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La pénurie de semi-conducteurs : une problématique bientôt structurelle ?  

| Bastien Beauducel

16 juillet 2021

Ces dernières semaines, de nombreux secteurs d’activités, allant des consoles de jeux (dont la PlayStation 5 produite par Sony) à l’industrie automobile, sont touchés par une pénurie de semi-conducteurs occasionnant des retards de production. A titre d’exemple, en avril 2021, le constructeur automobile Renault a annoncé une diminution de production d’au moins 100 000 voitures cette année du fait de cette pénurie. En plus d’une augmentation certaine de la demande, cette situation économique sur le marché des semi-conducteurs est causée par les effets du réchauffement climatique, phénomène dont les conséquences économiques et sociales sont encore trop méconnues. 

Un choc de demande auquel s'ajoute des facteurs non maîtrisables

L’industrie des semi-conducteurs a connu une hausse importante et soudaine de la demande liée à plusieurs phénomènes concomitants. Tout d’abord, au premier semestre 2020, soit avant la crise de la COVID-19, la « guerre commerciale » sino-américaine a conduit l’entreprise chinoise Huawei, premier vendeur mondial de smartphone au deuxième trimestre 2020, à commander en masse  des puces auprès de Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), principal producteur mondial avant la mise en oeuvre effective des sanctions américaine à compter du 15 septembre 2020. Ensuite, les conséquences économiques des confinements sanitaires et le développement à marche forcée du télétravail ont entraîné une hausse très importante de la demande de matériel informatique. Enfin, l’arrivée de la technologie 5G a conduit également à une hausse de la demande. Ainsi, les commandes à l’exportation des produits des technologies de l’information et de la communication ont augmenté d’un peu plus de 13,6 % en 2020 à Taïwan, selon les données de la direction générale du Trésor.

Cette situation de pénurie s’explique également par le fait que le marché des semi-conducteurs est un marché où les entreprises de Taïwan sont en situation de quasi-monopole. Leurs parts de marché dans cette industrie atteignent 75,7 % dans la fonderie, 56,7 % dans l’emballage et les tests et 19,3 % dans la conception. 

Or, à Taïwan, des difficultés de production liées au climat anormalement sec de la région sont apparues cette année. En effet, l’industrie des semi-conducteurs requiert des volumes d'eau très importants, qui sont notamment utilisés pour polir les fines tranches de silicium formant la base des puces. Ainsi, TSMC consomme 156 000 tonnes d’eau par jour pour les besoins de sa production. Habituellement, Taïwan est un des territoires les plus humides au monde avec 2 600 millimètres de précipitations par an (à titre de comparaison, le volume de précipitations annuel moyen à Brest est de 941 mm). Or, en 2021, sur les trois premiers mois de l’année, les précipitations sont inférieures de 40 % à la moyenne. En conséquence, les entreprises technologiques doivent diminuer de 15 % leur consommation d’eau, générant une diminution du volume de production de semi-conducteurs selon l’Agence France Presse. 

Les enjeux climatiques alarmants de la pénurie de semi-conducteurs 

Ces difficultés concernant les semi-conducteurs ne sont pas un fait isolé. Ainsi, selon une étude de la Commission européenne  des situations de pénurie sont prévisibles pour de nombreux métaux, matières premières utilisées dans la production des biens nécessaires pour réussir la transition énergétique. En effet, le passage à une économie bas-carbone entraîne une augmentation importante des besoins de cobalt utilisé dans la production des voitures électriques mais aussi le lithium et le phosphore, métaux à la base de nos appareils numériques du quotidien comme nos téléphones et nos ordinateurs.

A moyen-terme, ce ne sont plus seulement les métaux qui risquent de manquer mais possiblement les denrées alimentaires. Selon le Groupe International d’Experts sur le Climat (GIEC), les rendements mondiaux en blé, riz et maïs pourraient diminuer de plus de 25 % en 2030-2049 par rapport à la fin du XXème siècle. D’ailleurs, les rendements agricoles ont déjà diminué dans certaines régions du fait de la modification des régimes de précipitations. A titre d’exemple, le passage des ouragans Eta et Iota, mais également l’augmentation de l'occurrence des sécheresses et des épisodes de conditions météorologiques irrégulières, a perturbé la production alimentaire des denrées comme le maïs et les haricots en Amérique centrale, et quadruplé le nombre de personnes en détresse alimentaire. 

La nécessité d'une politique européenne des matières premières 

Face à ces défis futurs, des politiques stratégiques de long-terme devraient être mises en œuvre au niveau européen. Les politiques stratégiques en matière de souveraineté économique ont fait l’objet d’un rapport d’Emmanuel Combe, économiste français vice-président de l’autorité de la concurrence et professeur à la Skema Business School  et Sarah Guillou, économiste, directrice du département innovation et concurrence au sein de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Toutefois, les matières premières sont un point peu abordé dans le rapport. Or, le dérèglement climatique amènera certainement de nouvelles problématiques économiques et, la première d’entre elles serait le risque de pénurie de certains matériaux, voire de certaines matières premières du fait de conditions climatiques très dégradées. 

La souveraineté économique passe donc, dans un premier temps, par la garantie de la souveraineté alimentaire de l’Union européenne. Cela implique l’élargissement des prérogatives de la Politique Agricole Commune (PAC) afin de prendre en compte les enjeux climatiques et de biodiversité, à la fois dans sa politique à court terme - par exemple, le soutien aux prairies éternelles qui sont des puits de carbone efficaces dans la lutte contre la déforestation - mais aussi dans la projection à moyen terme, en adaptant la géographie des cultures au climat et en accompagnant par conséquent les agriculteurs dans les transformations indispensables à leur activité. 

Dans les autres domaines, cela passe prioritairement par une diversification des moyens de production et la constitution, si nécessaire, de stocks stratégiques comme nous y invite le rapport Guillou-Combe. Toutefois, ces solutions ne suffisent pas à régler le problème. Au vu des prévisions, les demandes en métaux rares vont très nettement augmenter. Ainsi, le Raw Materials Scoreboard de 2018 prévoit une augmentation de la demande de lithium de 2 565 % entre 2015 et 2030 - du fait de la hausse de la demande de produits électroniques. Des États pourraient donc, à l’avenir, se servir de leur position sur le marché des produits stratégiques pour faire pression sur les États européens. 

Le problème de demain ne sera pas un problème d’industrie, il sera un problème de ressources. La pénurie des semi-conducteurs nous le fait entrevoir aujourd’hui. A ce problème, plusieurs solutions s’offrent à nous, dont le choix devra être laissé à la représentation politique européenne et nationale. Tout d’abord, il est possible d’augmenter l’exploitation des ressources minières sur le territoire européen. Le Raw Materials Scoreboard de 2016 recensait 414 projets miniers en Europe dont 120 à un stade avancé. La moitié se situe en Suède et en Finlande et une vingtaine en Espagne et au Portugal. A l’inverse, en France, selon un rapport de 2019 remis au ministre de l’Économie et des finances, les exploitations minières ont cessé alors que trois régions représentaient un fort potentiel : le massif armoricain, le massif central et les Pyrénées. La reprise de l’exploitation est ainsi le choix qui a été fait par les États-Unis en mars 2021 en incitant ses entreprises à entreprendre des travaux miniers. 

Ensuite, outre la diversification des approvisionnements et la possible reprise des projets miniers en Europe, le continent pourrait devenir le pionnier dans le recyclage des métaux rares. Cela nécessite d’entreprendre de nombreuses transformations passant par une augmentation des taux de collecte et de traitement des déchets ; puis par la mise en œuvre de méthodes innovantes de traitement des déchets ; et enfin par la structuration d’une filière nationale ou européenne dans un secteur très capitalistique afin de concurrencer les acteurs à l’échelle mondiale. A titre d’exemple, du fait du coût et des difficultés de traitement, seul 1 % des terres rares sont recyclées aujourd’hui et elles le sont pour la plupart en dehors du continent européen : une quantité importante de déchets électroniques est notamment exportée au Japon.

Enfin, l’Union européenne pourrait s’appuyer sur le haut niveau d’éducation de sa population pour devenir également une puissance pionnière dans la recherche fondamentale afin de réduire ses besoins en métaux rares. Cela requiert en amont une politique éducative active formant des ingénieurs capables d’innover dans ce domaine.

Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Bastien Beauducel est Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy et travaille principalement sur les enjeux de l'économie de l'environnement.