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En Europe, comment va marcher la solidarité financière qu’on nous annonce ?

| Benoit Dicharry, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy

10 juillet 2020

Dans un entretien donné au Monde le 26 juin dernier, en parlant du plan de relance d’Ursula Von der Leyen, la chancelière allemande Angela Merkel déclare que « l’objectif du fonds est d’apporter de l’aide, de nous montrer solidaires, car nous voyons que les pays sont touchés à des degrés divers par la pandémie. Mais [...] il reste encore beaucoup d’efforts à faire par les Etats eux-mêmes ».

Cette déclaration reflète que, oui, l’Allemagne est consciente d’un besoin de solidarité budgétaire dans l’UE, et plus particulièrement au sein de la zone Euro ; mais que cette dernière sera conditionnée et restera cantonnée aux situations de crises. Il n’en demeure pas moins une avancée politique importante par rapport à la crise de la zone Euro qui avait été marquée par la logique du chacun pour soi.

Les économies de la zone Euro sont structurellement divergentes

Jean-Claude Trichet, président de la BCE de 1999 à 2011, se méprenait en disant que « lorsque nous aurons la même monnaie, nous aurons les mêmes économies ». Dès 1991, l’économiste Paul Krugman (lauréat du prix Nobel d’économie en 2008) a prédit que dans une zone monétaire, chaque pays tendrait à se spécialiser. Une zone monétaire est donc vouée à diverger par nature. Ainsi, pour la zone Euro, on a assisté à l’émergence des services à faible valeur ajoutée, comme le tourisme, en Europe du Sud et au maintien de l’industrie en Europe du Nord.

Or, l’industrie a un potentiel d’exportations beaucoup plus élevé que les services. Ainsi, en 2018, 83 % des exportations allemandes étaient assurées par le secteur industriel. Il s’agit là du principe même de la zone Euro qui a été bâtie pour que les économies du Nord puissent exporter et investir leurs excédents d’épargne vers le Sud. A titre d’exemple, en 2017, l’Italie était la première destination des investissements étrangers intra-européens.

Mais un tel fonctionnement génère des déséquilibres, qui ne doivent pas être trop importants sous peine de menacer la stabilité de la zone Euro. Concrètement, si les déficits commerciaux du Sud sont abyssaux, cela veut dire que la dette privée du Sud envers le Nord augmente trop. Or, en 2008, la Grèce accusait un déficit commercial équivalent à 13 % de son PIB, 10 % pour le Portugal ou encore 5 % pour l’Espagne. Les économies du Sud étaient donc extrêmement dépendantes des afflux de capitaux du Nord pour financer leur croissance économique.

Dès l’arrivée de la crise des subprimes en Europe en 2009, les économies du Nord ont retiré leurs capitaux du Sud : la perfusion a été coupée. Cette fuite des capitaux a mené à une très forte récession, et à une situation où les gouvernements du Sud devait offrir des rendements de plus en plus élevés pour pouvoir se financer. Il s’agit là de la crise des dettes de la zone Euro. Il faut également mentionner la série d’erreurs économiques européennes qui ont fait durer cette crise jusqu’en 2014 : on peut citer l’intervention tardive de la BCE sur le plan monétaire et l’austérité imposée dès 2011 sous le poids du dogme budgétaire des 3 % de déficit public.

Le besoin intrinsèque de mécanismes de solidarité budgétaire a été révélé au grand jour par cet épisode. En d’autres termes, le Nord doit redistribuer une partie de ses gains vers le Sud pour que la zone monétaire puisse rester stable.

Les embryons de solidarité ont vaincu la crise de la zone Euro mais pas résolu le problème de la divergence

La crise de la zone Euro n’a pu être surmontée qu’avec des premiers mécanismes de solidarité budgétaire permettant au Sud d’avoir accès aux capitaux du Nord avec des taux d’intérêt bas. Le FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière) créé en 2010, alimenté par la France et l’Allemagne à plus de 47 %, a permis d’éviter le défaut de paiement à la Grèce ou de l’Irlande.

Cependant, une fois la crise passée, les problèmes structurels ont perduré. Les économies du Sud sont restées spécialisées dans des secteurs à faible vecteur de croissance, contrairement au Nord. Et avec une perte d’appétit des investisseurs d’Europe du Nord vers les économies du Sud, on a assisté à la fin de la mobilité des capitaux dans la zone Euro.

Pour résumer, la perfusion est restée coupée, ce qui a fait apparaître une dynamique de divergence des performances de croissance. Ainsi, la croissance économique potentielle de l’Italie est aujourd’hui proche de 0 %, lorsque celles de l’Allemagne et de la France se situent à environ 1.5 %.

La zone Euro est donc vouée à mettre en place des mécanismes de solidarité permanents pour pallier cette tendance. C’est ce qu’a fait modestement la Commission européenne dès 2015 avec le « plan Juncker » qui a renforcé le rôle de la Banque Européenne d’Investissement. Mais face à l’ampleur de la récession de la COVID-19, ces outils se sont vite révélés insuffisants.

Le plan #NextGenerationEU propose une solidarité intéressée et temporaire

Angela Merkel justifie le plan de relance européen à travers « l’intérêt vital » de la zone Euro. Consciente que la faillite de l’Europe du Sud annihilerait les exportations allemandes, la chancelière a consenti à un effort inédit pour la convergence reflété dans le plan Von Der Leyen. Les pays du Nord ont dû accepter, du moins sur le principe, des mécanismes de solidarité beaucoup plus importants. Le plan #NextGeneration EU en est l’étendard.

Cet effort de solidarité risque cependant d’être fortement conditionné, les pays contributeurs étant très préoccupés par le risque d’aléa moral. En d’autres termes, des contreparties aux aides seront exigées, comme des réformes structurelles sur le marché du travail des principaux pays bénéficiaires. Les aides devront également être affectées à des dépenses qui devront bénéficier à toute l’UE. Ces dépenses seront productives, dans la lignée du Green Deal européen pour atteindre l’objectif commun de neutralité carbone à horizon 2050 par exemple. Elles devront également favoriser l’Europe du numérique.

La problématique de l’aléa moral constitue également une limite à la temporalité de cette solidarité. Les pays contributeurs acceptent d’aider les économies du Sud le temps d’absorber ce choc économique, qui plus est totalement exogène puisque dû à des facteurs sanitaires uniquement. Lors de la crise de la zone Euro, les politiques économiques laxistes étaient visées, en témoigne l’acronyme « PIGS » (Portugal, Italy, Greece, Spain) donné aux économies en crise.

Une solidarité après la récession de la COVID-19 ?

Une prochaine étape dans la solidarité serait le financement en commun de dépenses publiques traditionnelles, comme celles liées à l’éducation ou au système social. Compte tenu de l’attachement des pays contributeurs au risque d’aléa moral, il semble très peu probable que le gouvernement allemand puisse accepter de financer le système de retraite italien ! La création d’Eurobonds pour une mutualisation des stocks de dettes semble donc utopique. Pour ne citer que les Etats-Unis, la dette de l’état Californien n’est pas la dette de l’état du Michigan.

Il existe aussi un argument technique limitant la taille d’une potentielle dette fédérale européenne. L’Euro n’est pas une monnaie de réserve internationale, sa part dans les réserves est même en déclin : de 24 % en 2012, elle était d’environ 20 % en 2018. Il est donc peu probable que la zone Euro puisse profiter d’une offre de fonds prêtables similaire à celle du dollar.

Les eurobonds de #NextgenerationEU entrent plutôt dans la logique d’un budget européen d’investissement en temps de crise économique. Il est cependant possible qu’un tel mécanisme de solidarité puisse devenir pérenne si le succès économique est au rendez-vous, ce qui constituerait déjà une avancée politique majeure.