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Océans : quels horizons économiques et géopolitiques pour la France ?

Iris Delahaye

9 août 2017

« Les activités maritimes, créatrices d’emplois et actrices du développement économique de la France » : le rapport de l’Association des Auditeurs de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (AA IHEDN) de septembre 2016 fixe bien les perspectives économiques majeures de l’économie bleue. Ce rapport est d’autant plus crucial et actuel que les espaces maritimes français ont été les grands oubliés de la campagne présidentielle d’avril et mai 2017.

Avec 11 millions de km² de surface maritime, la France détient pourtant le deuxième espace maritime mondial et la mer fait travailler directement et indirectement 500 000 personnes dans les secteurs du tourisme, du transport de marchandises, de l’exploitation d’hydrocarbures, de la pêche et de l’aquaculture. Pour développer l’économie maritime, ce rapport de l’AA IHEDN préconise de se concentrer sur 5 grands thèmes, créateurs d’emplois potentiels et sur lesquels la France pourrait être moteur à l’échelle internationale : la construction-rénovation et la déconstruction navale, l'armement des navires, les plateformes off-shore multi-usage, la cyber-sécurité du secteur maritime, et les biotechnologies.

Intégrer les territoires français d'Outre-Mer dans les stratégies nationales

A ces thématiques, Thibault Lanxade, Vice-président du Medef, spécialiste des territoires français d’Outre-Mer, ajoute la question des Outre-Mer, territoires paupérisés et sous-développés : par exemple, la Guadeloupe a connu 150 jours de rupture d’eau en 2016, une situation inimaginable en France métropolitaine. Ces territoires oubliés de la métropole pourraient devenir un formidable terrain de développement, vecteur de croissance et d’emplois. Aujourd’hui, ils sont trop souvent cantonnés au tourisme (source de revenus intermittents) ou dépendant des cours de matières premières. C’est le cas par exemple de la Nouvelle-Calédonie, sur l’économie de laquelle les cours du nickel, très instables ces dernières années, ont un effet déstabilisateur. A protéger des « écrins bleus » selon la formule de Thibault Lanxade, il explique que la France fait des choix, respectables par ailleurs, qui peuvent contraindre le développement économique. Il existe cependant des projets de développement, comme l’objectif de 50 % d’énergie renouvelable dans le mix énergétique à Tahiti d’ici 2020, qui permettent d’allier environnement et croissance.

Ce manque à gagner s’inscrit plus largement dans l’absence de cohérence nationale en matière d’économie maritime, un constat partagé par l’Amiral Thierry Rousseau. Selon ce dernier, nous abordons la mer « comme des terriens », c’est-à-dire sans prendre en compte l’environnement instable, incertain, dangereux et le coût immense des missions de rappel de la souveraineté de la France, de sécurisation, de sauvetage ou d’exploration en mer. Il ne s’agit pas de poser deux ou trois frégates dans un détroit ou près d’une zone « comme si nous étions dans un jeu vidéo » : il faut opérer des rondes, nourrir les équipages, assurer la maintenance des navires. Le territoire maritime de la France, sa Zone économique exclusive (ZEE), est gigantesque mais très fragile : les îles Eparses autour de l’Océan Indien, les îles du Pacifique sont autant d’espaces éloignés, difficiles d’accès, où la France doit néanmoins démontrer sa souveraineté, selon des modalités d’intervention fixées par la métropole ou l’Union européenne, dans des contextes politiques parfois très difficiles. Par exemple, l’arraisonnement de bateaux de pêche illégale surinamais, brésiliens ou guyaniens (du Guyana) dans les eaux territoriales de Guyane fait régulièrement l’objet d’accrochages, parfois violents, avec les autorités françaises.

La mer, un univers politique à part entière

La question de la gouvernance se pose notamment face à l’absence d’un ministère de la Mer, dédié et à part entière – il existait jusqu'en mai dernier un ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer ainsi qu’un Secrétariat général de la Mer directement rattaché au Premier ministre. Ce Ministère de la Mer pourrait regrouper, impliquer et coordonner les nombreuses activités maritimes sur cet espace immense, complexe, où des acteurs d’horizons extrêmement variés et aux intérêts parfois divergents doivent échanger. La mer représente un autre univers, trop souvent incompris ou méconnu pour que les politiques publiques afférentes soient menées de façon concertée et cohérente. L’Amiral Rousseau et Thibault Lanxade s’accordent ainsi à conclure qu’il existe différentes manières de s’engager et qu’il reste encore beaucoup à faire.

Références bibliographiques :

Cet article a été nourri des discussions lors de la conférence organisée le 4 mai 2017 par l’Institut Open Diplomacy à l’École nationale supérieure des mines de Paris, en présence de l’Amiral Thierry Rousseau, directeur du Centres d’Etudes stratégiques de la Marine, et de Thibault Lanxade, Vice-président du Medef chargé de l'entrepreneuriat et des TPE-PME, spécialiste des territoires français d’Outre-Mer.

Crédit de la photo en bandeau : ©Freepik.

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