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Les brevets sont-ils un obstacle à la vaccination pour tous ?

| Iliasse Chari

16 juillet 2021

L'heure de vérité de la méthode multilatérale

Lors du Sommet mondial sur la santé le 21 mai 2021, la directrice générale de l’OMC Dr. Okonjo-Iweala a rappelé que l’accès équitable aux vaccins était un « défi à la fois moral et économique marquant notre époque ». Cet accès équitable appelle, d’un point de vue commercial, de nombreux partenariats intergouvernementaux mais également transnationaux et inter-institutionnels. 

De nombreuses opérations de facilitation des opérations de production et de distribution du vaccin existent. Elles sont locales à la manière de l’« opération Warp speed », ou internationales comme le Covax

Le premier est américain et couvre de nombreux partenariats publics-privés visant à soutenir les chaînes d’approvisionnement alimentant les États-Unis en vaccin. Pour cela, le gouvernement fédéral a, entre autres, accordé des subventions tout au long de la chaîne d’approvisionnement pour la production et la distribution d’intrants nécessaires à la fabrication d’un vaccin. 

À l’échelle internationale, le Covax est un instrument inter-institutionnel intégré à l’accélérateur d’accès aux outils du Covid-19. Son objectif est de mutualiser les moyens d’entreprises, de gouvernements ou encore d’organisations internationales, pour assurer une distribution équitable des vaccins à tous les pays participants.  

Cependant ces instruments, bien que significatifs, ne peuvent remplir leurs objectifs si les réglementations restreignent la circulation des matières premières, des technologies et du savoir.  

C’est pourquoi de nombreux États ont décidé de se réunir autour de projets facilitant la production de vaccins. C’est par exemple le cas d’une communication de 2020 de l’Inde et de l’Afrique du Sud qui souhaitent, pour un temps, une dérogation à certaines réglementations de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) concernant « la prévention, l’endiguement ou le traitement de la Covid-19 ». Dans un document révisé - auquel s’est joint un groupe de pays les moins avancés (PMA) - l’objet des dérogations a été modifié pour cibler les « produits et technologies de santé».   

La Représentante américaine du Commerce, Katherine Tai, a confirmé que les États-Unis étaient prêts à intégrer les discussions visant la levée des protections intellectuelles dans la production du vaccin. 

Les États membres de l’Union européenne sont davantage partagés. À la Commission européenne, il semblerait, selon les propos de son vice-président Valdis Dombrovskis, que l’UE puisse intégrer les discussions sur l’ouverture des brevets mais en conditionnant celle-ci à d'autres objectifs comme la limitation des restrictions à l’exportation. La France a, par exemple, accepté le projet américain, contrairement à l’Allemagne. 

Face à ces débuts de consensus, la pertinence d’un assouplissement des règles de propriété intellectuelle, comme réponse aux limitations de production de vaccin, se pose.  

Un cadre juridique qui peine à se réformer 

Sans rentrer dans les détails des droits de la protection intellectuelle garantis par l’accord sur l’ADPIC, il faut tout de même relever que le cadre existant prévoit des exemptions aux règles de l’accord. En matière de brevet, l’article 31 b) souligne que, lorsque la législation d’un État permet à d’autres d’utiliser un brevet, il n’y a pas d’obligation d’attendre l’autorisation du titulaire du brevet en cas, par exemple, de « situations d’urgence nationale ou d’autres circonstances d’extrême urgence (…) ». Bien que positive, cette disposition ne profite qu’aux États disposant de réelles capacités de production. En effet, ces licences obligatoires sont soumises à l’article 31 f) de l’ADPIC qui subordonne l’utilisation de ces licences à une production purement interne. Certains pays du groupe africain avaient rappelé leur incapacité à produire des produits pharmaceutiques brevetés et donc leur dépendance aux exportations de Membres bénéficiant de licences obligatoires.  

C’est pourquoi, les membres de l’OMC ont adopté par consensus en 2003, une déclaration de Doha sur l’accord de l’ADPIC et sur la santé publique. Cette déclaration faisait suite aux demandes des pays en voie de développement (PED) de produire des versions génériques de produits de santé pour les besoins de leur population affectée par le VIH/SIDA, la tuberculose ou encore le paludisme. Dès lors, des États pouvaient certes bénéficier de licences obligatoires, nécessaires à la production d’un produit de soin, sans se soumettre au titulaire du brevet. Mais les PED et PMA ont demandé à ce que les États disposant de ces licences puissent exporter les produits pharmaceutiques vers des États n’ayant pas de capacités productives.  

Malgré une adoption par consensus, les amendements à l’accord sur les ADPIC n’ont pas tout de suite été acceptés par les Membres signataires et ont donné lieu à de nombreuses prorogations, la prochaine échéance étant le 31 décembre 2021. En somme, ce blocage persiste.  

Accès aux vaccins et concurrence internationale 

Si les actions ne se concentraient uniquement que sur l’octroi de licences obligatoires, elles n’auraient qu’un faible résultat. C’est pourquoi, elles semblent insuffisantes pour faire face à la demande croissante de vaccin.  

La position française est intéressante : plutôt que d’assouplir directement les règles en matière de propriété intellectuelle, il faudrait tout d’abord favoriser les transferts de technologies et d’informations et agir sur la réglementation quand elle est un obstacle.

Mais la proposition conjointe de l’Inde et de l’Afrique du Sud va encore plus loin. La propriété intellectuelle qui entoure la fabrication d’un vaccin ne se limite pas aux brevets. Dans leurs propositions, ils plaident pour une dérogation des sections 1, 4, 5 et 7 de la partie II de l’ADPIC. Autrement dit, ces pays souhaitent déroger aux règles portant sur les droits d’auteurs, les dessins et modèles industriels, les brevets et sur la protection des renseignements non divulgués. 

Cela serait certainement avantageux pour l’Inde ou encore l’Afrique du Sud qui disposent de capacités productives nécessaires à l’élaboration d’un vaccin. L’amendement évoqué plus haut permettrait ainsi à ces États d’exporter vers des pays en voie de développement qui n’ont pas ces capacités et donc d’assurer une meilleure diffusion du vaccin. Cela supposerait cependant qu’un pays bénéficiant d’une licence obligatoire, dispose également des intrants nécessaires à la production du vaccin. Il est également certain que toute la chaîne de conception du vaccin ne se déroule pas dans un unique pays. Or la circulation des intrants et des produits ne dépend pas seulement de la réglementation sur la protection intellectuelle, mais également des règles sur le commerce des marchandises. À ceci, il faut ajouter qu’une cause importante du ralentissement de l’accès aux vaccins est liée aux contrôles du produit (contrôles administratifs, qualités …). 

Il conviendrait donc d’appliquer de manière rigoureuse les interdictions sur les restrictions aux exportations sur les produits de santé et notamment sur les produits nécessaires à la production de vaccins ou autres équipements utiles durant cette pandémie. Pour pallier la tendance de certains États à la fermeture de leurs frontières, deux solutions pourraient être imaginées. D’une part, un accord interétatique formellement contraignant sécuriserait les engagements. Cela permettrait d’assurer davantage de prévisibilité et de sécurité juridique. De plus cela rassurerait les producteurs. Toutefois, le prix d’application de cet accord serait précédé du prix d’engagement. Le risque serait toutefois de ne pas réussir à réunir suffisamment d’États autour d’un tel projet. D’autre part, un accord interétatique de soft-law aux obligations interdépendantes pourrait être une suggestion. Le but serait de nouer les obligations de chacun et de conditionner l’application de l’accord à la participation des autres États. Dans le même temps, le prix d’engagement serait faible et l’application forte, car les États seront incités à agir de manière compatible à l’accord, pour bénéficier du même service. 

Qu'est-ce qu'un bien public mondial ? 

Compte tenu de ces blocages, est-il juste de considérer les vaccins comme des biens publics mondiaux ? Il est difficile de déterminer précisément ce que sont les biens publics mondiaux, tant de nombreuses tentatives de définitions existent. Nous retiendrons tout de même une définition économique qui considère comme tels, les « biens, services ou ressources qui bénéficient à tous, et se caractérisent par la non-rivalité (…) et la non-exclusion ». Si la santé publique mondiale est un bien public mondial, il en va autrement des vaccins. En qualifiant les vaccins de biens publics mondiaux, on entend mettre l’accent sur une diffusion équitable de ce vaccin. C’est ce que la non-exclusivité suggère en permettant à d’autres bénéficiaires de disposer des capacités de production du vaccin. Cependant, la non-rivalité indiquerait que la consommation du bien en question n’en réduit pas l’utilisation pour les autres, ce qui semble difficilement être le cas pour les vaccins. Néanmoins, n’étant pas un bien épuisable, le critère de non-rivalité pourrait être rempli. Les vaccins répondent donc à une logique de biens privés et au mieux, les vaccins seraient des biens publics mondiaux dits « impurs » en ce qu’un des deux critères peut être rempli. 

D’un point de vue politique, une telle qualification engendrerait des conséquences juridiques importantes. Le droit international général prévoit que certaines obligations peuvent être d’intérêt commun. En ce sens, si les vaccins étaient qualifiés de biens publics mondiaux, les États non lésés seraient en mesure de contester le non-respect d’un accord international sur la production du vaccin.

La qualification de biens publics mondiaux est difficile à atteindre. En revanche, celle de biens communs mondiaux concernent le caractère rival et non-exclusif d’un bien. En matière de vaccin, elle ne serait pas adéquate à l’heure actuelle. Cette notion nous amène néanmoins à penser à un autre droit de la propriété intellectuelle, reposant sur le partage de l’information pour une catégorie de biens. De même, cette notion ne remet pas en cause les intérêts compétitifs des acteurs privés, mais suggère une nouvelle vision des logiques de concurrence pour une certaine catégorie de biens. 

Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Iliasse Chari est Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy et travaille principalement sur les questions de droit économique international.