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Transformer la finance : un impératif pour sauver la biodiversité ?

| Hugo Batardy

17 septembre 2021

Entretien avec Monsieur Gilles Kleitz, Directeur du Département Transition Écologique et Gestion des Ressources Naturelles de l’Agence Française de Développement (AFD).

Pourquoi lier finance et biodiversité ? Quelle est la genèse de la prise en compte par la finance des enjeux de biodiversité ? 

Ces vingt dernières années, nous sommes passés d’un paradigme de financement de la conservation de la nature, ou l’idée était d’apporter plus de ressources à la protection de la nature, à une valorisation un peu plus précise des externalités de l’économie sur la biosphère. 

Subitement, on s’est rendu compte que pour chaque euro dépensé – par le secteur public – pour défendre la biodiversité, 10 à 15 euros étaient mobilisés pour la détruire. 

Dès lors, depuis cinq ou six ans, l’enjeu n’est plus seulement d’augmenter le montant en volume des finances de la conservation de la biodiversité, mais plutôt de verdir la finance. 

En parallèle de cela, le secteur financier, à Davos, dans les banques centrales, mais également chez certains gros fonds d’investissement, a commencé à ressentir la matérialité du risque biodiversité. 

Qu’il s’agisse de l’approvisionnement des ressources, des risques de transition liés à la réglementation et aux lois, des risques systémiques d’effondrement ou de pandémie comme on le voit actuellement, le risque biodiversité a peu à peu été chiffré. 

Le Forum économique mondial et le Fonds mondial pour la nature (WWF) notamment ont publié un rapport qui montre qu’à peu près la moitié du PIB mondial, c’est-à-dire la production de valeur sur la planète – environ 45 000 milliards de dollars – était directement et fortement lié au bon état des écosystèmes. Dès lors, le point aveugle de la gestion des risques du système financier que constituait la non-mesure, reconnaissance, et prise en compte de la biodiversité dans l’évaluation des risques, était l’un des deux ou trois risques majeurs au niveau planétaire. Ces découvertes ont ébranlé les différents acteurs.

En outre, au cours des dix dernières années, une « finance verte » a émergé, en quête d’impacts positifs. Un certain nombre de fonds spécialisés ont pris conscience du retour sur investissement que certaines activités favorables à la biodiversité étaient à même de fournir : l’agro-écologie, les filières certifiées, etc.

Il y a donc eu d’une part la montée en puissance du discours « risques » avec un outillage pour le prendre en compte. La Banque centrale de France et la Banque centrale hollandaise ont par exemple fait des stress-tests, et réfléchissent à leur exposition aux risques financiers liés à leur dépendance et à leur impact sur la biodiversité. 

D’autre  part, il y a eu le développement d’une finance à impact positif sur la biodiversité. En effet, cet enjeu est apparu comme étant une opportunité pour le monde de la finance, qui s’est intéressé aux aspects techniques : négociation des taux, des risques, des maturités, pour finalement chercher des rentabilités et des niveaux de risques acceptables sur des activités positives pour la biodiversité. Ce qui nécessite toutefois de changer un certain nombre de paramètres. 

Désormais, lorsque l’on parle de finance et de biodiversité, l’approche est dix fois plus large qu’il y a quinze ans. Pour faire simple, la « finance biodiversité » renvoyait autrefois au financement des aires protégées. Aujourd’hui, lorsque l’on parle de « finance et biodiversité », en tout cas à l’Agence française de développement (AFD) ce sont les messages que nous essayons de faire passer le plus fort possible, on adopte une approche transversale et structurelle de verdissement massif de l’économie dans tous les secteurs, en cohérence complète avec le climat. Notre Agence tente  de ne pas séparer la biodiversité et le climat, et faire en sorte que ces deux enjeux soient abordés de manière cohérente, dans un esprit « Objectifs du Développement Durable », avec l’ensemble des objectifs sociaux de lutte contre les inégalités, la pauvreté, etc. 

Il ne faut pas oublier les coups de boutoir des crises de la biodiversité qui ont eu des effets réels, notamment en matière sanitaire, de production – par exemple vis-à-vis des stocks de poisson ou sur les sols agricoles. En outre, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) est montée en puissance ces dix dernières années. L’IPBES a notamment produit des rapports globaux sur l’état catastrophique de la biodiversité, ses coûts, et la vitesse de sa dégradation. 

Tout cela a permis de rassembler les chiffres que j’ai évoqués : nous perdons entre 4 000 et 6 000 milliards de services écosystémiques par an. Pour verdir l’économie, il faudrait non pas les 140 milliards que l’on dépense actuellement – essentiellement de la part du secteur public – mais plutôt entre 800 et 1 000 milliards par an – provenant essentiellement du secteur privé – pour transiter collectivement vers des activités durables. Il faut passer de 0,2 % du PIB mondial, essentiellement porté par les budgets publics, à 1 % du PIB, essentiellement internalisé dans nos économies grâce à la réglementation, les démarches volontaires et leur incitation, les contrats.

Aujourd’hui, la finance biodiversité arrive donc à un certain degré de maturité dans le sens où il est possible de chiffrer ces grands enjeux, de dire d’où ils viennent, de nommer les secteurs concernés, et les mesures à prendre au niveau financier. 

Actuellement, une des grandes étapes est la mise en place de standards de transparence et de disclosure sur les impacts de la dépendance à la biodiversité dans le secteur financier, avec la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD). 

Justement, pouvez-vous dire quelques mots pour décrire cette TNFD ? 

La TNFD est un groupe de travail international, pour lequel  soixante-quinze groupes privés, des agences de l’ONU et quelques gouvernements ont fait un premier travail préparatoire, et qui vise à établir sur les prochaines années des standards de transparence en matière d’impacts des fonds investis sur la biodiversité. 

L’enjeu est le suivant : les financiers, entreprises et agences de notation vont établir les standards qui permettront par exemple à un fonds d’investissement de décider si telle entreprise, telle industrie, est neutre et positive pour la biodiversité et si on peut y investir, ou si au contraire ça ne l’est pas.

L’ambition affichée de cette initiative est de pousser les fonds d’investissements notamment, à rendre compte de leurs impacts sur la biodiversité, et à adopter une trajectoire positive pour la biodiversité. 

Pour cela, il sera nécessaire d’aller chercher les classes d’actifs (supports d’investissement qui ont des caractéristiques communes, comme les actions ou les matières premières) les plus favorables, les plus contrôlées, les mieux gérées en termes d’impacts et de risque de dépendance sur la biodiversité etc.

Pour le moment il n’y a eu qu’un groupe informel de travail, qui a produit une feuille de route,  annoncée au G7 en juin 2021. A partir de septembre, cette TNFD va se mettre en place plus formellement, avec 35 membres privés, des appuis techniques et publics, un secrétariat global, comprenant notamment un hub sur la finance publique du développement s’appuyant sur les réseaux des 500 banques publiques de développement à travers le monde (10 % de l’investissement global public et privé total réalisé chaque année par l’économie mondiale), réseau où l’AFD joue un rôle d’animation et de plateforme important depuis quelques années (voir Finance in Common, International Development Finance Club)..

L’idée avec la TNFD est de faire, sur deux ans, deux ans et demi, des propositions collectives de cadre de transparence. Les trente cinq membres vont faire des propositions et les tester en matière de faisabilité financière, de disponibilité des données. Si cela fonctionne, d’ici fin 2023 et si possible avant, l’enjeu sera de mettre des standards sur la table, comme cela fut fait au niveau du climat avec la TCFD (l’équivalent de la TNFD, mais pour le climat), dont les recommandations ont été publiées en 2017. Une première proposition d’architecture, avec les principaux éléments de transparence, devrait être disponible dès début 2022.

On remarque donc qu’il y a des initiatives similaires qui se développent en termes de finance climat - avec la TCFD - et de finance biodiversité - avec la TNFD. Pour autant, ces finances sont-elles si semblables ? Y a-t-il des difficultés inhérentes aux enjeux de biodiversité qui complexifie leur prise en compte par le secteur financier ? 

En effet, il s’agit d’objets très différents, mais reliés. L’un, le climat, est sommable : on peut mesurer la quantité de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, ainsi que les effets d’un réchauffement global à 1,5°C. C’est donc « facile » : on peut calculer sa performance en tant que citoyen, pays, industrie pétrolière, agriculteur, transporteur, etc. Il est possible de se situer de manière assez facile par rapport à ce que l’on émet, ce que l’on séquestre. 

Pour la biodiversité, c’est un petit peu plus compliqué, parce qu’elle comporte plusieurs dimensions : les écosystèmes, les espèces, la génétique… La nature, sa capacité d’évolution, de production, de résilience, sa répartition géographique, tout cela est différent. Dès lors, avoir une unité standard de mesures, de nos liens, des impacts, avec la biodiversité est très compliqué. Pour le moment, on a donc du mal à aboutir à une unité intuitive qui parle à tout le monde, qui soit simple : par exemple « un hectare de nature sauvage » est différent selon si l’on considère le Sahara ou l’Amazonie. 

Actuellement, dans la gestion des pays et l’art de gouverner et d’assurer la stabilité sociale, politique et économique, nous occupons très peu de la biodiversité, nous prenons conscience que c’est un problème, et nous nous équipons progressivement pour combler cet aveuglement aux conséquences terribles, comme on le voit avec la pandémie. Finalement, la mesure de ce supplément d’attention au tissu vivant de la biodiversité, à notre « base vie », n’est pas si difficile que cela, malgré la complexité du sujet. Il faut dès lors qu’il y ait une science de la biodiversité opérationnelle pour la finance, l’économie, les sociétés, les territoires et les gouvernements. C’est une science de gestion,  pour faire entrer encore davantage le vivant en politique, sans l’écraser et sans perdre sa complexité spatiale et temporelle. C’est indispensable pour le maintien d’une planète habitable et aimée des humains. Il faut cependant bien distinguer ce besoin technique, instrumental, de celui d’approfondir la science écologique et biologique de la biodiversité, parce que c’est un autre sujet.

Le secteur financier aime ce qui est standardisé, simplifié. Il est donc difficile pour ce secteur de se saisir de cette diversité inhérente à la biodiversité ? 

Absolument. Il s’agit donc de mettre sur la table des outils simples, ce que tentent de faire un certain nombre d’acteurs en termes de mesure d’impact, et d’une unité standard biodiversité : en Grande-Bretagne, à la Caisse des Dépôts et Consignations en France, au sein du WWF. Tous ces travaux concourent à définir des unités qui sont mobilisables. 

L’autre enjeu est qu’il y a une lutte politique acharnée. Pour l’instant, l’humanité a vécu ses révolutions industrielles et post-industrielles en quasi « open bar » sur la biodiversité. En effet, nous ne payons pas l’accès à la biodiversité, nous mangeons le capital et nous nous rendons compte que l’open bar est terminé. 

Dès lors, derrière la complexité du discours sur la mesure, il y a aussi une lutte politique qui essaie de retarder l’irruption de limites. Politiquement, beaucoup d’arguments sont utilisés pour dire qu’il est impossible de changer les choses, qu’il en va de la liberté humaine.

Sauf que fondamentalement ce n’est pas si compliqué que cela. Bon an, mal an, les pays de l’OCDE se sont dotés de réglementations environnementales. Si elles étaient appliquées réellement, renforcées et respectées, cela irait à peu près bien sur leurs territoires. Restent leurs empreintes écologiques sur le reste de la planète.

En effet, si certain nombre de pays s’en sortent certes bien, c’est en externalisant au maximum toutes les nuisances, à peu près la moitié pour la France.

Dans une majorité de pays, la capacité à encadrer l’empreinte écologique d’un développement au service du bien être et du développement humain de tous est encore fortement défaillante. Il faut aider à consolider de toute urgence les cadres, les règles, les incitations, les contrats, l’engagement citoyen et politique. C’est une responsabilité collective. Un développement qui tue la base vie des humains et dérègle le climat n’est pas un développement.

Il existe cependant des moyens d’avancer. Je pense qu’il y a des spécificités, mais qu’in fine, il faut construire pour la finance une boite d’exigence « planète » qui regroupe le climat et la biodiversité, avec des outillages cohérents mais spécifiques pour chaque champs. Si nous traitons ces deux enjeux séparément, ce sera trop compliqué pour le monde de la finance de s’en saisir. Et de bien l’articuler évidemment avec les enjeux sociaux et de développement humain.

Justement, comment le secteur financier se saisit-t-il de cet enjeu concrètement, dans leurs opérations et investissements ? 

En ce qui concerne les classes d’investissements, un certain nombre de fonds d’investissements spécialisés ont émergé, affichant un objectif de biodiversité. Ils sont capitalisés à quelques dizaines, parfois centaines de millions - souvent largement en dessous du milliard – et ce, spécialement dans le financement à impact positif pour la biodiversité. Concrètement, ces fonds d’investissement financent essentiellement les agro-filières certifiées, l’économie forestière et du carbone, des projets de replantation à dimension biodiversité, parfois de l’éco-tourisme, des aires protégées, ou encore du poisson certifié.

Cela ne répond certainement pas à tous les besoins de gestion durable de notre capital naturel et de la biodiversité : les secteurs et projets rentables à court terme et donc acceptables pour les investisseurs de ces fonds sont en fait très peu nombreux. Par ailleurs, l’expérience des dernières années montrent que ces fonds financent, en tous cas pour l’instant, seulement une petite part des types d’actions qu’il faudrait financer pour réellement préserver la biodiversité, c’est-à-dire quasiment uniquement les filières certifiées – ce qui ne résout pas tous les problèmes. 

Deuxièmement, il y a vraiment très peu de projets rentables.  Il est donc difficile pour eux d’alimenter leur portefeuille de projets. Au bout de trois, quatre, cinq ans, ces fonds ont souvent du mal à remplir leur commande initiale, à investir à l’échelle sur un champ suffisamment large d’activités. 

En ce moment, il y a un fond intéressant qui se monte sur les récifs coralliens.  Les Nations-Unies (PNUD, Programme des Nations-Unies pour le Développement notamment) y investissent de l’argent multilatéral public. L’idée est d’attirer les investisseurs privés sur de l’éco-tourisme lié aux récifs coralliens, des taxes poissons liées à des aires marines protégées particulièrement utiles en termes halieutiques, des régimes d’assurance contre les catastrophes naturelles impactant ces patrimoines. Si l’intention est louable et nous en appuyons les principes, nous restons très attentifs à ce qui pourra être financé in fine et aux impacts positifs attendus.

Personnellement, je pense qu’il est essentiel de changer d’état d’esprit, et reconstruire entièrement la rationalité des taux de retour et ratio risques-taux sur les investissements à impacts positifs pour la biodiversité. 

D’une part, il est essentiel d’affirmer que la biodiversité est un secteur où l’on peut investir, tout en précisant que les investissements vont s’étaler sur quinze, vingt, voire cinquante ans. Il s’agit d’investissements à très long terme, avec des taux de rentabilité sans doute de l’ordre de 1 % à 2 % liés aux dynamiques biologiques d’un écosystème en régénération et de production de services écosystémiques de régulation, d’adaptation et de production. Avec des stratégies devant miser sur la sécurité plutôt que sur les taux, ce qui pose des difficultés spécifiques dans les géographies riches en biodiversité. Dans tous les cas, les taux réalistes seront beaucoup plus ténus que la rentabilité capitalistique habituelle: un travail d'interfaçage reste à ce titre à faire entre dynamiques biologiques, temporalités et taux de retour des investissements dans les secteurs de la biodiversité. Ceci afin d’atterrir sur des taux plus réalistes que ce que nous voyons passer actuellement dans certains instruments dit innovants de financement de la biodiversité. Et éviter que ce soit l’argent public qui compense ce différentiel pour préserver un « business as usual ».

Pour la biodiversité, il est donc important que des changements d’état d’esprit aient lieu chez les grands investisseurs: réduire les risques en travaillant avec les institutions publiques, accepter des taux faibles et des maturités très longues, être attentif aux impacts sur toute la durée de l’engagement. 

La finance verte aujourd’hui représente un enjeu énorme : les gestionnaires de fonds verts ou à enjeux ESG (critères environnementaux sociaux et de gouvernance) disposent de plusieurs milliers de milliards de capacité annuelle d’investissement. Dans ce cadre, la finance climat a fait une grosse percée et en représente une part significative. Cependant, dans cet ensemble, la part de la finance biodiversité d’origine privée avec un cadre robuste de redevabilité impact  reste minime, de l’ordre de 1 à 2 %, sans doute inférieur à 1 Md au total. Elle est cependant, au moins facialement, en croissance.

Il faut donc développer ces investissements privés, en gardant des attentes raisonnables en termes de rendements financiers et réalistes sur ce qui est bancable dans la biodiversité. Je reste convaincu que sans cadre réglementaire et incitatif fort, ce « financement spontané du vert » risque hélas de rester une partie marginale de la solution.

Dans ce cadre, qu’attendre de la COP 15 de la Convention de Rio pour la Diversité Biologique, finalement reportée au printemps 2022, et du nouveau Cadre Global pour la Biodiversité qui doit y être négocié ? 

Le cadre de la convention biodiversité a été conçu en 1992 à Rio, à un moment où la philosophie était différente. La pensée sur la biodiversité était dominée par les notions et instruments de protection de la nature et c’est cet axe, avec le partage des avantages, qui a été au total le plus travaillé par la convention depuis 30 ans.  Or, ce n’est pas la préservation, mais l’utilisation durable des ressources biologiques qui est l’objectif le plus transformateur pour réconcilier l’humanité avec la planète. S’il fait bien partie des trois objectifs de la convention, l’utilisation durable de la biodiversité a été finalement l’objectif qui a été le moins travaillé et mis en œuvre au niveau des pays. Sans doute, parce qu’il était le moins inconfortable politiquement de cantonner la convention à ce rôle de protection de la biodiversité, à éviter toute interférence avec les secteurs économiques et, par exemple, un protocole d’application contraignant sur l’usage durable des ressources naturelles.

Beaucoup d’acteurs restent ainsi contre l’élaboration de tout cadre contraignant au niveau mondial, et souhaitent contraindre la Convention on Biological Diversity (CBD) à rester dans une sphère de conservation de la nature et construction de réseau d’aires protégées, et qui ne souhaitent pas parler des différents sujets que j’ai évoqués : selon eux, la CBD ne peut et ne doit pas parler d’économie et de verdissement de la finance. Mon propos n’est pas de limiter l’importance cruciale du pilier protection du sujet biodiversité. Il s’agit simplement de dire que sans verdissement de l’activité humaine, notamment capitalistique, la protection d’un tiers de la planète ne suffira pas à maintenir la biodiversité, base vie présente et future de l’humanité, dans un état qui lui soit favorable.

L’enjeu majeur est donc de sortir de cette limite-là de la convention. D’une part, augmenter sérieusement ce que l’on fait en matière de protection (objectif de protection de 30 % de la planète, projets de territoire intégrés), et d’autre part mettre l’accent sur l’enjeu de verdissement de l’économie et de son financement. D’autant plus qu’au moment de la convention de Rio, en 1992, l’article 20 de la Convention a été rédigé en indiquant que c’était aux pays du Nord de payer les pays du Sud pour leurs efforts de conservation de la nature. Or, cela ne marche pas, bien qu’évidemment la responsabilité soit partagée mais différenciée. Il faut donc passer d’une conservation de la nature, financée à plus de 80 % par les pays riches sur leurs territoires,  à un verdissement général des économies, des investissements et de la finance.

Pour le moment, le point de crispation demeure l’introduction d’un objectif d’alignement de la finance sur la biodiversité, comme on l’a fait pour le climat avec l’article 2.1.c de l’Accord de Paris. Cette notion est actuellement proposée dans la version de travail du Cadre Global pour la Biodiversité, dans sa cible 14. Il faut le conserver, sans doute le détailler pour le rendre plus opérationnel.

Un tel objectif d’alignement permet d’engager la finance, et notamment la finance publique, vers des activités compatibles avec la biodiversité, voire positive pour la biodiversité. On commence d’ailleurs à avoir tous les instruments pour le faire. Il sera ensuite possible de le décliner en sous-objectifs plus précis, par secteurs, par instruments financiers, budgétaires, pas règles comptables. Mais ce n’est pas du tout gagné : il y a grand risque que les négociations retombent in fine sur le seul objectif d’une augmentation des financements de la préservation de la biodiversité dans les pays bénéficiaires de la solidarité internationale, qui reste en soit un objectif crucial, mais non suffisant. Ce qui témoigne du chemin qu’il reste à parcourir pour véritablement changer d’état d’esprit en matière de biodiversité, de verdissement de l’économie et de la finance et de changement de notre rapport prédateur à la nature.

Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Hugo Batardy, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille principalement sur la Diplomatie climatique de l'Union européenne.