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Tarder à choisir clairement son camp ne procurera à la France aucun avantage

| Louis-Bernard Buchman

23 septembre 2021

Tribune de Louis Buchman, senior fellow de l’Institut, avocat à Paris et à New York, arbitre et médiateur, et capitaine de vaisseau (h) de la marine nationale.

On lit beaucoup de réactions, y compris des autorités françaises qu’on aurait aimé plus réfléchies, à la nouvelle de la perte du « contrat du siècle » mais peu d’entre elles dépassent le niveau émotionnel pour se hisser à la hauteur des vrais enjeux.

Quiconque a voyagé depuis la France jusqu’en Australie se rend compte que l’Australie est aux antipodes, et loin de tout autre continent, et que cette immense île-continent, qui contient des minerais et des terres rares, est quasi-vide d’habitants.

Quiconque a voyagé en Chine et a parlé avec des militaires russes se rend compte que la hantise de ceux-ci est d’avoir une aussi longue frontière méridionale avec le pays le plus peuplé du monde, et des minerais et des terres rares en Sibérie avec trop peu d’habitants pour les défendre en cas d’intrusion massive.

Quiconque connaît un peu les sous-marins comprend immédiatement qu’un sous-marin conventionnel, même parmi les plus modernes, n’a, de loin, ni le niveau d’allonge ni la sophistication d’un sous-marin à propulsion nucléaire, qui sont les machines les plus perfectionnées jamais produites de main d’homme.

Quiconque regarde le Dialogue de Sécurité Quadrilatéral (QUAD) comprend que l’Australie, qui en est membre, fait partie intégrante du nouveau dispositif de « containment » de la Chine mis en place par les Etats-Unis dans la zone indo-pacifique.

Mettez tout cela ensemble, ajoutez le changement qui s’est produit en cinq ans entre la posture militaire et diplomatique de la Chine en 2016 et celle qui est la sienne en 2021, et vous admettrez que l’idée du gouvernement australien, en 2016, de doter sa marine d’une flotte de sous-marins conventionnels pour défendre ses approches maritimes ne répond plus au niveau de menace que fait désormais peser la marine chinoise et qu’à environ 1,2 milliard de dollars l’unité, voir la marine australienne dotée de sous-marins conventionnels était une folie en termes de dépense utile de l’argent du contribuable australien.

De plus, aimeriez-vous acheter sans aucune garantie une voiture neuve dont la carrosserie et le moteur seraient français et l’électronique de bord US ? Ne préféreriez-vous une garantie US sur un moteur US, une carrosserie anglaise et une électronique embarquée US ?

C’est ce que l’Australie préfère à la réflexion, et il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.

Certes, on peut toujours dire que le cahier des charges était une propulsion conventionnelle, et que Naval Group fournissait ce qui figurait au cahier des charges ; que le Traité de Non Prolifération nucléaire depuis sa ratification était interprété comme couvrant à la fois les armes nucléaires et leurs vecteurs ; et que la vente de sous-marins à propulsion nucléaire à un pays n’ayant pas accédé auparavant à la technologie nucléaire change la donne et le consensus de l’interprétation du traité prévalant jusqu’à présent. Mais ce sont là des arguties juridiques.

La réalité est que dans la zone indo-pacifique, le vieux traité ANZUS liant la Nouvelle-Zélande, l’Australie et les États-Unis ne sert plus à rien depuis longtemps en termes militaires, en raison de la posture anti-nucléaire de la Nouvelle-Zélande, et que la nouvelle alliance AUKUS liant l’Australie, le Royaume-Uni et les US fait sens, non seulement en raison de l’unité linguistique entre ces trois pays, mais surtout en termes de poids militaire cumulé. 

Dans la nouvelle donne géopolitique qui se dessine de plus en plus précisément, les pays qui, comme la France, choisiront de temporiser au regard de la montée des tensions entre la Chine et les États-Unis, en ne désignant pas clairement leur camp, seront marginalisés par l’un et par l’autre. 

Jouer les Humpty Dumpty (Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir) assis sur la palissade n’est pas une position confortable, nous commençons à le percevoir.