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Hong Kong : comment Pékin veut reprendre la main

| Juliette Lamandé, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy

26 mai 2020

Alors que s’ouvraient récemment les lianghui, le rassemblement annuel du parlement chinois reporté à cause du COVID-19, le pouvoir central a dévoilé un projet de loi qui pourrait mettre fin à la gouvernance spécifique hongkongaise “un pays, deux systèmes”.

Hong Kong évolue jusqu’à présent dans un système juridique distinct de la Chine continentale. La Basic Law tient lieu de constitution et empêche Pékin d’y imposer directement ses décisions et ses lois dans plusieurs domaines, en particulier sécuritaire. Le gouvernement local n’a d’ailleurs jamais réussi à faire appliquer l’Article 23 de cette Basic Law qui interdit « les actes de sédition contre le pouvoir central ». Sa dernière tentative, en 2003, s’était soldée par des manifestations massives qui l’avaient bloqué.

En somme, grâce à son système juridique distinct et à la non-application d’une partie de sa loi fondamentale, Hong Kong a pu conserver un îlot favorable à liberté de la presse et au droit de manifester.

La fin d’une ère 

Mais selon toute attente, l’Assemblée nationale populaire (ANP) chinoise devrait adopter ce jeudi 28 mai la loi visant à « sauvegarder la sécurité nationale dans la région administrative spéciale de Hong Kong ». Le gouvernement central se justifie par le besoin de contrôler les franges violentes des manifestants hongkongais. 

Les détails ne sont pas connus mais elle devrait être composée de 7 articles. Son article 2 porte sur la lutte contre les interférences étrangères. L’article 3 réitère l’obligation pour Hong Kong de mettre en place des mesures de sécurité nationale requise par l’article 23 de la Basic Law. L’article 4 transfère le pouvoir à Pékin pour instaurer des organes de sécurité à Hong Kong. L’article 5 dispose que le chef de l’exécutif hongkongais devra rendre des comptes au pouvoir central sur les sujets relevant de la sécurité nationale. Enfin, l’article 6 reconnaît à l’Assemblée nationale populaire le droit de décréter des lois relatives à la sécurité nationale applicables à Hong Kong.

Cette annonce est un séisme politique pour Hong Kong. D’une part, il acte la fin de l’indépendance de la Basic Law et d’autre part, il permet à la Chine continentale de déployer à Hong Kong son régime.

En effet, cette proposition de loi a un champ d’application très large. Si on cite le texte lui-meme, il vise “any act occurring in the HKSAR to split the country, subvert state power, organize and carry out terrorist activities and other behaviors that seriously endanger national security, as well as activities of foreign and external forces to interfere in the affairs of the HKSAR”

Cette disposition très large fait craindre aux mouvements pro-démocratie hongkongais la mise en place de mécanismes de répression similaires à ceux existants en Chine continentale. 

Avec le vote de cette loi, c’est l’indépendance de la Basic Law qui est profondément remise en cause. Elle avait déjà été battue en brèche par Pékin Pékin en novembre 2019, quand elle avait nié à la plus haute cour de justice de Hong Kong le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi (en l'occurrence, il s’agissait de juger la constitutionnalité de l’interdiction de porter un masque dans la rue). L’application directe d’une loi du gouvernement central à Pékin serait un coup potentiellement létal à l’autonomie juridique et politique hongkongaise. 

Attentisme mondial

À Hong Kong, les militants pro-démocratie ne mâchent pas leurs mots en parlant de la “fin de Hong Kong” tandis que la cheffe de l’exécutif, Carrie Lam, a apporté son “soutien plein et entier” au projet. Les manifestations, jusqu’alors interrompues à cause du coronavirus, ont d’ailleurs repris. 

Aux Etats-Unis, le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo a déclaré que cette loi serait “une sentence de mort” pour l’autonomie de Hong-Kong. Donald Trump a enfoncé le clou en disant que les Etats-Unis réagiraient très fortement en cas de vote favorable à cette loi. Washington dispose en effet d’un sérieux moyen de pression : le retrait du statut spécial accordé à la région dans la loi américaine et renouvelé chaque année. Il permet notamment à ses habitants de voyager librement aux Etats-Unis sans visa et de bénéficier d’un taux de douane nul sur les importations américaines. Sa révocation aurait des conséquences immédiates sur l’économie hongkongaise. 

Sur le plan économique, la réaction des marchés a été immédiate. Le Hang Seng, l’indice hongkongais, a perdu - 5,7 % dans la journée de l’annonce de ce projet de loi, frappant d’abord l’industrie immobilière et l’industrie financière. Les marchés sont dans l’attente des détails législatifs et suspendus à la réaction finale de Washington dont la décision déterminera en partie le futur des avantages de la place financière de Hong Kong.

Londres a été plus discrète, alors qu’à l’été 2019, c’est le Premier ministre Johnson qui avait insisté pour que le G7 de Biarritz traite de la première crise entre Pékin et Hong Kong. Il faut toutefois noter que théoriquement, il pourrait offrir l’asile aux détenteurs de passeports britanniques d’outre-mer, auxquels les résidents permanents de Hong-Kong avant la rétrocession sont éligibles. Ces personnes n’ont pour l’instant pas le droit de résidence au Royaume-Uni.

A Taiwan, la présidente Tsai Ing-Wen, forte de sa réélection récente, a déclaré vouloir offrir à la population de Hong Kong “l’assistance nécessaire”. Le durcissement de Pékin envers Hong Kong n’est en effet pas sans parallèle avec son attitude envers Formose. Pékin a d’ailleurs renforcé ses manoeuvres militaires en mer de Chine du Sud après la victoire de Tsai Ing-Wen et son discours d’intronisation rejetant la proposition de la Chine continentale du principe “un pays, deux systèmes” appliqué à Taiwan.