Revenir au site

COP27 : financer l’infinançable ?  

| Victor Dupasquier, Junior Fellow à l'Institut Open Diplomacy

5 décembre 2022

Comme l’a très bien résumé Frans Timmermans, Vice-président de la Commission européenne, à la fin de la conférence : « nous aurions dû faire beaucoup plus ! »

Du 6 au 20 novembre 2022 s’est tenu à Sharm-El Sheikh la 27ème Conférence des Parties (COP) des Nations Unies. Cette conférence, la cinquième en Afrique, avait un fort potentiel d’avancement : depuis l’accord de Paris, il s’agissait de la première COP se concentrant uniquement sur la mise en place des objectifs et non plus sur leur redéfinition. Si une vague de critiques a déferlé sur l'événement en raison de son bilan carbone et du peu de mesures contraignantes adoptées, ceux qui savent la difficulté de négocier à l’échelle mondiale ont attesté de progrès historiques.

Une des grandes victoires diplomatiques vient de la meilleure prise en compte de la parole du G77, ouvrant la voie à une avancée marquante sur le volet des pertes et dommages. En effet, Sharm El-Sheikh s’est différencié en ce sens que la structure de négociation s’est avérée inhabituelle : les pays du Sud, forts de leur soutien chinois et de leur nombre – qu’ils ont fait valoir comme potentiels votes à l’ONU sur d’autres questions -, n’ont pas vraiment proposé de contreparties aux avances des pays développés.

Selon un rapport présenté par Nicholas Stern, titulaire de la chaire sur le changement climatique à la London School of Economics, les pays du Sud auraient un besoin de financement de l’ordre de deux-mille milliards de dollars. Cet argent serait nécessaire pour effectuer une transition vers une économie viable écologiquement et faire face au changement climatique qui frappe prioritairement ces pays. Alors qu’au moins la moitié de cette somme doit provenir des pays développés - détenteurs des capitaux et responsables d’une large part des dérèglements -, le Nord a su envoyer des signaux forts, nécessaires à un rétablissement de la confiance Nord/Sud. Ainsi, en plus d’avoir voté la création d’un fonds international d’aide aux victimes du réchauffement climatique, les pays développés ont apporté leur soutien à l’agenda de Bridgetown et aux réformes de la Banque Mondiale et du FMI. Ce fonds vert, attendu de longue date par certains, est pourtant apparu comme une surprise puisque que la COP26 ne l'avait pas prévu avant 2023.

D’autres accords prometteurs ont vu le jour en Égypte. La signature du Just Energy Transition Partnership (JET-P) Indonésien, qui a eu lieu juste après la présentation très positive du JET-P Sud-Africain signé l’année dernière, a démontré une nouvelle fois que le Nord commençait à comprendre réellement le besoin de financement au Sud. Le G77, en acceptant de flécher les financements aux pays les plus dans le besoin, a également accepté sa part de responsabilité. D’ailleurs différents comités ont été mis en place pour éviter que les annonces deviennent des coquilles vides, et une quarantaine de pays se sont engagés à distribuer 350 millions de dollars pour soutenir les économies les plus touchées par la crise écologique.

De notables avancées sont aussi à prendre en compte dans le contenu des débats. Les poussées des leadership allemands et chiliens – entre autres - ont véritablement démontré la dé-corrélation entre besoins exponentiels de financement et stagnation des ressources. La mise en place du « Global Shield », mécanisme assurantiel de compensation, a vocation à réduire ce problème. En outre, la volonté de l’UE d’aligner tous les flux financiers sur l’accord de Paris a relancé les discussions sur la structure financière mondiale et sur l’article 2.1 de ce dernier. La notion de « net-zéro » a, quant à elle, été critiquée, la compensation n’étant plus considérée comme un moyen effectif de lutte. Les débatteurs ont ainsi invité les pays à ne pas s’en contenter. Enfin, le soutien de plusieurs acteurs de poids tels que l’Inde et les États-Unis à la proposition d’inscrire au texte final la nécessité de la sortie progressive de tous les fossiles pourrait poser les bases d’un front fort et uni en faveur d’une rapide transition énergétique.

 

Cependant cette alliance sera à réaffirmer l’année prochaine, alors que ces propositions ambitieuses, en faisant pression sur les pays de l’OPEP, ont paradoxalement failli compromettre les avancées sur le financement vert. En effet, malgré une apparente cohésion sur la question des réparations, de nombreux dissensus ont freiné les négociations. L’Union Européenne s’est par exemple vu reprocher de vouloir conditionner ses aides à une participation plus importante de la Chine, injonction plus que discutable puisque les européens ont également proposé des taxes internationales sur le maritime, l’aviation ou encore les fossiles. Ce ressentiment, qui montre les tensions encore existantes, est malgré tout compréhensible. Face à la triple crise (sanitaire, sécuritaire, économique) de nombreux pays peu développés ont encore plus de mal à tirer leur épingle du jeu, et des continents entiers, comme l’Afrique, doivent gérer une industrialisation rapide sans toutefois devenir obsolète vis-à-vis des standards internationaux.

Si les pourparlers ont tardé à se débloquer sur les pertes et préjudices, le volet « adaptation » n’a pas pu être correctement traité – on en revient à peu près à ce qui avait été proposé à Glasgow. L’Europe s’est également retrouvée face à ses contradictions durant ces négociations. Alors que la Banque Européenne d’Investissement refuse toujours de considérer le gaz comme énergie de transition, et donc d’aider des pays comme le Sénégal dans le financement de ses futures infrastructures, l’UE souhaite se positionner sur l’achat de gaz liquéfié sénégalais en vue de diversifier ses approvisionnements.

La route est encore longue vers un accord permettant de respecter les 1.5°C d’augmentation. Si cet objectif a été réaffirmé, il n’est qu’anecdotique. Alors que nous avons déjà réchauffé la Terre d’1.1°C et que la plupart des actions se sont concentrées sur des financements a posteriori, il se pourrait bien que la COP27 ait paradoxalement enterré l’objectif qu’elle préconisait. Même le financement est balbutiant : il a par exemple été démontré que l’objectif des cent milliards par an de financement prévu pour 2020 – soit 5% des besoins du Sud - n’avait toujours pas été atteint et ne le sera pas avant encore une à deux années.

Il est également regrettable que la biodiversité ne soit pas davantage présente lors des débats malgré un fort accent mis sur la forêt par le Président Macron. La possibilité mentionnée de créer des co-bénéfices biodiversité pour les crédits carbones est une piste intéressante, mais l’absence d’ « accord de Paris de la biodiversité » reste à déplorer. Aussi, si nous avons mentionné une potentielle alliance anti-fossile avec l’Inde, New Dehli a surtout choisi de cibler le gaz et le pétrole car elle considère que les occidentaux se cachent derrière la chasse au charbon, énergie dont ils sont moins dépendants. Ainsi, même dans les avancées se retrouve le spectre des concurrences nationales.

Alors qu’inondations, feux de forêt, sécheresses ou encore famines se multiplient, que l’année 2022 seule a vu deux nouvelles limites planétaires franchies, et que le mouvement écologique prend de l’ampleur partout dans le monde, les historiens du futur se demanderont certainement comment avons-nous pu nous laisser basculer dans la terra incognita de l’anthropocène et risquer de faire disparaître notre civilisation.

L’inertie de centaines d’intérêts divergents, additionnés à la lenteur administrative et à la fréquence des négociations, crée un découplage problématique entre la vitesse de dégradation de nos écosystèmes et l’innovation dans l’atténuation ce cette détérioration. En outre, entre faute du Nord qui ne voudrait pas débourser pour certains, manigances pro-fossiles égyptiennes et saoudiennes pour d’autres, mise sous pression des géants chinois et américains par tous les autres pays, la faute est rejetée systématiquement sur autrui. Il est également clair que les conséquences de nos modes de vie ont participé à l’augmentation des tensions sur le plan international, compliquant encore et encore la tâche des négociateurs. Il est d’autant plus difficile de maintenir le cap de la transition écologique à mesure que les urgences se multiplient et se concurrencent, et que leur genèse écologique se fond dans des chaînes de causalité. Par exemple, les guerres du climat ne ressemblent pas à des guerres du climat mais à des conflits tragiquement classiques, ce qui fait perdre de vue le réchauffement comme cause primaire de la montée des tensions. Ainsi, comme en témoigne cette conférence, il est plus facile de traiter les problèmes à la surface – en essayant par exemple d’assurer des catastrophes climatiques appelées à ressurgir avec plus de véhémence d’années en années - que d’agir à la racine.

En effet, comme le disait l’économiste germano-américain Karl William Kapp, le capitalisme actuel, en visant la réduction des coûts, est également « maximisateur de pollution ». Ce n’est pas en mettant de nouvelles régulations que nous pourrons changer l’attitude des entreprises, mais en changeant le système tout entier.

Premièrement, nous devrions réussir l’exploit de réaliser l’équivalent de ce que le protocole de Montréal - miracle diplomatique - avait réussi pour le Fréon des aérosols, mais avec un objectif bien plus large : encadrer toutes les sources de pollution. Cela reviendrait à remettre en question l’intégralité de nos modes de production actuels. Or, alors que la prochaine COP se fera à Abu Dhabi, et que l’on a pu voir le représentant saoudien déclarer que « la commission doit discuter des émissions certes, mais pas des sources des émissions », on se dit que rien n’est moins sûr. De plus, même une forte coordination internationale et de sévères sanctions n’entraîneraient qu’un jeu du chat et de la souris entre les nouvelles régulations et les entreprises souhaitant maximiser leur profit. Les solutions les plus polluantes étant souvent les plus rentables compte tenu des externalités, les entreprises plutôt que de respecter la loi pourraient chercher à polluer d’autres manière, à l’instar des fraudeurs fiscaux qui détournent les règles.

Il faudrait également que la COP s’intéresse à la question de la sobriété, plus que de réparer les potentiels freins à la croissance. Réorienter une partie de l’activité humaine vers la préservation de l’environnement est nécessaire. Mais sans augmenter indéfiniment le PIB, cette nouvelle allocation des ressources productives nécessiterait une réduction de notre consommation. Cependant comme l’ont montré les débats, l’ homo-oeconomicus que nous sommes devenus y est fermement opposé. L’enjeu est alors de transformer les institutions qui nous façonnent – et notamment l’entreprise et sa recherche de profit à court-terme – pour que nous puissions changer nos mentalités vers un cadre de pensée plus durable.

Pour ce faire et à l’instar de nos démocraties représentatives dont le modèle est aujourd’hui dépassé car trop lent et tourné vers des impératifs de productivité, les institutions internationales devraient se doter d’éléments de participation citoyenne. En effet, les débatteurs sont souvent les grands gagnants d’un système qu’ils peinent à remettre en question. En outre, entre les contraintes à court terme des politiques dites « vertes », et la résolution du problème de long terme que représente la crise écologique – et dont la satisfaction populaire et les recettes électorales ne sont perceptibles qu’après - le choix politique semble favoriser tout trouvé. Comme l’a dit le Président Macron lui-même : « lorsque les problèmes relèvent du temps long, le pouvoir politique adopte un traitement symbolique (des grandes messes, une inscription à l’agenda, etc.) sans procéder aux réformes structurelles requises ni s’exposer au coût politique qui les accompagne ».

La montée en puissance de la notion de résilience témoigne de l’érosion de la confiance collective en la capacité de nos sociétés à anticiper et éviter les désastres, tout comme l’est la montée des extrémismes en occident, les révoltes en Chine, ou l’affaiblissement démocratique en Amérique latine. En l’absence de regards nouveaux qui, comme l’a démontré la Convention Citoyenne pour le Climat, sont capables de faire bouger les lignes, l’humanité court un grave danger. Il faut renverser la technique. Cette technique s’incarne en différents outils, concepts, organisations, qui forment le monde que Jacques Ellul appelle le « système technicien ». En développant ce concept, il montre le caractère obsolète de la figure du technocrate, qui n’a plus la prétention de diriger la société étant donné que celle-ci est dorénavant en grande partie auto-conditionnée.

 

Ainsi, les États, entre remilitarisation et compétition économique accrue, semblent dans l’impasse. Ils sont coincés entre d’une part la gouvernance mondiale du climat, fondée sur l’imaginaire qu’une action globale, centralisée et coordonnée reste possible pour gérer le problème ; et d’autre part par la réalité matérielle de la globalisation des modes de vie occidentaux qui nécessitent une consommation massive d’énergies fossiles. Dès lors, nous n’arriverons sans doute jamais à cette « société socialiste de survie », nécessaire, que décrit René Dumont. En effet, aujourd’hui nos sociétés sont moins écologistes – au sens où elles admettraient l’idée qu’il puisse exister des limites à la croissance – qu’environnementalistes : elles considèrent qu’il existe de nombreux problèmes liés à nos modes de vie, mais pensent pouvoir les résoudre par un alliage volontariste de croissance verte et de progrès technique. Alors, pour actualiser le fameux « l’utopie ou la mort » de Dumont, et puisque l’on n’est pas chez les Amish, il s’agirait désormais de scander « la technologie ou l’effondrement », sans que l’on puisse réellement choisir cette fois – l’innovation étant par définition incertaine -, et sans qu’il y ait d’option véritablement alléchante.

 

Les propos tenus dans cet article n'engage pas la responsabilité de l'Institut Open Diplomacy mais uniquement celle de leurs auteurs.