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Retour vers le présent : les crises oubliées

| Gaëtan Ferrara, Junior Fellow de l’Institut Open Diplomacy

10 juillet 2020

Une myriade de crises parsème le monde chaque instant. De natures diverses et d’intensités variables, certaines attirent notre attention à travers l’un ou l’autre des médias à notre disposition. Parfois, certaines organisations non-gouvernementales, certains États, voire la communauté internationale dans son ensemble, s’intéressent à une crise et tentent de la résoudre au gré de leurs intérêts. Trop souvent, il ne s’agit que de traiter des symptômes et non les causes, profondes, structurelles, historiques, politiques, économiques ou sociales, de ces crises. Les crises ne sont alors pas pleinement résorbées. Bien vite, de nouvelles apparaissent, les acteurs et notamment les donateurs se lassent des précédentes et tournent leur action vers les plus récentes, au fil de l’actualité. Les spectateurs et spectatrices suivent la valse des crises à travers leurs écrans, ils les consomment tel un divertissement, impuissants face au déferlement de souffrances que les médias donnent à voir et à analyser à chaque instant. D’autres, qui n’ont pas la même chance, les subissent et n’en connaîtront jamais l’issue.

Cette série de décryptages vise à revenir sur certaines crises oubliées qui continuent pourtant de causer de profondes souffrances, la mort et la destruction. Pour chacune, l’approche sera axée sur les normes universelles de protection des droits de l’humain : droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels, prohibition de la torture, droits des travailleurs migrants, droits des enfants, des femmes, des personnes en situation de handicap, prohibition des discriminations raciales et, enfin, prohibition des disparitions forcées selon les 9 conventions onusiennes de protection des droits humains. Chaque crise, aussi lointaine et étrangère soit la contrée qui l’a vu naître, nous renverra à une crise similaire que nous vivons actuellement tout près de nous : en France, dans notre région, au coin de notre rue.

Le Tibet, une sinisation rampante

Nous commencerons par revenir sur l’incorporation du Tibet au sein de la République populaire de Chine depuis le milieu du XXe siècle. Ce territoire est devenu la région autonome du Tibet : ce point ne fait plus débat sur la scène internationale. Cette incorporation a suscité de vives contestations, encore récemment. Cette région himalayenne présente un intérêt géostratégique majeur pour la Chine, en particulier en matière d’accès à l’eau. Cette incorporation du Tibet a notamment été l’objet de critiques en raison du fait qu’elle a été réalisée par la Chine à travers une politique de sinisation forcée de la région. Cette politique d’assimilation des Tibétains à la culture chinoise n’est pas sans rappeler la propre politique française d’une République une et indivisible. Des problématiques communes existent entre nos deux États, par exemple en matière de reconnaissance de la langue tibétaine comme des langues régionales en France, ou bien encore de politique nationale d’intégration qui vise l’assimilation et l’uniformité plutôt que le cosmopolitisme.

Les Rohingyas et la négation des droits humains

Plus au sud de ce même pan du continent eurasiatique, le sort des Rohingyas au Myanmar et à ses frontières continue de porter atteinte aux droits humains les plus élémentaires. En dépit de la forte mobilisation citoyenne sur les réseaux sociaux et de la communauté internationale lorsque la crise atteignit les médias occidentaux, Naypidaw nie toute exaction à travers la voix de son ange déchue, Aung San Suu Kyi. Si « la France appelle le Bangladesh à continuer d’accueillir les Rohingyas qui cherchent refuge sur son sol », c’est d’une voix étouffée par l’hypocrisie des autorités françaises dans le cadre de l’accueil et de la gestion des migrants sur son propre sol.

Le cimetière méditerranéen

Plus à l’ouest, Nostra Mare porte le pourpre manteau de l’espoir noyé. Le sang des milliers d’individus qui ont tenté de la traverser, avalés par les flots ou refoulés par un navire de patrouille, nord-africain comme européen. La gestion de cette crise migratoire ne peut être qualifiée de rien de moins que de meurtrière. Le cynisme est poussé toujours plus loin, jusqu’à l’établissement de camps européens de triage de migrants au sein des États nord-africains. Nombreux sont celles et ceux qui vivent l’enfer de l’esclavage, qu’ils soient emprisonnés ou que ce soit en échange du remboursement d’une dette aux passeurs pour une traversée qui ne sera sans doute jamais couronnée de succès. Fuyant des conditions de vie indécentes, résultats de siècles de colonisation et d’impérialisme qui perpétuent l’exploitation des populations africaines au profit des puissances occidentales, les migrants constituent les variables intermédiaires de décennies de politiques électoralistes populistes sécuritaires paneuropéennes. La France n’y fait pas exception, outre le fait de consentir à défaut de s’y opposer aux opérations européennes anti-migrants en Méditerranée. Les incommensurables queues devant les préfectures n’ont d’égal que les bidonvilles dissimulés aux portes de Paris et autres villes de France et de Navarre.

Des inégalités explosives aux Etats-Unis

Si les Européens maltraitent les populations en développement, de l’autre côté de l’Atlantique, les États-Unis d’Amérique font subir un niveau de pauvreté inédit à une large partie de leur population. Et ce malgré la place d’hégémon que le pays a occupé durant près d’une décennie sur la scène internationale, et malgré le fait qu’il continue à se prétendre la première puissance mondiale. Plus généralement, bénéficier du statut de pays développé n’est pas synonyme de conditions de vie dignes systématiques pour l’ensemble des populations de ces États. Un gouffre économique demeure sinon s’accroît entre les différentes classes sociales, ethnies et genres. A nouveau, la France n’est pas sans reproche dans ce domaine comme en témoignent les observations d’organisations non gouvernementales tout autant que celles d’institutions publiques nationales et internationales.

La régression mondiale de la liberté d’orientation sexuelle

De Washington à Brasilia, en passant par Budapest et Moscou, nous vivons une régression mondiale de la liberté d’orientation sexuelle. Près de cinq ans après l’apogée du mouvement de reconnaissance du mariage pour tous dans plusieurs États du globe, les LGBTQI+ ne sont plus à l’abri de législations restrictives, pas plus dans le Pays de la Liberté qu’au sein de l’Union européenne. La France n’est pas épargnée par la remise en question de ce droit. La montée du populisme de droite tend à remettre sur le devant de la scène un conservatisme exacerbé au sein de l’Hexagone.

Les enfants-soldats : enfances et vies gâchées

Enfin, le dernier mais non le moindre, je souhaite revenir sur une crise qui semble ne connaître aucune fin, celle de la frange orientale de la République démocratique du Congo. Plus particulièrement sur le sort des enfants-soldats du Kivu, promis à une vie de sacrifices au service de Seigneurs de guerre toujours présents depuis la décolonisation du pays il y a plus de 60 ans. En France, la situation des enfants n’est pas comparable, ce qui ne nous interdit pas de relever les manquements, nombreux, en matière de protection et d’accompagnement du développement de chacun. Les ressources à disposition de l’aide sociale à l’enfance sont disproportionnées eu égard aux missions de cette institution. Si les enfants en France n’ont pas à subir la guerre, ils sont encore trop nombreux à se battre quotidiennement pour survivre, en particulier les mineurs non accompagnés, vivant dans les rues, bravant la canicule estivale, le gel hivernal et l’indifférence des passants et de l’État.

Suivez-moi et, ensemble, souvenons-nous de toutes ces vies qui continuent de souffrir génération après génération. Rappelons-nous également que toutes ces crises trouvent écho chez nous. Si nous ne pouvons agir à l’autre bout du monde, à tout le moins nous avons le devoir de ne pas rester indifférents à ce qui se passe dans notre propre pays.