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L’Agenda 2030, le fil d’ariane pour sortir des crises

environnementales ?

| Aude Carpentier

21 juillet 2021

La crise de la COVID-19 serait indirectement liée à l’érosion de la biodiversité, et à la survenance de zoonoses, provoquées par la dégradation des habitats de la faune et à l’augmentation des contacts entre l’homme et les animaux sauvages. En dépit de ce cercle infernal auquel s’ajoute le réchauffement climatique, les priorités environnementales passent au second plan devant l’urgence sanitaire et le traitement des retombées économiques de la crise. A contrario de ce cercle vicieux, les Objectifs de développement durable (ODD) fixées par les Nations unies et rassemblées dans l’agenda 2030 constituent par leur approche globale et universelle du développement un cercle vertueux. Alors que la fabrique des politiques publiques fonctionne encore trop souvent en silo, l’agenda 2030 peut-il être le fil d’ariane pour sortir du labyrinthe de nos crises ? 

L’agenda 2030 comme horizon collectif

Si les ODD ne sont pas une fin en soi, leur traduction à l’échelle nationale et locale est déjà bien réelle. Les exemples de leur opérationnalité foisonnent sur le territoire français même si les porteurs de projets ne se revendiquent pas directement de l’agenda 2030. Les communes et régions françaises s’en saisissent quand ils déclinent à l’échelon territorial les plans de déplacements urbains (PDU) - politique nationale - dont la mise en œuvre relève des collectivités et le contrôle de la légalité du Préfet. Ainsi, le principe de subsidiarité et le choix d’une approche partenariale pour le déploiement de modes de déplacement doux renvoient aux ODD 11 et 17. Cette gouvernance partenariale permet d’appréhender les spécificités d’un territoire en se posant les questions au bon échelon : quel est l’état du réseau de transports en commun sur ma commune ? Les pistes cyclables sont-elles suffisamment développées ? Comment coordonner une action qui dépend à la fois d’une compétence communale (l’entretien des voiries) et dépasse mon périmètre (continuités intercommunales des routes) ?

L’agenda 2030 nouveau juge de paix sociale et environnementale ?

Cet horizon collectif ne sera atteignable qu’avec l’acquisition d’une culture de l'arbitrage et de la planification vertueuse. Nous pouvons espérer que la promotion de l’agenda 2030 permettra de lever les injonctions contradictoires qui pèsent encore sur les politiques publiques, et d'accroître l’acceptabilité des politiques menées en son nom. La crise des gilets jaunes constitue un exemple de la délicate conciliation des politiques publiques et plus généralement des ODD sur notre territoire. Le hiatus entre taxation carbone et soutien à des publics éloignés des territoires attractifs illustre bien la nécessité de se saisir d’un logiciel d’élaboration des politiques publiques plus sensible, qui ne sacrifie pas le bien être social sur l’autel de la transition écologique. L’abandon de la création d’un aéroport à Notre Dames des Landes ou encore du projet de la Montagne d’or en Guyane en France révèlent aussi la nécessité d’une planification plus vertueuse. Évoquant les projets aéroportuaires, l'Autorité environnementale française juge indispensable dans son dernier rapport  « une analyse de la croissance aéroportuaire à l'échelle nationale » et estime qu'un plan stratégique de développement des aéroports, accompagné d'une évaluation environnementale, serait le bienvenu en tant que schéma d'infrastructures de transports.

L’agenda 2030 : une occasion pour ouvrir la « boîte noire » des politiques publiques et dépasser les hiatus 

Pour réduire ces hiatus, un accompagnement de la recherche scientifique autour de la mise en œuvre de l’agenda 2030 permettrait de croiser des champs d’expertise encore trop cloisonnés pour trouver des solutions aux problématiques complexes du XXIème siècle. Ce besoin de modélisation poussée est particulièrement criant dans le domaine du développement urbain durable. Alors que la France se dotera prochainement d’un référentiel de non artificialisation des sols (ZAN) qui vise à réduire le mitage des terres agricoles et la perte d’espaces naturels liés à l’aménagement, comment continuer à garantir la production de logements accessibles dans des zones tendues comme à Mayotte et en Guyane, ou en Ile-de-France ? La densification via des dispositifs comme BIMBY (Build In my Back Yard) et la construction en hauteur sont des réponses environnementalement et socialement satisfaisantes, mais leur mise en œuvre effective est complexe. Ce logiciel urbain inclusif et sobre ne pourra être mis en place sans une politique ambitieuse de RDD. Cette réflexion peut s’étendre à d’autres secteurs d’activités consommateurs d’espaces comme l’agroalimentaire. Des pays comme le Brésil, sont contraints par une forme de « path dependancy » :  une dépendance de leur économie à la production de produits « à risque de déforestation » qu’il est nécessaire d’accompagner via une recherche d’alternatives économiquement et environnementalement soutenables.

La préservation de la vie terrestre et de la vie aquatique : un parent pauvre des luttes environnementales

L’absence de pendant à la convention citoyenne pour le climat, organisée en France pour la biodiversité, illustre en creux une logique à deux vitesses entre la lutte contre le réchauffement climatique et pour la préservation de la biodiveristé. La cristallisation de l’action publique autour de la protection des forêts comme puits de carbone est à cet égard révélatrice d’un biais cognitif. Ainsi, au-delà de leur importance dans le cycle du carbone, on estime que les forêts abritent 80 % de la biodiversité terrestre mondiale, dont les deux tiers se trouvent dans les forêts tropicales d’après les chiffres de l’Institut Français de Relations Internationales (Ifri). Or, d’après Stéphane Hallaire, fondateur de l’ONG Reforest’action, les citoyens ou les entreprises qui s’engagent dans des démarches de reforestation, le font d’abord dans un souci de lutte contre le changement climatique puis, pour les seconds, au titre des mesures compensatoires. Ces mesures sont par exemple demandées en France lors de la production d’études d’impact obligatoires pour l’autorisation d’un projet industriel, agricole ou d’aménagement de grande ampleur. 

Le CO2 qui cache la forêt ?

Cet effet d’éviction de la lutte contre le réchauffement climatique sur la préservation de la biodiversité pourrait s’expliquer par l’impossibilité de synthétiser la problématique de l’érosion de la biodiversité via des indicateurs simples et intelligibles par tous comme l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère ou la montée des températures. Au sein de la grande famille des naturalistes, il y a des dizaines de spécialités d'inventaires faunistiques et floristiques. En fonction du milieu naturel à inventorier, ces experts du biotope mettent au point des protocoles, complexes et méticuleux pour agréger des données récoltées « à la main ». Ce travail est différent de celui de la modélisation des émissions d’un projet. Ainsi, même si les actions de lutte contre le réchauffement climatique bénéficient à la biodiversité, cette dernière mérite une action en son nom propre et des indicateurs qui puissent constituer un levier pour l’action publique. Pour la directrice du développement durable du Centre national des Etudes spatiales (CNES), les indicateurs et leur valorisation via l’open data constituent un enjeu clé pour une meilleure prise en compte de la biodiversité dans les projets d'aménagement.

De l’espace au Mékong, il n’y a qu’un battement de cil 

Pour appréhender les ODD et relever les défis croisés du changement climatique et de la protection de la biodiversité, il convient de réconcilier les échelles locales et globales, car il n’existe pas de cloisonnement mais des effets cumulés sur les écosystèmes. Cette globalisation des enjeux liés au vivant s’illustre tous les jours dans les milliards de données que recueillent les satellites sentinelles de la NASA pour le Groupe d’Experts Intergouvernemental pour le Climat (GIEC). Depuis l’espace, on peut voir comment un phénomène global, le réchauffement climatique, impacte avec la salinisation des océans, des écosystèmes fragiles comme la rivière du Mékong au Vietnam qui change de couleur et d’aspect. L’impact du réchauffement climatique sur cet écosystème est pluriel, et renvoie à différents ODD : la salinisation tue la vie aquatique locale (ODD 15) et empêche les pêcheurs de poursuivre leurs activités traditionnelles tout en les précarisant (ODD 1).

Une vision par « cercles concentriques » consacre le vivant et neutralise des logiques d’aubaine 

Pour rendre nos luttes environnementales victorieuses, il faut comprendre les liens qui unissent le vivant et privilégier une action par cercles concentriques. Dans notre écosystème forestier, il y a d’abord un premier cercle constitué par notre environnement immédiat et nos paysages à l’instar des sentiers où nous randonnons le weekend. Il y a ensuite un deuxième cercle moins affectif constitué par des forêts plus lointaines en France ou au sein de l’union européenne protégée par des labels d’exploitation soutenables. Il y a enfin les forêts qui sortent de « notre cercle » comme l’Amazonie et ses rivières volantes qui rendent des services écosystémiques indispensables à la survie de l’humanité. Ces trois cercles remplissent ensemble les mêmes services écosystémiques : la captation du carbone, l’oxygénation de l’air et la participation au cycle de l’eau. En dépit de cette interdépendance réelle, la « déforestation importée » maquille notre impact global sur les forêts et bouleverse l’ensemble des écosystèmes forestiers. Si elle permet à des pays anciennement producteurs de se targuer d’un bon bilan de préservation, ceux-ci continuent via l’exportation à exploiter sans scrupules les forêts du dernier cercle indispensables à notre survie.

Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Aude Carpentier est Fellow de l'Institut Open Diplomacy et travaille entre sur les liens entre urbanisme et environnement.