Revenir au site

RCEP : symbolique à court terme, significatif à long terme ?

| Iliasse Chari, Juliette Lamandé, Anne-Victoire Maizière

5 mars 2021

A l’occasion du 37ème sommet de l’ASEAN qui s’est déroulé du 12 au 15 novembre 2020, 15 pays ont signé le RCEP - Regional Comprehensive Economic Partnership, créant ainsi la plus grande zone de libre échange au monde. Cet accord regroupe les 10 pays de l’ASEAN, ainsi la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ensemble, s’ils représentent 30 % du PIB mondial, les échanges commerciaux entre ces pays ne constituent qu’environ 12 % du commerce mondial, le coût de ces échanges pouvant être élevés. Il est à noter que ni l’Inde, ni les Etats-Unis ne sont signataires.

Les négociations de l’accord ont débuté en 2012, poussées par l’ASEAN qui voyait d’un mauvais œil l’accord TPP - Trans-Pacific Partnership porté par les Etats Unis, qui n’y avait pas intégré l’institution multilatérale. Donald Trump ayant renoncé au TPP au début de son mandat, les négociations du RCEP se sont maintenues sans les Etats-Unis.

Enfin, le RCEP s’inscrit dans un contexte régional complexe. Les relations commerciales entre le Chine et l’Australie se sont par exemple tendues ces dernières années et pourtant ces deux pays sont signataires de l’accord, démontrant s’il le fallait le rôle central de l’ASEAN.

Un accord libéralisant les échanges commerciaux 

Le RCEP est un accord de libre-échange. Son principal objectif est l’élimination de 90 % des tarifs douaniers entre ses pays membres. Mais l’évolution la plus significative concerne les règles d’origine.

Les « règles d’origine » permettent, entre autres, d’octroyer des avantages préférentiels aux marchandises des parties signataires d’un accord. L’objectif est de faciliter les échanges de marchandises entre les États signataires. Concrètement, actuellement, un bien produit au Vietnam mais vendu en Corée du Sud doit contenir un pourcentage défini de composants sud-coréens pour profiter des frais de douanes réduits. Ce même produit vendu au Japon doit être modifié pour contenir des composants japonais. Avec le RCEP, ces contraintes seront en grande partie levées.

En l'occurrence, les règles d’origine du RCEP permettent une plus grande libéralisation des échanges dans cette zone économique. Sont considérés comme règles d’origines :

  • Certains biens mentionnés à l’article 3.3 du RCEP qui sont obtenus ou transformés dans l’un des États ;
  • Les biens dont la composition est entièrement obtenue ou produite dans l’un des États signataires ou encore ;
  • Un bien produit dans un État, dont les composants ne proviennent pas d’un État signataire, mais qui répondent aux critères applicables de l’accord. Cette condition serait par exemple remplie pour les produits mentionnés, dont la valeur ajoutée régionale est au moins de 40 %. Cette limite est libérale en ce qu’elle est aisée à atteindre.

Outre l’essor des échanges commerciaux, une des conséquences serait par exemple de favoriser une harmonisation des formalités administratives de transferts des biens, qui forment actuellement des barrières non tarifaires.

Les conséquences sur les relations commerciales Asie-UE pourraient en être doubles. D’un côté, les produits européens pourraient voir leurs prix finaux diminuer si une partie des composants sont fabriqués au sein des pays du RCEP, car la circulation facilitée de ces composants réduira in fineleurs coûts. Inversement, un produit européen exporté vers la région du RCEP et dont les composants ne bénéficient pas du régime RCEP pourrait perdre en compétitivité et en attractivité.

Le fait de concilier une baisse des lignes tarifaires à des règles d’origines préférentielles non contraignantes, conduira à favoriser les produits asiatiques et d’une manière générale les chaînes d’approvisionnements régionales. A l’heure où certains industriels repensent leurs dépendances à la Chine, les futures délocalisations industrielles pourraient alors plutôt avoir lieu au sein de cet ensemble régional plutôt que bénéficier à d’autres régions du monde.

En dehors des chapitres dédiés aux commerces des biens, le RCEP contient plusieurs articles intéressants au regard de l’actualité. C’est le cas du chapitre dédié aux services de télécommunication. Ce dernier dispose que les parties s’engagent à laisser leurs fournisseurs de services de télécommunication ou de réseaux choisir librement les technologies qu’ils souhaitent pour leurs activités. Cela fait écho aux limitations récentes imposées à la 5G chinoise. En outre, un chapitre entier est consacré au e-commerce, dans lequel les Etats membres s’engagent à adopter un cadre réglementaire visant à protéger les données des consommateurs. Cependant, sur certains aspects, l’accord va moins loin que ne le faisait le TPP. Si le chapitre sur le e-commerce interdit la localisation forcée des données et promeut leur transfert transfrontalier, son impact est à relativiser. En effet, il spécifie que les Etats peuvent prendre des mesures limitant ces interdictions s’il s’agit d’atteindre des « objectifs légitimes de politique publique » ou pour leur sécurité, à condition que cela ne crée aucune discimination ou ne cherche à limiter le commerce. Par ailleurs, dans le cadre du RCEP, contrairement à celui du TPP, les Etats pourront contraindre des entités à divulguer des codes sources. Ces ajustements apparaissent cohérents avec la « loi cybersécurité », adoptée en Chine en 2017, qui impose déjà un certain nombre de contraintes tel que le stockage local des données récoltées sur son territoire.

Si le RCEP apparaît comme un accord décisif dans la région, il est important de noter qu’il se concentre davantage sur les produits manufacturés que sur les services et les produits agricoles. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Inde s’est retirée en 2019 des négociations. Ce pays, particulièrement compétitif dans le domaine des services, ne voyait pas d’intérêt à rejoindre un accord qui favoriserait surtout l’arrivée de produits chinois sur son territoire.

Par ailleurs, certains secteurs considérés comme stratégiques par certains pays sont exclus de l’accord. C’est le cas des véhicules électriques, secteur dans lequel la Chine entend bien devenir le leader à travers son plan industriel China Manufacturing 2025.

Enfin, il est à noter que l’accord ne contient aucune clause relative à la protection de l’environnement ou des travailleurs.

Vers une structuration économique régionale plus intégrée

En dépit de nombreux secteurs non couverts, l’accord est particulièrement bénéfique pour les pays n’ayant pas encore conclu d’accords bilatéraux avec les pays de la zone. C’est le cas du Japon qui dispose désormais d’un accord de libre échange avec son premier et troisième partenaire commercial - respectivement la Chine et la Corée du Sud. Grâce au RCEP, 91 % des biens japonais exportés vers les pays membre de l’accord vont voir leurs droits de douanes supprimés. Entre autres, cela concerne quasiment 90 % des pièces automobiles japonaises exportées vers la Chine. Dans un premier temps au moins, les gains économiques seront limités pour la Chine et ne devraient pas compenser les pertes dues à la guerre commerciale avec les Etats-Unis.

Au-delà de la libéralisation des échanges que représente cet accord, l’intérêt du RCEP est de promouvoir une harmonisation des textes, dans une région où de nombreux partenariats économiques et commerciaux existent déjà. En effet, il vient consolider des accords existants et favorise les chaînes de valeurs intra-régionales. De cette consolidation ressort un plus grand sentiment d’unité. Ce sentiment est accentué et matérialisé par la création d’un secrétariat au sein du RCEP. Si l’ASEAN et l’OMC se sont dotés d’un secrétariat, les accords de libre-échange tel que le CETA n’en ont pas mis en place, préférant le système de comités mixtes. L’accord USMCA (nouveau NAFTA) est doté d’une commission de libre échange, tout comme le CTPPP par exemple. Le RCEP, lui, semble donc aller un cran plus loin. Le secrétariat de l'OMC par exemple, est une structure qui propose entre autres une assistance juridique et technique à ses membres. Celui du RCEP pourrait être une enceinte de négociation dans laquelle les représentants des États pourraient négocier de nouvelles réglementations relatives à des secteurs économiques encore non soumis aux règles définies par l’accord. Avec cet outil, les 15 pays signataires pourraient développer, s’ils parvenaient à un consensus régional, la capacité de peser en masse sur les prochaines négociations multilatérales.   

Le RCEP est une victoire diplomatique pour l’ASEAN et médiatique pour la Chine, ainsi qu’un rappel de l’échec du TPP américain, qui les excluaient toutes les deux. Il marque également l’essor de l’ensemble régional pacifico-asiatique, qui prend une place de plus en plus centrale dans l’économie mondiale.

A noter cependant que les effets de l’accord ne seront pas immédiats, l’accord devant encore être ratifié par les 15 pays signataires. En outre, une fois l’étape de la ratification achevée, son application ne sera pas encore intégrale et uniforme. En effet, la libéralisation de chaque secteur se fera de façon progressive selon un calendrier défini pour chaque pays. A titre d’exemple, le Cambodge, le Laos et le Myanmar sont exemptés d’appliquer certaines clauses sur le e-commerce pour une période de 5 ans.

Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que ses auteurs. Iliasse Chari, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, s'intéresse au droit international économique et aux politiques commerciales. Juliette Lamandé, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille sur les nouvelles routes de la soie ainsi que sur le développement urbain. Anne-Victoire Maizière, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille sur la Chine et la souveraineté technologique