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Que retenir de l’élection présidentielle autrichienne ?

| Anaïs Voy-Gillis

31 mai 2016

L’Union européenne a passé le lundi 23 mai dernier à scruter, avec une attention inégalée, le dépouillement des résultats de l’élection présidentielle autrichienne. Jamais un résultat d’élections n’avait suscité autant de tensions et d’appréhensions. La raison de cet emballement : la potentielle victoire du parti d’extrême-droite, le Parti de la liberté d’Autriche FPÖ. Ce parti, allié du Front national (FN) au sein du Parlement européen, a su jouer sur les peurs et les représentations des citoyens autrichiens pour s’imposer comme un parti incontournable de la vie politique du pays.

Au premier tour le 24 avril dernier dernier, le candidat du FPÖ, Norbert Hofer, avait obtenu 35 % des voix, réduisant à néant les espoirs des deux grands partis que sont au centre-gauche le SPÖ, le Parti social-démocrate d’Autriche, et l’ÖVP, le Parti populaire autrichien. La surprise du deuxième tour de cette élection présidentielle le 22 mai dernier est dès lors essentiellement venue de la capacité du FPÖ à mobiliser 900 000 électeurs de plus entre les deux tours, ce qui est relativement inédit pour un parti d’extrême-droite. Généralement, leurs électorats se mobilisent massivement dès le premier tour, ce qui leur laisse une faible marge de mobilisation entre les premier et second tours. Autre point intéressant à noter, de nombreux électeurs qui ont voté au second tour pour le candidat écologiste soutenu par le part Verts autrichien, Alexander Van der Bellen, l’ont fait plus par dépit et rejet du candidat du FPÖ, que par adhésion au programme et aux propositions du candidat finalement élu avec 50,3 % des voix à la Présidence fédérale de la République d'Autriche. Le nombre de voix en faveur du candidat écologiste a néanmoins augmenté de 146 % entre le premier et le second tours, passant de plus de 913 000 voix à plus de 2 254 000.

Les facteurs de mobilisation en faveur du FPÖ

Trois facteurs peuvent permettre de comprendre la dynamique en faveur de l’extrême-droite. Premièrement, l’Autriche, de par ses frontières et sa situation géographique, connaît un afflux massif de réfugiés dans la crise actuelle. Le pays a enregistré 90 000 demandes d’asile en 2015, soit 1 % de sa population, et les leaders politiques peinent à trouver des solutions durables à l’échelle nationale comme européenne pour répondre à cette crise migratoire et humanitaire d’une ampleur inédite depuis des décennies. Tandis que le FPÖ propose à ses électeurs de mettre en place une politique ferme et restrictive sur l’immigration. La crise des réfugiés et les différents attentats perpétrés sur le sol européen peuvent contribuer à rendre crédible ce discours de l’extrême–droite autrichienne auprès d’une partie de la population.

Deuxièmement, le pays vit une crise de la représentativité politique, comme un certain nombre d'autres pays européens. La vie politique autrichienne est sclérosée. Deux grands partis, le SPÖ et l’ÖVP, gouvernent le pays par alternance ou en coalition depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et la proclamation de la Seconde République. Outre le sentiment d’une large part des citoyens que ces leaders politiques éprouvent des difficultés à agir véritablement pour améliorer leur quotidien, la confusion idéologique et programmatique est croissante entre ces deux partis traditionnels. A eux deux, leurs candidats n’ont obtenu que 22,3 % des voix au premier tour, contre 35 % pour le candidat du FPÖ, 21,3 % pour le candidat écologiste, et 18,9 % pour la candidate indépendante Imgard Griss. A 45 ans, M. Hofer, figure encore peu connue de la vie politique autrichienne avant la campagne présidentielle, pouvait incarner une forme de renouveau générationnel.

Troisièmement, l’Union européenne et son fonctionnement semblent ne plus répondre aux attentes des citoyens, et apparaissent aux yeux de leurs contempteurs comme de plus en plus déconnectés des réalités, et de moins en moins proteurs de l’économie, du marché du travail et de l’identité nationale. Le FPÖ présente ainsi l'UE comme une sorte de « machine à tuer » l’identité autrichienne.

Le FPÖ a centré sa campagne présidentielle sur le droit d’asile et le chômage. Bien que l’Autriche connaisse une situation économique stable et bonne, de nombreux Autrichiens craignent un ralentissement économique et se sentent vulnérables dans un monde complexe où tout va de plus en plus vite. A cet égard, il est intéressant de faire un parallèle entre les scores de l’extrême-droite autrichienne et ceux de l’extrême-droite suisse. Si le FPÖ est proche du FN français en terme idéologique, la situation économique de l’Autriche est en effet plus à rapprocher de celle de la Suisse que de celle de la France. En Suisse, l’Union démocratique du Centre – UDC – a remporté les dernières élections législatives en octobre 2015. Une partie de la population suisse éprouve le sentiment que le pays est vulnérable face à la mondialisation, à l’Europe et à l’immigration.

Une polarisation forte de l’électorat autrichien

Cette élection démontre une forte polarisation de l’Autriche. Outre la victoire qui s’est jouée à un peu plus de 30 000 voix, les résultats attestent d’une division du pays en deux.

Les électeurs de Norbert Hofer sont situés principalement dans les campagnes. Parmi ces électeurs, on compte de nombreux jeunes – environ 30 % des jeunes ayant voté – et de nombreux ouvriers – plus de 80 % des ouvriers ayant voté. Les personnes les moins diplômées, donc les moins bien armées face à la mondialisation, ont en majorité – 58 % – fait le choix du FPÖ. Les hommes sont plus nombreux à voter pour ce parti que les femmes.

A contrario, les électeurs d’Alexander Van der Bellen sont situés principalement dans les grandes villes, comme Vienne, Graz, Linz ou Innsbruck. Son électorat a également tendance à être plus diplômé et plus féminin.

Outre ces polarisations, la principale ligne de fracture de l’électorat autrichien concerne la vie politique et son fonctionnement : l’Union européenne, la crise des réfugiés – Alexander Van der Bellen se définit lui-même comme « enfants de réfugiés » ayant fui la révolution russe de 1917 puis le stalinisme – et la confiance dans les modes de représentation et de décisions politiques. A cet égard, cette élection présidentielle a fait évoluer le paysage politique autrichien traditionnellement dominé par les deux grands partis traditionnels, en l’ouvrant à une plus grande diversité politique.

Le FPÖ, une stratégie similaire à celle du Front national

Le FPÖ met en œuvre une stratégie similaire à celle du FN en France. Il joue la carte du renouveau en présentant des candidats plus jeunes qui ne sont pas des habitués du monde politique. Les deux partis tiennent un discours radical sur l’Union européenne, sur l’immigration et sur l’Islam. Enfin, ils adoptent une position antisystème.

Nobert Hofer, comme Marine Le Pen, entend donner le sentiment qu’il comprend les inquiétudes des citoyens, et cherche à traduire leurs peurs et leurs angoisses en discours politique. Ce discours veut instaurer une proximité entre représentants politiques et électeurs à un moment où les représentations véhiculées par les leaders politiques européens semblent de plus en plus éloignées des représentations et du ressenti quotidien des citoyens.

En revanche il existe une différence de taille entre le FPÖ autrichien et le FN français : ce dernier a déjà participé à des coalitions gouvernementales dans les années 1980 et au début des années 2000, et au niveau local il gère deux Länder.

Quelles auraient été les conséquences d’une victoire du FPÖ ?

Cette présidentielle constitue une victoire pour l’extrême-droite autrichienne, même si le FPÖ ne l’a pas gagnée. La victoire de Norbert Hofer aurait eu des conséquences certaines mais qui sont à relativiser. Si le Président autrichien a un rôle essentiellement protocolaire, il nomme le chancelier, peut démettre le gouvernement et peut dissoudre le Parlement sous certaines conditions. Ces compétences sont généralement peu utilisées. Le candidat du FPÖ avait néanmoins annoncé qu’il dissoudrait le Parlement dans le cas où, s'il était élu, ce dernier ne suivrait pas ses positions, notamment sur les questions migratoires. Cette dissolution du Parlement aurait entraîné des élections législatives anticipées – les prochaines auront lieu en 2018 – avec un score très certainement fort du FPÖ et la mise en place d’une coalition gouvernementale.

L’Autriche est un pays d’immigration depuis plusieurs siècles, si bien que le pays compte aujourd’hui 1,3 million d’immigrés1. Néanmoins, le pays a toujours adopté une politique restrictive à l’égard de l’immigration. La crise des migrants a accentué la volonté politique de fermer et de protéger les frontières, même si cela va à l’encontre des choix faits au niveau de l’Union européenne et en l'absence de concertation avec les pays voisins. Les politiques migratoires sont toutefois différentes en fonction des Länder, la capitale autrichienne ayant tendance à être plus ouverte et plus accueillante. Ces choix politiques se retranscrivent au final dans les urnes.

Notons que les deux grands partis ont déjà réalisé une coalition avec l’extrême droite autrichienne au niveau national : les chrétiens-démocrates au cours de la période 2000 – 2006, et les sociaux-démocrates de 1983 à 1986. Par ailleurs, le SPÖ et le FPÖ sont en coalition dans la région du Burgenland à l’est de l’Autriche, depuis les dernières élections locales de 2015.

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Si cette élection présidentielle n’a pas permis à l’extrême–droite de l’emporter, elle n'en restera pas moins historique, signe que l’extrême-droite européenne se rapproche potentiellement un peu plus chaque jour du pouvoir. Elle étend son pouvoir d’influence et instaure un rapport de force qui lui est de plus en plus favorable.

1 OTT Herta Luise , « La politique d’immigration en Autriche : de l’exclusion à l’intégration ? », P@ges Europe, 28 mai 2013 - La Documentation française [en ligne], consulté en mai 2016 :

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