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L'OMC et le commerce durable :

entre contradiction et impuissance

Sacha Courtial, Fellow de l'Institut Open Diplomacy

19 octobre 2018

En 2018, l'organe d’arbitrage du commerce mondial se fixe comme objectif de répondre aux exigences de développement durable, une entreprise difficile lorsque l’on regarde les effets des échanges mondiaux sur l’environnement.

La sonnette d’alarme retentit pour l’Organisation Mondiale du Commerce. Alors que les objectifs de développement durable sont loin d’être atteints en 2018, l’OMC réfléchit à ce qu'il adviendra du commerce en 2030. Il paraît difficile de construire un avenir meilleur pour le commerce mondial en termes d’inclusion des acteurs, d’utilisation des nouvelles technologies et surtout de durabilité des échanges, alors que ceux-ci sont frappés d’une crise par le protectionnisme des Etats-Unis et la guerre commerciale avec la Chine[1]. Ainsi, il sera intéressant de constater les réactions (ou soubresauts) de l’OMC. Celle-ci n'ayant pas de capacité de décision ou d’imposition, la question est surtout de savoir si elle va survivre au déchirement commercial des deux géants chinois et américains.

Voilà pourtant le pari du forum public, sur fond de gestion de crise immédiate. Il s’agit d’ouvrir la réflexion pour un avenir meilleur : un développement durable construit sur les nouvelles technologies qui permettent d’optimiser la chaîne de valeur du libre commerce.

Vous avez dit commerce durable ?

Parangon du commerce international, l’OMC a pourtant bien comme objectif d’atteindre un commerce plus durable d’ici à 2030. Cela paraît contradictoire pour le moment et des efforts sont à réaliser.

Et d'ailleurs que signifie réellement le commerce durable ? Et pourquoi l’OMC devrait en être un acteur majeur ?
Dans l’expression de « commerce durable » c’est « durable » qui attire l’attention : il s’agit d’imaginer un système permettant de continuer à acheter et à vendre des biens, des services et des capitaux, le tout au sein d’un modèle soutenable. Pour cela, il faut que les échanges se fassent de manière équitable socialement, efficace économiquement et environnementalement non compromettante pour les générations futures.

Figure 1© unine.ch

Sustainable development ou développement durable est une notion apparue pour la première fois en 1987.

C'est une conception de l’intérêt général autour de trois axes sensé permettre un progrès humain durable.

En pratique, est-ce une utopie ? Peut-être bien, si l’on considère les conséquences économiques, sociales et environnementales, de l’explosion des échanges mondiaux ces dernières années.

Alors que les inégalités économiques se creusent entre les 1% des plus riches et le reste du monde et que les conditions sociales de certains sont toujours sacrifiées au profit d’autres[2] ; Alors que la préoccupation environnementale est de plus en plus prégnante au sein de la communauté scientifique et internationale, l’impact néfaste du commerce sur les trois composantes du développement durable est indiscutable pour un certain nombre d’opposants au modèle économique capitaliste. Ainsi, derrière les discours optimistes de l’OMC quant à la capacité du commerce international à réaliser les objectifs de développement durable qu’elle s’est elle-même fixée, nous pourrions voir une contradiction entre ses buts et ce que l’organisation opère réellement.

L’OMC a-t-elle véritablement un rôle à jouer ?

Chaque jour de nouvelles voix s’élèvent pour la défense du climat, de la biodiversité et de tout ce qui, ne serait-ce que d’un point de vue anthropocentrique, contribue à la vie des hommes. La communauté scientifique alerte[3], des personnalités signent des pétitions pour faire réagir la population (Aurélien Barreau[4]), d’autres proposent des moyens d’actions institutionnels (Pacte finance-climat[5]).

Comment l’OMC pourrait-elle aider et est-ce réellement son rôle ?

Certains diront que l’origine même de l’organisation, sa « constitution », est opposée à toute logique de préservation environnementale. Descendante du GATT[6], son but premier est de permettre la facilitation des échanges à l’échelle planétaire. A tel point que, selon Roberto Azevedo, Directeur-Général de l’OMC, certains gouvernement se « cachent »[7] derrière le principe de l’OMC : le libre-échange, qui sert d’argument contre des mesures de protection rapide de l’environnement qui restreindraient le commerce.

Cependant l’organisation tente malgré tout de peser sur ces problématiques. En effet, l’OMC est fondée sur les accords de Marrakech qui prévoient « la meilleure utilisation possible des ressources terrestres »[8]. La lutte contre le dérèglement climatique et la protection de la biodiversité découle directement de cette mission générale. Ainsi, on peut remarquer qu’une bonne partie du programme est consacré à des débats et conférences sur cette question.

Erik Solheim, représentant de l’ONU Environnement :

"La technologie est un bon outil pour protéger l’environnement. Par exemple : nous pouvons maintenant tracer n’importe quel bateau de pêche dans le monde (…) et savoir à quel moment il prend la mer."

Figure de proue du capitalisme triomphant, l’OMC peut être vue comme un organe multilatéral qui tente malgré tout (ou malgré elle ?) de réguler le commerce international dans des conditions plus acceptables pour l'environnement.

Une OMC impuissante ?

Le problème de l’OMC n’est pas tant dans ses objectifs que dans son efficacité. N’étant pas un acteur supranational, mais un organe international, sa capacité à faire appliquer ses objectifs dépend de ses Etats membres.

D’ailleurs, le développement durable, composé d'aspects sociaux et économiques, est bel et bien encouragé par l’OMC à travers la lutte contre la pauvreté, la réduction des inégalités de sexe et de richesse ou encore l’encouragement au travail décent et à la santé. Avec plus de réticence, la volonté de préservation des fonds marins obéit également à une logique de préservation de l’environnement.

Parmi ses « Grands principes » l’OMC a vocation à contribuer aux 17 objectifs du développement durable (ODD) fixés par les Nations Unies. Les accords de l’OMC permettent à ses membres de prendre des mesures pour protéger non seulement l’environnement, mais aussi la santé des personnes, des animaux et des végétaux. Toutefois, ces mesures doivent être appliquées de la même manière aux entreprises nationales et aux entreprises étrangères. Autrement dit, les membres ne doivent pas utiliser les mesures de protection de l’environnement comme des mesures protectionnistes déguisées.

Si les Etats ne souhaitent pas appliquer les résolutions, voire même aller à l’encontre des grands principes de l’organisation (comme c’est le cas actuellement[9]), celle-ci ne semble pas avoir d’autre capacité d’action que…la discussion.

Pire encore, lorsque les juges de l’organe d’appel (recours lors d’un arbitrage rendu par l’institution) ne peuvent être renouvelés car certains pays membres bloquent leurs nominations[10], l’organisation est sclérosée. En effet, le bon vouloir des Etats est la condition nécessaire du fonctionnement de l’OMC qui ne peut que promouvoir le dialogue entre eux.