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Nous fêtons un bien triste anniversaire, 5 ans après la COP21

| Hugo Batardy

11 décembre 2020

« A Paris, il y a eu bien des Révolutions. Depuis des siècles. Mais aujourd’hui, c’est la plus belle et la plus pacifique des Révolutions qui vient d’être accomplie, la Révolution pour le changement climatique ». C’est ce que déclarait le 12 décembre 2015, François Hollande, Président de la République, en conclusion à Paris de la COP21. Les mots étaient forts, l’image de la salle remplie de chefs d’Etat et de Gouvernement du monde entier, en liesse au Bourget, l’était aussi. Bien loin de la terne conclusion de la COP15 à Copenhague six ans plus tôt en 2009, symbole d’un multilatéralisme climatique en crise.

Lors de la COP21, après plus de vingt ans de négociations, les Etats, parties de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), sont en effet parvenus à un accord climatique international universel. L’accord de Paris reconnaît la réalité du changement climatique et la nécessité de prendre des mesures pour l’atténuer. En 2015, la quasi-totalité des pays de la planète, dont les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, se sont réunis autour d’une ambition commune : limiter le réchauffement « bien en-dessous des 2°C », et même tenter de le limiter à 1,5°C.

Deux principes clés sous-tendent cet accord : la transparence, et le rehaussement progressif des ambitions. A l’aune de son agenda et des mesures précises prévues, 2020 devait être une année charnière, celle de l’augmentation des contributions déterminées au niveau national (CDNs) et du renouvellement des stratégies bas-carbone à long terme. Or la COP 26, prévue à Glasgow en novembre 2020, a été reportée en 2021, pandémie de Covid-19 oblige, et le processus est bouleversé. Comment conserver l’ambition commune ?

Un accord climatique historique, mais à l’ambition battue en brèche

Contrairement au Protocole de Kyoto, qui s’achève en 2020, l’accord de Paris a été imaginé pour inscrire les Etats dans une logique bottom-up. Ces derniers décident de manière souveraine des efforts qu’ils entendent fournir pour lutter contre le changement climatique. La division entre pays industrialisés et pays en développement est par ailleurs plus fluide qu’elle ne l’était dans la structure par annexes du Protocole de Kyoto. Le principe de responsabilité commune mais différenciée demeure toutefois primordial.

L’accord de Paris se fonde ainsi sur un mécanisme d’ambition, processus cyclique, qui incite notamment chaque Etat à soumettre des Contributions Déterminées Nationales (CDNs), rehaussées, tous les cinq ans. Ces CDNs contiennent les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et d’adaptation aux effets du changement climatique. En complément, un bilan complet doit être réalisé tous les cinq ans : le prochain aura lieu en 2023.

Moins d’un an après sa signature, l’accord de Paris est entré en vigueur le 4 novembre 2016, trente jours après qu’au moins 55 parties représentant au moins 55 % du total estimé des émissions mondiales de gaz à effet de serre l’aient ratifié. Son entrée en vigueur rapide n’a pas empêché des déboires : le 1er juin 2017, Donald Trump a annoncé le retrait des Etats-Unis, effectif le 4 novembre 2020. L’argument : l’accord porterait atteinte aux emplois américains. Il est certes discutable : l’accord de Paris est juridiquement contraignant, mais pas la décision qui le précise, tandis qu’il n’y a pas de système de sanctions. Néanmoins, l’abandon par le deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre après la Chine, a porté un coup à la dynamique insufflée par la COP21. L’ambition d’autres pays a ensuite fléchi, comme le Brésil, l’Australie ou l’Arabie saoudite. Le retour, annoncé par Joe Biden en amont de son élection en novembre 2020, des Etats-Unis dans l’accord de Paris, peut-il permettre d’accroître son ambition ? John Kerry, nommé représentant spécial pour le climat, connaît bien le dossier, après l’avoir signé au nom des Etats-Unis lors de la COP21.

Accroître l’ambition commune, un impératif 

Si l’accord de Paris a permis de mobiliser les forces vers un objectif commun, rien ne semble garantir à l’heure actuelle que les engagements pris seront respectés et encore moins renforcés, en l’absence de dispositifs contraignants et d’une volonté politique forte.

Dans son rapport 2019 sur l’écart entre les besoins et les perspectives de réduction des émissions, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) affirme que l’objectif des 1,5°C semble être désormais hors d’atteinte. A moins que les pays ne commencent à réduire de manière immédiate et drastique leurs émissions de gaz à effet de serre : de 3 % par an à partir de 2020 pour limiter le réchauffement à 2°C, et de 7 % par an pour le limiter à 1,5°C. Or ces émissions ont augmenté de 1,5 % par an au cours de la décennie 2010.

Néanmoins, depuis 2015, un nombre croissant de pays et organisations se sont fixé des objectifs de réduction nette de ces émissions. Si l’expression « neutralité carbone » n’est pas inscrite en tant que telle dans l’accord de Paris, elle constitue désormais un objectif clair pour de nombreux émetteurs d’ici 2050, dont le Japon, la Corée du Sud ou encore l’Union européenne. Fait notable, la Chine a annoncé début septembre 2020 vouloir devenir neutre en carbone d’ici 2060, et atteindre son pic d’émissions en 2030.

Si la gouvernance énergétique globale gagnerait à être plus cohérente, les paramètres économiques se sont améliorés depuis 2015. Le coût des technologies et énergies renouvelables, diffusées à plus grande échelle, a en effet baissé, tandis que des progrès ont été réalisés en matière d’efficacité énergétique.

La crise de la Covid-19, qui a mis une partie du monde à l’arrêt au printemps 2020, a certes eu un impact positif : le niveau général des émissions devrait être inférieur, pour les pays du G20, de 7,5 % d’ici fin 2020 par rapport à 2019. Mais le « monde d’après » ne diffère pas tant du « monde d’avant » : ces moindres émissions, temporaires, devraient être annihilées par des plans de relance qui continuent à financer des combustibles fossiles. Depuis le début de la crise en 2020, pas moins de 240 milliards de dollars, représentant 54 % de l’argent dédié au secteur énergétique, est venu soutenir les énergies fossiles au sein des pays du G20. Or ces derniers représentaient presque 80 % des émissions globales en 2019.

Rééquilibrer les financements climats, entre adaptation et atténuation 

Augmenter les objectifs et les contributions nationales, mais également soutenir les pays en développement : 2020 est une date butoir pour un autre aspect clé de l’accord de Paris, celui des financements climats fournis par les pays industrialisés à ceux en développement.

Il y a plus de dix ans, lors de la COP 15 en décembre 2009, les pays développés se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 afin d’aider les pays dits du Sud à s’adapter aux effets du changement climatique et à réduire leurs émissions. Cet engagement est essentiel, car il permet de fonder la confiance entre les Etats. En novembre 2020, une étude de l’OCDE a montré qu’en 2018, 78 milliards de dollars avaient effectivement été versés. Si les chiffres ne sont pas encore disponibles, on peut imaginer (ou espérer) que le coût politique en cas de non-versement des 100 milliards soit trop élevé pour que cet objectif ne soit pas atteint.

Toutefois, ces financements restent flous, ce que ne se privent pas de souligner les ONG comme Oxfam. Entre argent public et privé, subventions et prêts, les enjeux ne sont certes pas les mêmes. Or la majorité des financements publics a pris la forme de prêts, en 2017-2018, ce qui ne constitue donc pas un véritable effort financier de la part des pays développés. Par ailleurs, les mesures d’atténuation et d’adaptation ne sont pas financées de manière égale, bien que l’accord de Paris prône un équilibre. Selon Oxfam, seuls 21 % des fonds climat ont été consacrés à aider les États à s’adapter aux effets du changement climatique entre 2016 et 2018, contre 70 % pour les aider à réduire leurs émissions. Pourtant, les Etats qui absorbent ces financements ne sont pour la plupart pas de grands émetteurs, mais bien souvent particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique.

Des initiatives ont certes émergé du côté de la finance climatique. En 2020 a eu lieu le premier sommet Finance en commun, rassemblant 450 banques publiques de développement, pour contribuer à orienter les flux financiers vers les enjeux climatiques. L’Agence française de développement (AFD), qui a organisé cet événement, a par ailleurs mis en place un certain nombre de facilités, comme Adapt Action, pour accompagner des pays vulnérables aux changement climatique à mettre en œuvre leurs stratégies d'adaptation.

A Paris en 2015, le chemin à suivre, étroit et semé d'embûches pour lutter contre le changement climatique, a été tracé. Une crainte subsiste néanmoins : les Etats, et en particulier les principaux émetteurs, tiendront-ils leurs engagements ? La pandémie de la Covid-19 a frappé de plein fouet les ambitions d’une mobilisation raffermie. D’une part en obligeant à reporter les rendez-vous internationaux, d’autre part en risquant de mettre sous le boisseau les objectifs climatiques face aux crises économiques et sociales qui menacent.

La COP 26 à Glasgow en novembre 2021 constituera donc un rendez-vous crucial, avec des enjeux clés : rehausser de manière effective l’ambition commune, s’accorder pour finaliser la mise en œuvre de l’Accord et s’investir pleinement dans la période post-2020. Première étape : publier des contributions nationales renforcées. En novembre 2020, seuls 15 pays représentant 4,6 % des émissions globales l’avaient fait pour clôturer le premier cycle de l’accord de Paris - et sans lever certaines interrogations sur la réalité des nouvelles ambitions de certaines contributions. Un exemple : l’UE, qui se veut un leader climatique, a peiné à établir un consensus entre Etats membres pour augmenter son ambition de réduction des émissions de 2030, à 55 %, par rapport à 1990. Or aux côtés notamment de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud, ces engagements climatiques de l’UE permettraient de réduire le réchauffement à 2,3/2,4°C. L’enjeu : que ces annonces survivent aux aléas politiques, soient suivies par des actions concrètes, et soient prolongées d’autres engagements pour enfin tendre vers maximum 1,5°C de réchauffement. La société civile a du pain sur la planche.

Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Hugo Batardy, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille principalement sur la Diplomatie climatique de l'UE.