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Économie : comment va le monde?

par Thomas Friang, Président de l'Institut Open Diplomacy

19 mai 2016

Quand on l’interroge sur la situation de l’économie mondiale, l’éditorialiste des Echos, Jean-Marc Vittori, s’étonne : « en 20 ans de carrière, je n’ai jamais vu une situation pareille »[1]. Et pour causes. La croissance économique,  qui plafonne à environ 3 % par an, reste molle au regard de la croissance démographique. La reprise a été assez tardive aux États-Unis tandis que l’Europe, exposée au risque du Brexit, est toujours loin de mettre en place le fédéralisme budgétaire dont elle a tant besoin. Dans ce monde tressé d’interdépendances, on cherche la locomotive de la croissance mondiale, habituellement asiatique. Voilà pourquoi, en septembre prochain, le sommet du G20 en Chine sera sous le feu des projecteurs.

L’Afrique est encore un espoir lointain

Après une quinzaine d'années de croissance économique du continent autour de 6 %, l'Afrique subsaharienne décélère et va sans doute se stabiliser autour de 3 % en moyenne, au cours des années à venir.

Le bonheur des uns fait le malheur des autres : si la baisse du prix des matières premières est un soulagement pour le pouvoir d'achat des Européens et en particulier pour la balance commerciale française, l'Afrique subit de plein fouet ce revirement de situation. Après avoir atteint leurs sommets en 2013, les cours du pétrole et du gaz viennent de subir leur chute la plus intense, - 60% en 18 mois selon le Fonds monétaire international (FMI), avec un effet direct sur l'économie de tous les pays exportateurs comme le Nigéria, le Tchad ou l'Angola, et des effets d'entraînement sur les économies exportatrices d'autres matières premières, comme l'Afrique du Sud, le Ghana ou la Zambie.

Si les perspectives de croissance à long terme restent raisonnables pour le continent, l'eldorado africain n'est pas prêt de remplacer le tigre chinois, l'aigle américain ou le grand marché européen.

Regard dans le rétroviseur, l’Europe prend la route de la déconstruction

Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne – BCE, grandement inquiet de l’entrée de l'Union européenne dans un cycle de déflation depuis février 2016, reconnaît que la croissance européenne sera plus faible qu'espérée, avant tout portée par la consommation et peu par l'investissement[2].

Mais le risque de dislocation de l’UE s'ajoute à la liste des risques qui inquiètent la BCE comme le FMI : tout juste sortie de la crise financière de 2008, l’Europe s’est rapidement trouvée confrontée au défi de la solidarité. Après les inquiétudes liées au risque de Grexit, et sans insister sur le Brexit qui menace l’ensemble de l’Union, la zone euro est actuellement confrontée à ce que le chef économiste de Natixis, Patrick Artus, appelle « la fin de la convergence »[3]. Il s'agit de l'écart croissant de compétitivité entre les pays où la désindustrialisation s’accélère, et ceux où le secteur secondaire continue de jouer un rôle important.

La présidente déléguée du Conseil d’Analyse économique, Agnès Bénassy-Quéré, regrette même « l’hallucination collective »[4] que constituait le traité de Maastricht de 1993 : faute d’un véritable budget fédéral permettant de mettre en œuvre les transferts nécessaires au bon fonctionnement d’une union économique et monétaire, et sous la menace de voir les cycles d’activités et les politiques budgétaires se désynchroniser, la monnaie unique apparaît de moins en moins viable.

Le traité de Maastricht de 1993, une "hallucination collective" faute de véritable budget fédéral.

Avec les yeux rivés sur la montée des mouvements populistes, qui placent même l’extrême droite en tête de l’élection présidentielle autrichienne, l’Europe regarde vers le passé avec effroi mais progresse sur le chemin dangereux de la déconstruction.

L’eurodéputée Sylvie Goulard regrette cette situation politique, qui gèle toute progression vers un « Maastricht 2.0 »[5]. Rapporteuse au Parlement européen des actes législatifs du « 2-pack » et du « 6-pack » qui ont permis d’empêcher l’explosion de la zone euro en réaffirmant certains engagements vitaux[6], elle sait que l’approche légaliste de l’Allemagne sur la question de la monnaie unique est difficilement réconciliable avec la perte de confiance dans les PIGS – acronyme injurieux désignant le Portugal, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne, pays qui ont été frappés par des crises économiques, bancaires et financières d’ampleur considérable depuis 2008.

 

Il ne reste que l’union des marchés de capitaux, promue par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker depuis sa prise de fonction en novembre 2014, pour faire circuler l’épargne du Nord vers les investissements au Sud, faute de transferts de solidarité permis par une union budgétaire. Un pari très incertain pour Patrick Artus, qui ne croit pas non plus à l’effet stabilisateur d’une assurance chômage unique en zone euro, idée rejetée par la France en 1994, en 2001 et en 2013 malgré les propositions allemandes en la matière - ce mécanisme serait moins favorable à la convergence que la logique de spécialisation au sein de l'Union économique et monétaire - UEM - ne catalyse la divergence.

Les États-Unis avancent sur la voie du plein emploi

De l'autre côté de l'Atlantique, l'ambiance est fort différente : Washington se réjouit d'un taux de chômage ramené à 5 % en 2015 grâce à une croissance soutenue par la consommation privée - à mettre en regard du pic de 10 % des actifs  au chômage atteint en 2010. La forte création d'emplois occulte progressivement les craintes d'une reprise tardive, mais le secteur manufacturier américain voit l'appréciation du dollar éroder ses marges exportatrices. Une remise en équivalence du dollar et de l'euro qui inquiète également les investisseurs, tout comme la faiblesse des cours des matières premières[7] et l'inflation nettement en-deçà de la cible prévue[8] par Janeth Yellen, la présidente du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine, la FED.

 

Dans ce monde que les ministres des Finances reconnaissent volontiers comme multipolaire, Washington s’inquiète également de la situation chinoise. D'abord parce que les dettes publiques et privées américaines sont largement financées par les réserves de changes de Pékin. Ensuite parce que les investissements chinois aux États-Unis, passés d’environ 30 à 350 milliards de dollars entre 2007 et 2015, pèsent toujours plus dans l’économie et le PIB américains.

La Chine, devenue première économie du monde, est attendue au tournant

Passée de 9,5 % en 2011 à 6,9 % de croissance en 2015, l’économie chinoise ralentit. Ce « new normal » s'installe alors que le but de la présidence chinoise du G20 en 2016 est bien de trouver « un nouveau chemin de croissance »[9] selon l’expression du président Xi Jinping. Toujours en quête du statut d’économie de marché que pourrait lui accorder l’Organisation mondiale du commerce – OMC d’ici fin 2016, la République populaire de Chine demeure sous la menace de risques importants bien qu'elle soit passée au premier rang du classement du PIB mondial en parités de pouvoir d'achat.

La libéralisation de son compte financier courant, concomitante de la libéralisation des changes, pourrait engendrer une sortie massive de capitaux du pays de nature à déstabiliser son système financier– alors que ses banques sont déjà fragilisées par des créances peu fiables représentant environ 20 % de leurs actifs selon Eswar Prasad[10].

La réorientation de la production chinoise vers la consommation intérieure ouverte par l’augmentation des salaires constitue également un processus long et difficile pour cette économie habituée à la vitalité de ses exportations… si la consommation privée représente désormais 66 % du PIB, l’investissement est à la peine quand la dette publique dépasse déjà les 60 % du PIB et que l’endettement général atteint 282 % du PIB !

La Chine, présidente du G20 en 2016, a une responsabilité toute particulière envers l'économie mondiale.

Présidente du G20 en 2016, la Chine a une responsabilité toute particulière envers l'économie mondiale qui est lui conférée par son statut de premier plan. En effet, selon le chef économiste de la division Asie-Pacifique du FMI, Ranil Salgado[11], la Chine a généré à elle seule plus d'un tiers de la croissance mondiale au cours des 10 dernières années, et sa dette extérieure s'élève désormais à 5 trillions de dollars, exposant les investisseurs du monde entier au moindre rhume à Pékin.

Cette responsabilité concerne en premier lieu ses voisins, plus ou moins inquiets selon l'intensité de leurs liens financiers – Singapour, Taïwan, Japon, etc. – et commerciaux– Vietnam, Thaïlande, Corée du Sud, Birmanie, etc. – avec la République populaire, notamment en termes d'exportations de matières premières – Nouvelle-Zélande, Australie, Indonésie, etc.

Que peut faire le G20 ?

La coopération reste le premier des défis à relever.

Si la Chine a un rôle particulier à jouer, tout le monde s'accorde à dire qu'il n'y aura pas de bonne réponse du pays à la question de la croissance mondiale. Le fonctionnement optimal de l'économie mondiale résulte d'une addition d'attitudes coopératives et de politiques concertées entre les principaux acteurs mondiaux. C'est donc au G20 d'agir : d'abord avec un diagnostic plus fin qu’auparavant - la Chine a proposé à cet effet une batterie d'indicateurs plus fins pour mieux évaluer la qualité des réformes structurelles - des pays du Groupe, puis par les choix de politiques monétaires et budgétaires.

Pour y voir plus clair, il faut lire entre les lignes des déclarations parfois lénifiantes du Groupe. Le communiqué de la réunion des ministres des Finances d'avril 2016 en est un parfait exemple [12] : « Nous saluons toutes les actions politiques entreprises par nombre des pays du G20 pour soutenir la croissance et stabiliser les marchés. Nous réitérons notre engagement à utiliser tous les moyens politiques – monétaires, budgétaires et structurels – individuellement et collectivement, pour favoriser la confiance et renforcer la croissance. ».

La première phrase est un reproche discret envoyé aux pays qui n'ont pas suivi la feuille de route du G20 – non-citées, il est question tout de même de 50 % des mesures initialement prévues – tandis que la seconde rappelle l'importance de la concertation internationale et de l'implication de chaque pays à son échelle.

Christine Lagarde, directrice générale du FMI, est dès lors prête à proposer « une stratégie mondiale de réponse à la faiblesse de croissance »[13] qu'elle juge capable de dynamiser la croissance mondiale de 0,8 points, notamment par une politique affermie de soutien à la demande, combinée à des réformes structurelles choisies... Pour autant, la coopération reste le premier des défis, devant le ralentissement des investissements et la frilosité du commerce international que déplore Angel Gurria, le secrétaire général de l'OCDE, l’Organisation de la Coopération et du Développement économiques[14].

[1] Conférence d'ouverture du Forum Devenir Reporter de l'Institut Open Diplomacy, le 1er avril 2016.

[2] Réunion du G20 Finances d'avril 2016.

[3] Conférence "Quel fédéralisme européen ?" le 9 avril 2016 dans le cadre du Printemps de l’Économie.

[4] Id.

[5] Id.

[6] Respectivement adoptés en 2012 et 2013 par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, ces deux paquets législatifs viennent renforcer le Pacte de Stabilité et de Croissance adopté en 1997 par l'Union européenne, grâce à des indicateurs plus fins de déséquilibres macroéconomiques entre les Etats membres, en matière d'excédents ou de déficits du commerce extérieur par exemple.

[7] La chute du cours du prix des matières premières constitue à première vue une évolution favorable à l'économie américaine, plus importatrice qu'exportatrice sur ce poste de sa balance commerciale. Toutefois, une évolution trop radicale des cours des matières premières pourrait fragiliser le secteur financier américain ayant offert d'importantes garanties sur les cours.

[8] Les cibles d'inflation relèvent des décisions de politique monétaire prise par le Board de la FED. Elles sont revues en fonction du niveau de croissance et d'endettement du pays.

[9] Discours lors de la réunion ministérielle du G20 Finances le 16 février 2016.

[10] PRASAD Eswar, China’s economy and financial markets: Reforms and risks, Brookings Institution, avril 2016.

 

[11] Séminaire du Fonds monétaire international, Trade and Financial Spillover from China, mai 2016.

[12]  "Communiqué G20 Finance Ministers and Central Bank Governors Meeting", 27 avril 2016 [en ligne], consulté en mai 2016 : http://www.g20.org/English/Documents/Current/201604/t20160427_2269.html.

[13] GASPAR Vitor et EYRAUD Luc, "The IMF's advice on restoring strong economic growth", 14 avril 2016 [en ligne], consulté en mai 2016 : https://www.weforum.org/agenda/2016/04/the-imfs-advice-on-restoring-strong-economic-growth/?utm_content=buffer1a4d6&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer.

[14] Réunion du G20 Finances d'avril 2016.

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