignables, voire dépassables.
Si les filières de traitement africaines ont besoin de déchets électroniques et de forts gisements pour se développer, elles peuvent compter sur leurs « amis » européens pour leur en fournir. Malgré la Convention de Bâle, beaucoup de déchets d’équipement électriques et électroniques (DEEE) sont acheminés dans les pays africains. Les transporteurs détournent les termes du traité en déclassant leurs déchets en appareils d'occasion. Selon une étude commanditée par l’Agence américaine de protection de l’environnement et relayée par le think tank africain WATHI, sur les 60 000 tonnes d’appareils importés au Nigeria au cours de la période 2015-2016, près d’un tiers ne seraient pas fonctionnels et constituent des déchets dissimulés.
Au-delà des traités et des importations illégales, pourquoi les pays africains éprouvent-ils de telles difficultés à traiter leurs déchets ?
Des initiatives locales pour un problème global
La typologie des modes de collecte nous donne des premiers éléments de réponse. Du fait du fort accroissement démographique, les grandes capitales du continent enregistrent une forte « bidonvilisation ». Ces quartiers pauvres, le plus souvent dénués de toutes règles d'urbanisme, coupent les foyers les plus précaires des grands axes routiers qui sont desservis par les collecteurs de déchets. La conséquence est la création de dépôts sauvages. Ces gisements informels prennent de cours les dirigeants et leurs politiques de gratuité de collecte des déchets ménagers. En effet, ces dépôts doivent faire l’objet de prestations de pré-collecte payantes pour amener les déchets des africains les plus démunis aux points de collecte desservies par les collecteurs.
En bref, l’accroissement de la consommation africaine et les dysfonctionnements des filières font que le continent est submergé par les déchets et court droit à la catastrophe.
En mars 2021, un nouveau rapport du programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) mettait en garde contre la vulnérabilité des populations marginalisées vis-à-vis des déchets plastiques. Les émissions toxiques dans l’air, la terre et les cours d’eau entraînent une dégradation des ressources pour les pêcheurs, agriculteurs et plus généralement les personnes habitant à proximité des décharges - souvent des communautés marginalisées. Les personnes assurant le tri - le plus souvent des femmes - sont exposées aux multiples substances dangereuses liées à la détérioration des produits industriels. Les maladies occasionnées fragilisent leur accès à d’autres droits fondamentaux tels que l’éducation et l’accès à des soins de qualité. C’est l’ensemble des objectifs du développement durable qui sont affectés par la mauvaise gestion des déchets.
Que ce soit par la sensibilisation des pays riches sur les enjeux d’économie circulaire, par la mise en place de structures performantes dans les pays africains ou par l’accompagnement des populations dans le changement des pratiques de tri, la lutte contre les déchets doit passer par une approche multicritère et globale. Loin d’entraver la conjoncture actuelle d’ailleurs, la Covid-19 n’a fait qu’aggraver la situation en augmentant drastiquement la production de plastique à l’échelle mondiale.
La Banque africaine de développement l’a bien compris et donne une place prépondérante à l’économie verte dans sa stratégie décennale (2013-2022). Elle a ainsi permis d’aider plusieurs pays à élaborer des stratégies de croissance verte en les accompagnant dans l’intégration des principes de l’économie circulaire et en leur fournissant une série d’instruments financiers sur mesure favorisant l’innovation, notamment par le biais de projets à fortes valeurs environnementales. L’un des axes de cette stratégie est de développer le secteur privé et l'entrepreneuriat. Autrement dit, la banque africaine s’en remet aux entreprises privées pour initier l’économie verte en Afrique.
Lors de la Conférence des ministres africains chargés de l’environnement en 2019, plusieurs voies se sont élevées en ce sens avec différentes préconisations : l’harmonisation des réglementations en matière de gestion environnementale, création de mécanisme d’aides pour les entreprises souhaitant mettre en œuvre des pratiques de consommation et de production viables à long terme.
Un continent à la croisée des chemins
A l’occasion d’un dialogue entres chefs d’état au début du mois d'avril 2021, le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, avait déclaré : « L'Afrique est le continent qui a le moins contribué à la crise climatique, mais qui est confronté à ses effets les plus dévastateurs. Elle mérite donc le soutien et la solidarité les plus forts possibles ».
Face à la gravité de l’enjeu, il est vital d’opérer une transformation profonde du continent africain pour que ce dernier s’adapte aux conséquences du dérèglement climatiques avec un coût d’adaptation estimé selon l’Onu à 70 milliards de dollars américains. Du fait de la multiplication des catastrophes naturelles, ce chiffre devrait grimper à 140 à 300 milliards en 2030 et 280 à 500 milliards en 2050, soit un quart du PIB de la France.
La question des déchets en Afrique est centrale, car transversale. Il est nécessaire de changer de paradigme économique pour les États européens et de garantir aux pays africains une forme de souveraineté dans un contexte d’épuisement des ressources, qui sera encore aggravé par le dérèglement climatique. L’importation des déchets, l’insalubrité générée par l’absence de traitement fragilise des millions d’Africains. Ce sont malheureusement ses populations qui sont les plus vulnérables face aux problèmes climatiques.
L’initiative appartient désormais aux pouvoirs publics qui doivent concrétiser leurs nombreux engagements tant en matière d’harmonisations réglementaires que de politique d’investissement. Nul doute que ces engagements peuvent générer des tensions et qu’ils devront faire preuve de fermeté vis-à-vis des grands producteurs de déchets comme l’Europe, la Chine, ou encore l’Inde. Car face aux velléités des grandes entreprises et à l’impératif d’investissement, la Banque africaine de développement et l’Union africaine doivent faire un jeu d’équilibriste en apportant leurs aides aux projets d’installations tout en s’assurant une prise en compte réelle des aspects environnementaux dans un contexte ou la réglementation locale reste limitée.
Les instances dirigeantes avancent lentement mais des programmes voient le jour, que ce soit la publication d’un guide de création d’une feuille de route présentée lors du dernier Forum de l’African Circular Economy Alliance ou la forte augmentation des financements climatiques de la Banque africaine de développement (9 % à 36 % entre 2016 et 2019). Ces fonds, généralement destinés à l’atténuation des effets climatiques, ne constituent pas une source de financement significatif pour l’émergence de systèmes de recyclage.
En ce sens, l’initiative menée par la Korea-Africa Economic Cooperation - KOAFEC - est plus prometteuse : elle vise à traiter spécifiquement les questions de gestion des déchets et de valorisation des ressources.
L’argent si chèrement débloqué par les grandes instances onusiennes doit nécessairement être favorable aux populations elles-mêmes, et non à une caste dirigeante. Il ne s’agit pas seulement de tendance économique ou environnementale mais bien de responsabilité politique. En 2019 d’ailleurs, à l’occasion de la Journée mondiale de l’habitat, le Secrétaire général de l’Onu, António Guterres avait exhorté les villes à prendre à bras-le-corps le problème des déchets dans leurs développement : « nous devons encore investir bien davantage pour améliorer véritablement notre gestion des déchets […]. Si les villes prennent l’initiative et si les technologies de pointe sont couramment utilisées, nous pouvons accomplir de grandes avancées sur la voie du développement urbain durable ».
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Baptise Marie-Catherine, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille sur la biodiversité et la gouvernance africaine de l'environnement.