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Les États-Unis, un paradis fiscal moteur des discussions sur la fiscalité internationale

| Bastien BEAUDUCEL, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy

6 juillet 2022

Fin 2018, l’adoption d’une loi anti-blanchiment aux Bahamas a conduit certains propriétaires de trusts, dont la famille de l’ancien vice-Président de la République dominicaine Carlos Morales Troncoso, à domicilier leurs avoirs aux États-Unis et plus précisément dans l’Etat du Dakota du Sud.

Alors que l’accord fiscal international portant sur un taux d’imposition minimum mondial de 15% et une meilleure répartition des profits des très grandes entreprises, adopté au G7 en juin 2021, au G20 en juillet 2021 puis au sein de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) en octobre 2021, est le fruit du volontarisme des États-Unis, ce pays abrite de nombreux paradis fiscaux dont l'attrait est accru par cet accord et les derniers scandales.

Un pays face aux enjeux fiscaux internationaux

L’élection du Président Joe Biden a modifié le paradigme de la politique étrangère américaine. Pour succéder à un Président « néo isolationniste », adepte de la doctrine America First, les États-Unis ont élu un Président plus interventionniste. Joe Biden a ainsi annoncé dans les jours suivants son intronisation le retour d’une « Amérique prête à guider le monde » suivi de la réintégration des Etats Unis au Conseil des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations-Unis mais aussi des accords internationaux comme l’accord de Paris sur le climat et de la signature d'un nouvel accord économique en Asie-Pacifique avec treize pays.

En ce qui concerne la fiscalité, contrairement aux décisions de Donald Trump, les États-Unis de Joe Biden se sont déclarés favorables à la négociation d’un accord fiscal au niveau mondial pour définir un taux d’imposition minimal et réformer la répartition du pouvoir fiscal entre les États. Dans ces discussions, les Etats-Unis ont proposé l’instauration d’un taux minimum de 21% pour l’impôt mondial, alors que d’autres pays comme la France proposaient seulement 12,5%.

Cette décision américaine, convergente avec la volonté des États de l’Union européenne membres du G7, France, Allemagne, Italie, d’avancer sur cette question, a constitué une opportunité qui a permis de trouver un accord sur un taux minimal d’imposition et une meilleure répartition des profits au niveau mondial.

Une volonté nouvelle guidée avant tout par les intérêts américains

Bien que les États-Unis, par leur volontarisme, aient permis d’aboutir à cet accord historique, les américains ne l’ont pas conclu dans un but purement altruiste. Cet accord vise à garantir le financement des grands plans de redressement américains post-pandémie tout en protégeant leurs entreprises.

En effet, dans l’optique états-unienne, cet accord permet d’éviter un mouvement d’évasion fiscale des firmes américaines face à la hausse annoncée du taux d'imposition fédéral sur les sociétés de 21% à 28% et d’accroître les financements des deux plans d’investissement annoncés par le Président Joe Biden pour un montant total de 3 800 milliards de dollars.

Au-delà de cette volonté de récupérer des recettes fiscales, les États-Unis souhaitent aussi protéger les intérêts de leurs grandes multinationales et en particulier de leurs entreprises du secteur numérique, notamment les « GAFAM ». En effet, l’appui américain à cette initiative européenne a pour contrepartie l’abandon du projet européen de « taxe GAFAM », projet dont les recettes devaient financer une partie du plan de relance européen de 750 milliards d’euros « Next Generation European Union ». De même, les taxes nationales, mises en oeuvre notamment en France mais aussi en Italie, en Espagne, en Autriche ou au Royaume-Uni devront disparaître dès 2023 avec la mise en place de l’impôt mondial.

Cet abandon représente une victoire pour les États-Unis dans la mesure où toutes les entreprises du numérique ne seront pas touchées par cet accord fiscal. En effet, à l’instar de l’ensemble des entreprises, seules celles réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 20 milliards d’euros et ayant une rentabilité supérieure à 10% sont assujetties au pilier 1. A ce stade, Amazon, qui affiche une rentabilité de 6,3%, en serait exemptée.

Un accord qui ne remet pas en cause les paradis fiscaux américains envers lesquels l’État fédéral est au mieux indifférent

Cette réforme a un autre bénéfice important pour les États-Unis. Elle met en avant la nécessité de sa présence et de son influence pour obtenir des accords fiscaux internationaux tout en lui permettant de rester très laxiste envers ses propres législations, au niveau de certains États fédérés, permettant l’optimisation fiscale tant au niveau fédéral qu’au niveau fédéré.

Les États-Unis, par l’intermédiaire de certains États fédérés, restent ainsi dans le même temps, un paradis fiscal, le plus discret du monde. A la différence des paradis fiscaux que sont le Panama, les Bahamas ou encore certains pays européens comme la Suisse et le Luxembourg, les États fédérés composant les États-Unis ne sont pas l’objet de scandales fiscaux mondiaux. Ainsi, le dernier scandale en date, révélé par un consortium international de journalistes, l’affaire des Pandora Papers, s’intéresse aux paradis fiscaux au Moyen-Orient, à des citoyens russes ou européens mais beaucoup moins aux paradis fiscaux américains et aux citoyens américains.

Pourtant, les États-Unis ne sont pas les chantres de la transparence fiscale et de la lutte, sur leur territoire tout du moins, contre les paradis fiscaux. Contrairement à la Suisse, dont les législations évoluent vers plus de transparence, les États-Unis « gagnent » des places dans le classement de l’opacité fiscale publié par l’ONG Tax Justice Network. Alors qu’ils étaient classés sixième en 2013, ils sont dorénavant deuxième en 2020 derrière les Îles Caïmans mais devant des pays comme la Suisse, Hong-Kong ou Singapour.

Pour cause, dans une logique de construction d’un avantage comparatif reposant sur des lois toujours plus moins-disantes fiscalement que dans d’autres États fédérés, des États comme le Delaware, le Wyoming, le Nevada et le Dakota du Sud se sont spécialisés et ont développé une économie basée sur les stratégies d’évasion fiscale. Ces pratiques sont appuyées, auprès de l’opinion publique, par l’image du self made man américain que, selon leur logique, contrecarrent la fiscalité sur les entreprises.

A titre d’exemple, le Delaware permet la création de sociétés écran où le nom du véritable bénéficiaire de la société reste inconnu par l’entremise d’autres sociétés écran ou d’individus qui prendront le rôle de directeurs et d’actionnaires. La plupart du temps, ces actionnaires sont avocats et sont donc tenus au secret professionnel, les empêchant de révéler l’identité du véritable actionnaire de la société. Dans le Dakota du Sud, État qui, pour contrer la dépression économique, a choisi dans les années 1970 de spécialiser son économie dans l’activité d’évasion fiscale, la législation permet aux trusts, entité juridique dans laquelle une personne physique transfère ses actifs, d’avoir une durée de vie infinie.

Au niveau fédéral, en contradiction avec les positions de Joe Biden à l’international, le gouvernement fédéral ne remet pas en cause les politiques de ces États. Les américains n’ont pas accepté la mise en œuvre des échanges automatiques d’information, norme adoptée par l’OCDE en 2014. A la place, ils ont préféré conserver leur modèle - FACTA - qui collecte uniquement des informations des États étrangers mais, concrètement, refuse tout octroi d’informations aux autres États tout en menaçant les États qui n’envoient pas d’information. Cette attitude est même l’objet de communications de la part de cet État pour attirer des capitaux : l’argent placé en Suisse n’est plus caché, celle aux États-Unis au contraire l’est toujours. Ce positionnement permet aux États-Unis d’attirer de plus amples flux financiers sur le territoire. Au-delà même des trusts, les banques de Floride et du Texas accueillent les flux financiers du Venezuela et du Mexique également. Ainsi, la part de marché des États-Unis dans les flux financiers internationaux est passée de 19,6 % en 2016 à 22,3 % en 2018.

Une situation néfaste au niveau mondial

Les efforts de la communauté internationale au sujet de l’optimisation et de l’évasion fiscales sont concrètement remis en cause par ce positionnement américain qui met également en difficulté les démocraties à travers le monde de part l’augmentation des inégalités et la limitation des moyens de l’État pour garantir aux citoyens des services publics de qualité.

Ces paradis fiscaux sont une des causes de la hausse des inégalités en ce qu’ils permettent aux plus riches d’éluder l’impôt et d’échapper à la redistribution des revenus et des patrimoines. En effet, selon les données de Gabriel ZUCMAN, la majorité des richesses off-shore appartiennent à des ménages représentant environ 0,01% de la population des pays développés. Or, un montant de 1 million de dollars dans un trust au Dakota du Sud dont la rémunération s’élève à 6% sans fiscalité vaudra 111 milliards d’euros dans 200 ans.

Pour faire face à cette situation, les États baissent leur niveau de fiscalité touchant en particulier ces populations renchérissant la fiscalité sur les bases moins mobiles. En France, le taux d’impôt sur les sociétés est passé de 33% à 25% au cours du dernier quinquennat entre 2017 et 2022.

Ces comportements remettent également en cause le fonctionnement des États en ce qu’ils les empêchent de financer les services publics comme les services de santé particulièrement mis en avant ces dernières semaines en France mais également les besoins d’investissement futurs dans la transition énergétique. En 2022, l’optimisation et l’évasion fiscales auront fait perdre aux États 483 milliards de dollars, une donnée en augmentation puisque ce montant était de 427 milliards de dollars en 2021. Pour l’Europe, le manque à gagner représente environ 180 milliards de dollars. Pour la France, le Conseil des prélèvements obligatoires a évalué le manque à gagner entre 20,5 et 25,6 milliards de dollars en 2007 et Solidaires finances publiques entre 80 et 100 milliards d’euros en 2018. Ainsi, la mise en place de l’impôt minimum à 15% entraînerait une hausse des recettes fiscales de 5,9 milliards à court terme.

Conclusion

Loin de l’image mise en avant sur la scène internationale, les États-Unis restent un paradis fiscal permettant à de nombreux individus ou sociétés d’y domicilier leurs revenus. Cette réalité rappelle qu’aussi important soit-il, au niveau diplomatique, l’accord obtenu au sein de l’OCDE en octobre 2021 ne peut constituer qu’une première étape car il ne mettra pas fin, à lui seul, aux stratégies d’optimisation fiscale des entreprises et des particuliers. Les prochaines étapes doivent viser à une plus grande transparence fiscale au niveau mondial pour éviter que des profits échappent à l’impôt et enfin un accord sur une assiette fiscale mondiale pour réduire les stratégies unilatérales réduisant le bénéfice fiscal par la comptabilisation de charges fiscales dérogatoires. Dans un contexte macroéconomique plus difficile, ces prochaines étapes doivent arriver très prochainement au risque d’une remise en cause du rôle et des capacités des États face aux défis et aux crises de demain.

 

Les propos tenus dans cet article n'engage pas la responsabilité de l'Institut Open Diplomacy mais uniquement celle de leurs auteurs.