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À Washington, les réunions de printemps FMI / Banque mondiale, creusets des idées économiques et sociales

par Pauline Leduc & Martin Desbiolles, reporters de l’Institut Open Diplomacy aux réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, avril 2017

20 avril 2017

Les fleurs de cerisier, symboles du printemps et du renouveau, n’ont pas fini d’éclore que débutent ce vendredi 21 avril trois jours de réunions de printemps du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM). Un sommet qui s’annonce en demi-teinte, a prévenu le 12 avril la Directrice générale du FMI Christine Lagarde, en déplacement à Bruxelles. Mme Lagarde a promis ainsi de « bonnes nouvelles », telles que la reprise d’une tendance de croissance : l’économie mondiale est repartie à la hausse, a confirmé le 18 avril Maurice Obstfeld, le directeur du Département de recherche du FMI, avec une croissance de 3,1 % en 2016, et des prévisions de + 3,5 % en 2017 et + 3,6 % pour 2018. Mais Christine Lagarde a également annoncé de « moins bonnes nouvelles » : une productivité mondiale qui, elle, ne croît pas, et la nécessité de s’assurer que ce nouveau moment de croissance soit durable.

Du 21 au 23 avril, que peut-on attendre de ces deux institutions alors que leur rôle et l'idéal libéral qu'elles incarnent sont de plus en plus remis en question, partout à travers le monde ? Comment le FMI et la Banque mondiale entendent-ils se positionner sur les nombreux autres défis, du terrorisme au climat, qui font les unes des journaux ?

Mettre fin au commerce international : un suicide à éviter ?

A l’ordre du jour de ces réunions de printemps, le commerce international. Pour le FMI, il n’y a pas de contradictions, mais plutôt une complémentarité entre les politiques nationales et le soutien au développement du commerce international. L’articulation de ces deux politiques serait même une nécessité : « Nous avons besoin à la fois de politiques nationales solides et d’un attachement réel au principe de la coopération internationale », soulignait Christine Lagarde le 12 avril dernier.

La directrice générale du FMI Christine Lagarde s’exprime le 12 avril 2017 à Bruxelles

sur les enjeux économiques mondiaux - Source : FMI, capture d’écran.

Un point à réaffirmer pour les représentants des institutions internationales, alors que la mondialisation et le libre-échange font l’objet de plus en plus de critiques. La fin de l’année 2016 a en effet vu le triomphe du repli britannique, sous un modèle de hard Brexit, et surtout l’élection aux Etats-Unis de Donald Trump, qui a axé une partie de sa campagne sur la critique du système international actuel et de l’ouverture des Etats-Unis à l’économie mondiale. Cette ouverture aurait surtout profité à la Chine, au détriment de la balance commerciale américaine et des emplois dans le secteur secondaire. Alors que Washington était traditionnellement un fervent supporter du libre-échange et de la suppression des barrières commerciales, le nouveau président américain affirmait pendant sa campagne souhaiter relever les taxes à l’importation, jusqu’à 45 %, notamment sur les produits manufacturés chinois.

D’autant que les élections à venir en Europe, en France - avec l’élection présidentielle les 23 avril et 7 mai prochains - et en Allemagne - législatives de septembre - sont elles aussi sources d’incertitudes. En France, huit candidats sur onze s’affichent ouvertement eurosceptiques et, dans le peloton de tête, Jean-Luc Mélenchon souhaite même se distancer des institutions internationales que sont le FMI et la Banque mondiale. En Allemagne, le parti AfD (Alternative pour l’Allemagne), qui se revendique eurosceptique, anti-immigration et partisan d’une ligne dure face à la Grèce - alors que le FMI est partisan d’une restructuration de la dette grecque, sans en préciser les modalités1 - a dépassé le parti de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel dans les sondages fin 2016 et s’y maintenait en troisième position en février 2017.

Néanmoins, porter un coup d’arrêt à l’internationalisation des échanges, chercher à se retirer du commerce international, « ce serait s’infliger une terrible blessure à soi-même », prévenait Christine Lagarde le 12 avril.

D’autant que pour le FMI, les échanges internationaux et commerciaux sont également propices à l’innovation, et donc permettraient d’accroître la productivité des économies.

La productivité, fer de lance des réunions d’avril 2017

En haut de la liste des sujets qui seront abordés lors de ce sommet FMI - Banque mondiale, figurent donc les moyens d’accroissement de la productivité.

« La faiblesse de la croissance de la productivité - telle que mesurée par les économistes du FMI - est un phénomène qui tend à s’enraciner et demeure mystérieux », expliquait Christine Lagarde à Bruxelles, le 12 avril dernier. « [Ce phénomène] n’est pas seulement une des conséquences de la crise économique, il a été aggravé par la crise ».

De l’avis du FMI, les faibles gains de productivité résultent de problèmes structurels et demandent de mener des réformes profondes des systèmes économiques nationaux. Christine Lagarde souligne notamment l’importance des politiques d’innovation et de formation, identifiées comme étant des facteurs essentiels à la croissance de la productivité. Le commerce international a aussi un rôle de taille à jouer : la directrice générale du FMI a ainsi chiffré à 10 % la part des gains de productivité qui auraient été permis par la plus grande insertion de la Chine dans l’économie mondiale. Seront donc explorées lors des réunions les propositions visant à soutenir les échanges internationaux et l’innovation, au sein des pays émergents comme des pays développés.

Vers la création d’un cadre économique favorable à la protection de l’environnement ?

Autre moment très attendu de ces réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale : la présentation du rapport de la Commission de haut-niveau sur la valeur de l’action climatique présidée par Joseph Stiglitz et Lord Nicholas Stern2, mise en place par Ségolène Royal à l’aube de la COP 22 de Marrakech, en novembre 2016.

Afin de soutenir les Etats partis de la COP dans leur lutte contre le réchauffement climatique, la Commission Stern-Stiglitz a été chargée de déterminer un prix de référence équivalent au coût des dégâts causés par l’émission d’une tonne de CO2. Si l’idée d’évaluer le coût de la pollution et de le rendre visible n’est pas nouvelle, il n’a jusqu’à présent pas été possible de fixer un prix du carbone dans les enceintes internationales. En 2009, la Conférence de Copenhague s’est ainsi confrontée - sans succès - à la difficulté de concilier la demande des économies développées, et surtout de l’Union européenne, de fixer des quotas d’émission et de permettre les échanges de quotas à un certain prix, et la revendication des émergents à poursuivre leur croissance, sans se voir imposer ce qui était perçu comme un fardeau supplémentaire. En avril 2017 à Washington, il sera question de donner corps à la COP 21 de Paris, qui a affirmé une volonté commune de combattre le réchauffement climatique, mais n’a fixé ni quota, ni prix pour les émissions carbonées.

Contre-manifestation, refusant l’introduction d’un prix-carbone, lors de la Journée internationale de l’environnement, à Melbourne (5 juin 2011) - source : Qian, Mugfaker via Flickr.

Ces réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale fourniront également un forum pour réfléchir aux questions relatives à l’accès à l’énergie pour tous et aux choix de transformation des mix énergétiques, en particulier dans les pays en développement. Les pays d’Asie seront au coeur des discussions : leur demande en charbon devrait être en effet multipliée par trois d’ici 2040, contribuant ainsi à tirer vers le haut la demande mondiale en énergie - qui devrait croître d’un tiers au cours des 15 prochaines années, selon les prédictions de l’Agence internationale de l’énergie3.

Vers de nouvelles orientations économiques sur fond de discordes internationales et d’antagonismes profonds ?

Le programme des réunions printanières du FMI et de la Banque mondiale ne se résume donc pas à la seule prise de la température de l’économie mondiale. Il s’attache à étudier et proposer des solutions à l’ensemble des défis auxquels se trouve aujourd’hui confronté, dans une plus ou moins grande mesure, chaque État : la résolution des conflits violents et la place que peut jouer la société civile, la protection des communautés prises au piège de luttes pour les ressources naturelles, les combats contre la corruption, la lutte contre les discriminations (notamment de nature économique à l’encontre des femmes), ou encore les questions d’éducation et de formation - dans les pays développés mais aussi pour les jeunesses dans les pays les moins avancés.

Un exemple : l’Ambassadeur des Etats-Unis au Pakistan, David Hale, se réjouissait le 13 avril dernier de la venue à Washington du Ministre des finances Ishaq Dar, « afin de renforcer les liens entre les Etats-Unis et le Pakistan », ajoutant que « les précédentes visites et l’engagement du Ministre [avaient] considérablement contribué à valoriser l’image et la visibilité du Pakistan ». Ce dernier s’est réjoui de pouvoir ainsi consolider la « relation bilatérale entre les deux pays » et a mentionné le progrès des « réformes économiques en cours, en particulier dans le domaine de l’énergie »4.

Économistes et leaders financiers seront néanmoins très attentifs : ces rencontres de printemps pourraient permettre d’en apprendre davantage sur la politique économique de Donald Trump, notamment en matière de coupes (ou non) dans les fonds d’aide internationale aux organisations et Etats partenaires. M. Trump a jusqu’à présent supprimé le financement des Etats-Unis au Fonds de l’ONU pour la population et exigé une meilleure répartition du financement de l’OTAN, appelant les Européens à des “progrès” en la matière. Une question qui se pose également pour les pays du Nord en général, tiraillés entre d’une part les promesses formulées dans le cadre de la Conférence internationale sur le financement du développement d’Addis-Abeba (Ethiopie) en juillet 2015, qui fixait comme objectif pour les pays développés de consacrer 0,7 % de leur PIB à l’aide au développement, et d’autre part leur désir de limiter leurs dépenses publiques.

Si le programme des réunions de printemps du FMI et de la Banque Mondiale dément l’image négative que véhiculent les détracteurs de ces institutions internationales, qui voudrait qu’elles restent figées dans leur « tour d’ivoire », reste à savoir si les demandes de tous seront bien écoutées et si des accords pourront être trouvés, malgré l’accroissement des antagonismes entre riches et pauvres - sur la scène internationale, comme à l’échelle nationale - et la montée des mouvements, souvent populistes, dénonçant l’actuel système international. Printemps des peuples, ou saison en enfer...

1 M. Chenouard, T. Millotte, C. Peguet, «A la veille d'une vague d'élections, la crise grecque embarrasse l'Europe », Arte, 21 février 2017 - consulté le 17 avril 2017, accès en ligne : http://info.arte.tv/fr/annee-electorale-en-europe-la-crise-grecque-dans-limpasse

2 Ministère de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer, «Commission Stiglitz – Stern : révéler la valeur de l’action climatique », 6 février 2017 - accès en ligne : http://www.developpement-durable.gouv.fr/commission-stiglitz-stern-reveler-valeur-laction-climatique

3 Agence internationale de l’énergie, OCDE, «World Outlook 2015 », 2015 - accès en ligne : https://www.iea.org/publications/freepublications/publication/WEO2015ES_FRENCH.pdf

4 « Dar’s US visit to strengthen relations: US Ambassador », Samaa TV, 13 avril 2017 - accès en ligne :

https://www.samaa.tv/pakistan/2017/04/dars-us-visit-to-strengthen-relations-us-ambassador/

Légende de la photo en bandeau : Washington, D.C., April 18, 2017 (c) Pauline Leduc / Open Diplomacy.

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