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L'Union européenne et ses défis commerciaux

Antoine Petel, Fellow de l'Institut Open Diplomacy

27 février 2018

Les Journées de l’Économie de Lyon (JECO) du 7 au 9 novembre 2017 étaient l’occasion d’aborder les enjeux du commerce international pour l’Union européenne. Les reporters de l'Institut Open Diplomacy présents sur place ont retenu trois enjeux qui méritent une particulière attention.

« Brexit means Brexit ». C’est avec cette formule que la Première ministre Theresa May a confirmé lors de son discours de Lancaster House le 17 janvier 2017 que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne signifiait inéluctablement sa sortie du marché intérieur. Malgré les espoirs britanniques de conserver l’accès au marché européen tout en s'excluant du champ d’application de la libre circulation des travailleurs, les États membres ont défendu de manière unanime le caractère indissociable des quatre libertés de circulation – de capitaux, de marchandises, des services, et des personnes. L’enjeu à venir pour l’Union européenne est donc de déterminer sa future relation commerciale avec le Royaume-Uni. Si l’objectif visé est connu, les modalités sont encore floues.

Refondre la relation commerciale entre l'Union européenne et le Royaume-Uni

Pour Hermione Gough, conseillère à l’Ambassade de Grande-Bretagne en France[1], la finalité des négociations actuelles entre l’Union et le Royaume-Uni est de créer un partenariat fort entre les deux parties, qui permette à chacune de défendre et promouvoir ses intérêts respectifs. Cependant, le cadre même de ce partenariat reste à bâtir. Deux modèles peuvent servir d’exemple au Royaume-Uni : la Norvège et la Suisse.

Le modèle norvégien se fonde sur l’Accord de l’Espace économique européen (EEE), qui constitue un cadre plus restreint de l’Association européenne de libre-échange (AELE). Cet Accord permet à la Norvège d'accéder au marché européen en contrepartie de l’acceptation inconditionnelle des quatre libertés de circulation et d'une contribution nationale au budget de l’Union.

Cette solution semble néanmoins pouvoir d'ores et déjà être écartée dans le cas britannique : le vote en faveur du « leave » a en effet traduit la volonté du peuple britannique de retrouver la maîtrise de l’immigration sur son sol et celle d’écarter la primauté de la législation de l‘Union sur celle du Royaume-Uni. Theresa May a également indiqué sa volonté que le Brexit aboutisse à la perte d’influence de la Cour de justice de l'Union européenne sur le droit britannique. Le modèle norvégien incluant l’application sans négociation des décisions de cette juridiction ne permet donc pas de satisfaire les attentes britanniques.

Theresa May en conférence de presse lors du Conseil européen

des 22 et 23 juin 2017, Bruxelles (c) Conseil européen.

Le modèle suisse s’inscrit quant à lui dans le cadre unique de l’AELE. La Suisse n’est pas contrainte d’appliquer les règles du marché intérieur européen et le droit de l’Union européenne n’a aucune supériorité sur le droit suisse. Les relations entre l’UE et la Suisse sont donc décidées par le biais d'accords bilatéraux. Toutefois, dans la pratique, le respect des règles du marché intérieur est une condition de la ratification par l'Union européenne de tels accords, ce qui réclame le respect par la Suisse de ces règles. Le modèle suisse n’est donc pas non plus le modèle approprié.

Il reste la possibilité pour les Britanniques de proposer aux Européens un partenariat sui generis. Face à cette possibilité, Sylvie Goulard, ancienne député européenne et grand témoin de l’édition 2017 des JECO, précise que ce cadre devra être simple afin de permettre un fonctionnement efficace et compréhensible pour les populations. Cette exigence de clarté défendue par Sylvie Goulard est un des enseignements du Brexit et vue comme une réponse à l’incompréhension exprimée par une partie du peuple britannique envers le mode de fonctionnement de l’Union européenne.

Depuis l’accord trouvé le 8 décembre 2017 sur les conditions de départ de l’Union européenne du Royaume-Uni, s’est ouverte une nouvelle phase de négociations pour déterminer les modalités de leur future relation. Hermione Gough le rappelle à juste titre : ces débats ne sont pas simplement d’ordre économique, mais portent également sur des enjeux plus généraux, dont militaires et sécuritaires.

Le contrôle des investissements directs étrangers par l'Union européenne

La leçon des négociations du traité CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) entre l'Union européenne et le Canada est limpide : le débat sur les investissements directs étrangers - IDE intéresse la société civile et ne peut avoir lieu uniquement dans l’ombre. En particulier, l’enjeu du règlement des litiges relatifs aux investissements étrangers a généré une très forte opposition en Europe[2], ce qui impose un débat entre les Etats membres.

C’est dans ce contexte que dans son programme présidentiel, Emmanuel Macron fixait au printemps 2017 l’objectif d’une meilleure maîtrise des IDE par l’Union européenne dans certains secteurs et entreprises européennes qualifiés de « stratégiques ». L’idée d’une directive européenne pour lutter contre les IDE agressifs était notamment envisagée. Cette proposition a reçu un accueil favorable d'une partie des États membres en raison de l’anxiété générée par les risques de prise de contrôle de certains secteurs par des entreprises issues de pays tiers.

Margrethe Vestager, Commissaire européenne à la Concurrence (c) Commission européenne.

Malgré l’initiative du Président Macron, les discussions prévues sur ce thème lors du Conseil européen des 22 et 23 juin 2017 ont été reportées à une échéance ultérieure. Ce report, combiné au débat engendré par le Traité CETA, illustre l’absence de position commune sur ce sujet sensible au sein des États membres.

En matière d'attraction des IDE, les stratégies des États membres relèvent ainsi de différents modèles visant à favoriser la croissance économique. Sur fond de Brexit, il était notamment question lors des JECO des modèles britannique et français.

En Grande-Bretagne, selon Sylvie Montout, chef économiste de Business France[3], la stratégie d'attraction des IDE s'appuie sur l’idée selon laquelle ces derniers permettent de générer des créations d’emplois. Il y a ainsi été développé une véritable tradition d’accueil des IDE depuis la prise de pouvoir de Margaret Thatcher en 1979. Lors de cette période, les rachats d’entreprises nationales par des investisseurs étrangers permettent de relancer une économie en grande difficulté. Certains champions actuels de l’industrie britannique sont ainsi issus de ces rachats, notamment dans les secteurs de la pharmacie et de l’aéronautique.

Cette conception anglo-saxonne s’oppose frontalement à celle française dans laquelle l’idée d’Etat stratège demeure prégnante. En France, les IDE génèrent un sentiment d’inquiétude quant à la perte la propriété des champions industriels. Cela a notamment été le cas en 2015, lors du rachat de la branche énergie et de la fusion programmée des activités ferroviaires d’Alstom avec Siemens.

Malgré la compétence de l’Union européenne dans le domaine des relations commerciales, les logiques nationales perdurent et nourrissent un débat interne à l’Europe.

Harmoniser les conditions économiques entre les États membres au sein du marché intérieur européen

Le 5 novembre 2017, le déclenchement de l’affaire des Paradise Papers permettait de rendre publiques les pratiques d’optimisation fiscales de très nombreuses personnalités et entreprises, suscitant un certain nombre de critiques envers le système juridique de l‘Union européenne qui faciliterait ces comportements.

Si ces pratiques sont éthiquement contestables, la plupart sont légales et ne font qu’exploiter les interstices de la réglementation européenne. Au-delà des protestations contre les règles européennes déclenchées par les Paradise Papers, apparaît surtout l’incomplétude du système unioniste, illustrée par le domaine fiscal et social.

En matière fiscale, les compétences sont partagées entre l’Union européenne pour la fiscalité indirecte (qui peut être harmonisée), et les États membres qui gardent un contrôle entier sur la fiscalité directe, tel que le taux d’imposition sur les sociétés. La situation d’Apple en constitue un bon exemple : l’entreprise américaine bénéficie du faible taux irlandais d’imposition sur les sociétés, pays où elle déclare la majorité de ses activités, tout en continuant de profiter des libertés de circulation du marché intérieur européen. Ces pratiques légales et rationnelles au niveau de l'entreprise et de l'Etat irlandais génèrent ce qui est considéré par un certain nombre d'acteurs comme un taux d'imposition global sous-optimal.

Une harmonisation complète des règles fiscales à l’échelle de l’Union européenne pourrait donc permettre de garantir les mêmes conditions économiques aux particuliers et entreprises dans n’importe quel État membre.

En matière sociale par ailleurs, le débat sur la modification de la directive des travailleurs détachés a soulevé de nombreuses contestations, notamment dans le secteur des transports routiers. La volonté initiale d’harmonisation s’est heurtée à l’opposition de certains États membres, notamment des autorités polonaises, soucieuses de défendre leurs intérêts. Ce qu’a défendu le gouvernement polonais dans le secteur du transport routier, les autres États membres le font dans d’autres secteurs clés pour leur économie.

Cette situation démontre froidement que l’idée d’intégration européenne n’a pas achevé son parcours. Porter l’ambition d’intégration nécessite de gommer les disparités réglementaires. Cela revient à poursuivre deux buts. Premièrement, permettre des conditions de concurrence les plus équitables possibles. Si le droit européen de la concurrence et le droit du marché intérieur fixent des règles communes, ces cadres juridiques sont limités aux compétences de l’Union. De nombreux autres domaines restent non harmonisés et représentent des leviers de compétitivité aux mains des États membres.

Deuxièmement, organiser la création d’entreprises européennes capables de dominer le marché mondial. Le faible nombre de champions industriels européens prouve le besoin de renouveler l’approche du commerce européen. Le poids des GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple), dans l’industrie (européenne) de l’intelligence artificielle, a été regretté par Bruno Le Maire, Ministre français de l’Economie et des Finances, lors de son intervention lors des JECO[4]. Ce dernier a affiché son souhait de construire des champions européens, compétitifs face à leurs concurrents internationaux, et de permettre à la puissance économique européenne de peser véritablement dans les processus d'élaboration des règles internationales. De la puissance économique au pouvoir d’influence, c'est la prochaine étape à franchir dans le cadre de la politique commerciale européenne.

[1] Conférence des JECO sur le « Brexit » : https://www.youtube.com/watch?v=5KFUM5IGhHw

[2] Antoine Petel, « Investissements internationaux et règlement des différends : l’enjeu du Traité CETA », Institut Open Diplomacy, 4 juillet 2017 : http://www.open-diplomacy.eu/blog/investissements-internationaux-et-reglement-des-differends-l-enjeu-du

[3] Conférence des JECO, « Pourquoi et comment attirer les entreprises étrangères ? Le cas de la France et du Royame-Uni » : https://www.youtube.com/watch?v=wuon8iK8ztg

[4] Conférence des JECO, « Vision prospective de l’Europe ? » : https://www.youtube.com/watch?v=HUx0Zo07DsE

Légende de la photo en bandeau : drapeaux des pays membres de l'Union européenne (c) reetdachfan.

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